La réforme du code minier doit être ancrée sur les territoires
Mardi 10 décembre 2013, le Conseiller d’État Thierry Tuot a remis aux ministres de l’Écologie et du Redressement productif les travaux du groupe de travail qu’il préside sur la réforme du Code minier. Sophie Bringuy, vice-présidente du Conseil régional en charge de l’environnement, y représentait l’Association des Régions de France (ARF) et revient sur ce dossier important.
Cela fait plusieurs mois que vous suivez le travail de réforme du code minier. Pourquoi cette démarche a-t-elle été lancée ?
Sophie Bringuy : Notre code minier date de 1810. Il n’est plus du tout adapté à notre époque, ni aux enjeux des nouvelles exploitations. Chaque décision prise sur sa base est par ailleurs menacée d’insécurité juridique. En effet, notre code minier ne permet de répondre ni aux exigences des principes d’information et de participation consacrés par la Convention d’Aarhus au niveau international ni à celles de la Charte de l’Environnement. Il ne permet pas plus une prise en compte efficiente des enjeux sanitaires et environnementaux, garantis également par les droits constitutionnel français et européen.
Bien que revisité en 2011 par voie d’ordonnance, ce code fait l’unanimité contre lui, comme l’a d’ailleurs rappelé le ministre du redressement productif lors de la remise du rapport sur sa réforme le 10 décembre.
Mais l’activité minière, c’est du passé en France. Quelle est l’actualité de cette réforme ?
Sophie Bringuy : L’activité minière est loin d’être de l’ordre du passé en France. Outre la question épineuse des gaz et huiles de schiste, le ministre du redressement productif a à plusieurs reprises affiché son ambition de relancer un programme national d’exploitation des matières premières issues de notre sous-sol. Il y a aussi d’importantes réflexions au niveau européen sur ce sujet. Nous-mêmes, en Pays de la Loire, sommes concernés par trois projets de prospection minière, dont un dans mon département, en Sarthe, mais aussi dans le Maine-et-Loire et la Loire-Atlantique.
En tant qu’écologiste, n’êtes-vous pas opposée de fait à cette relance de l’activité minière en France ?
Sophie Bringuy : Le positionnement des écologistes face à cette réforme n’est effectivement pas facile. Rappelons que nos matières premières sont disponibles en quantité limitée. C’est pour cela notamment que nous poussons l’économie circulaire : la priorité est de repenser notre manière de produire et de consommer en fonction d’une utilisation plus rationnelle de nos ressources.
Mais nous savons aussi que cela prendra du temps. Et tant que nous aurons besoin de l’industrie minière, mieux vaut qu’elle se développe chez nous, dans la mesure du possible, pour deux raisons principales à mon sens.
La première est liée à la solidarité internationale. Concrètement, nous sommes entourés d’objets, comme nos téléphones portables et ordinateurs, dont les technologies nécessitent le recours à des minerais. On ne peut pas d’un côté utiliser ces technologies, et refuser de l’autre que ce qui les constitue soit exploité en France pour notre confort personnel. Ce serait tout simplement une posture nimby*. Mais aussi une posture irresponsable au vu des conditions d’exploitations qui peuvent avoir cours dans d’autres pays…
La seconde raison est géopolitique et relève de notre autonomie. Aujourd’hui, nous sommes très dépendants, notamment de la Chine, pour disposer de matières premières essentielles, comme les terres rares. Si demain la Chine décide d’abuser de cette situation, quelles seront nos options ? Il importe en priorité d’avoir une idée de ce que nous pouvons trouver chez nous, en Europe, pour sortir de cette dépendance, et garantir notre liberté politique.
Les écologistes ne peuvent donc pas être contre la relance de l’activité minière en France. Mais nous devons porter l’ambition d’une réforme du code minier garantissant l’intérêt général, protectrice des territoires, des humains qui y vivent et de la nature.
Jusqu’à présent, la question minière est plutôt traitée au niveau central, dans le droit fil de notre tradition jacobine, et du corps des mines. Pourquoi les Régions se sont-elles senties concernées ?
Sophie Bringuy : Il y a plusieurs explications à l’implication de l’Association des Régions de France dans le groupe de travail sur la réforme du code minier, d’ailleurs seule association de collectivités à y avoir participé. J’en citerai trois.
Tout d’abord, beaucoup de régions se sentent directement concernées par les enjeux miniers. En priorité les régions marquées par l’après-mine, comme la Lorraine et le Nors-Pas-de-Calais. Elles vivent chaque jour les conséquences d’une activité minière mal encadrée, dont les individus et les contribuables paient encore les frais. D’autres régions ont vécu en première ligne la mobilisation de leurs habitants/tes contre les projets d’exploitation du gaz de schiste. Elles ont entendu l’attente forte locale quant à la transparence et la participation citoyenne. Certaines encore, comme la région Centre, ont réalisé un travail important sur la géothermie, et souhaitent que la réforme ne soit pas un frein au développement de cette source d’énergie.
Ensuite, les Régions ont pris une nouvelle envergure depuis une quinzaine d’années. De nouvelles compétences leur ont été transférées, elles ont aussi pris de nombreuses initiatives et sont devenues aujourd’hui un échelon incontournable. Elles sont donc de plus en plus légitimesà se positionner sur des sujets jusqu’à présent dans le pré-carré de l’Etat. Les conseillers régionaux ne sont pas simplement là pour gérer le budget de leur collectivité. Ils ont la légitimité des élus de la République, et ont vocation à ce titre à représenter le territoire régional, défendre ses intérêts.
Enfin, c’est aussi une question de personnes et de moyens humains. Le sujet est complexe et technique. Et cela fait plus d’un an que le groupe de travail se réunit à un rythme soutenu. Il a fallu se rendre disponible, travailler le fond. Nous avons aussi été aidés par le cabinet Antélys, qui a travaillé sur les enjeux de la réforme du code minier pour la région Rhône-Alpes, dans le cadre de son action dans le dossier des gaz de schiste.
Vous parlez d’un rythme soutenu. Pouvez-vous nous préciser comment a travaillé le groupe ?
Sophie Bringuy : Il y a eu une bonne quinzaine de réunions depuis septembre 2012. La dernière aura lieu le 16 janvier 2014. Le rythme aura donc été très dense et j’avoue ne pas avoir pu me mobiliser à chaque fois…
Le climat de travail a été sérieux et respectueux, malgré le sujet difficile et les divergences de points de vue. Nous avons commencé par poser les grands principes de la réforme, avant de débattre de ses déclinaisons. La méthode proposée par Thierry Tuot visait la plus grande transparence entre les participants/tes au groupe. Il a su créer un réel climat de confiance. Aucun sujet tabou, échanges francs et d’un très bon niveau.
Certains sujets n’ont pas été travaillés, comme les gaz et huiles de schiste cependant ?
Sophie Bringuy : En effet, l’enjeu de la réforme n’était pas de traiter cette question très politique, qui aurait parasité le débat. Par contre, le nouveau code prend en compte l’expérience du gaz de schiste, en proposant un cadre juridique qui garantit dorénavant une information et une participation du public pour que le scandale démocratique, que constituent les autorisations délivrées en France en matière de gaz de schiste, ne puisse plus se reproduire à l’avenir.
Un autre sujet a été mis de côté : la question des outre-mer. Certes, il y a eu une réunion du groupe dédiée à ces enjeux spécifiques en décembre 2012. Cependant, Thierry Tuot a estimé, à juste titre, que notre groupe n’était pas légitime sur ce point. Le chapitre sur ce volet est donc une page blanche et nécessitera un travail ultérieur.
Quelle appréciation portez-vous sur le résultat après tous ces mois de concertation ?
Sophie Bringuy : Le travail de propositions et de rédaction réalisé par l’équipe de Thierry Tuot, débattu puis amendé lors de nos réunions successives, est de grande qualité. Sans bouleverser le code existant (certaines parties n’ont été réécrite qu’à la marge), elle est parvenue à lui donner sens et cohérence. Il est beaucoup plus simple de lecture, compréhensible. Il est aussi beaucoup plus humain et permet de rattraper l’important retard de ce code. Il contient aussi des originalités, qui vont plus loin que ce que propose le droit français actuel, avec par exemple la possibilité, sur les dossiers sensibles, de créer des groupements momentanés d’enquête.
Et le projet final fait-il consensus ?
Sophie Bringuy : Beaucoup de points font consensus. Ce qui n’était pas gagné a priori. Ce n’est pas anodin : les ministres ont dit expressément lors de leur conférence de presse du 10 décembre qu’ils étaient engagés par ce qui faisait consensus.
Mais il reste des sujets de débat. Ainsi, le projet de loi que Thierry Tuot remettra aux ministres comprendra différentes options. Elles devront faire l’objet d’arbitrages politiques…
Et si vous deviez mettre quelques points en avant…
Sophie Bringuy : Difficile de choisir. Certainement le respect des grands intérêts énoncés à l’article L.111-1 du projet actuel, que sont les exigences environnementales, de sécurité et de santé publique, et l’intérêt des populations. Le code minier de 1810 n’était pas pensé pour protéger les humains et leur environnement. Si ça passe, ce serait une grande avancée.
Le projet permet aussi des progrès notables sur la transparence et l’information le plus en amont possible des projets sur les zones impactées, sur les ressources prospectées, mais aussi sur les techniques d’exploration et d’exploitation envisagées. La concertation avec l’ensemble des acteurs concernés est nettement améliorée. Il y a des renvois aux procédures du code de l’environnement, ce qui est très positif. La grande originalité est bien entendu la possibilité de recourir au « groupement momentané d’enquête » (GME). Cette disposition est encore très débattue, mais je suis persuadée qu’elle est dans l’intérêt de toutes et tous.
L’après-mine est aussi mieux traité. Notamment en termes de responsabilité de l’exploitant et de solidarité nationale, mais aussi de transparence sur la fin des travaux. Le groupe demande par ailleurs que les dégâts antérieurs au 1er septembre 1998 puissent être également pris en compte dans les dispositifs d’indemnisation en cas de défaillance de l’exploitant. Ça a été rappelé explicitement le 10 décembre.
Y a-t-il des points sur lesquels vous attendez encore des avancées ?
Sophie Bringuy : L’ARF a porté très rapidement l’idée d’instaurer un Schéma régional d’orientation des activités minières, permettant une meilleure prise en compte des enjeux des territoires, en lien avec les autres schémas régionaux (schémas climat air énergie, de cohérence écologique, schémas directeurs d’aménagement et de gestion de l’eau, futures stratégies régionales de l’économie circulaire). Pour le moment, est prévu un schéma national aux contours indéfinis (certains veulent un espace de concertation sans aucune dimension prescriptive). Nous sommes persuadés que les schéma régionaux auraient une importante plus-value, notamment en termes de recueil et de valorisation des connaissances, mais aussi de sécurisation des dossiers grâce à la définition de zones d’exclusion, permettant à de futurs exploitants de ne pas engager des frais inutiles. Nous espérons encore des avancées à ce sujet.
Il y a aussi un réel enjeu en termes de capitalisation et de développement des connaissances. Nous connaissons très mal notre sous-sol, et le BRGM a peu de moyens. Au-delà du cadre législatif, il faudrait des moyens financiers supplémentaires sur ce volet.
Et la suite ?
Sophie Bringuy : Le projet de loi devrait être soumis aux arbitrages ministériels dans les semaines qui viennent et présenté en Conseil des ministres au printemps. Les modalités de passage au parlement ne sont pas encore définies, il y aurait une partie soumise à débat, une autre qui serait adoptée par voie d’ordonnance.
Communiqué ARF: Code minier: les Régions souhaitent une réforme ambitieuse et ancrée sur les territoires
Vidéo: Audition de Sophie Bringuy à l’Assemblée nationale du 20 mars 2013
* NIMBY ou Nimby est l’acronyme de l’expression « Not In My BackYard », qui signifie « pas dans mon arrière-cour ». Le terme est utilisé péjorativement pour décrire soit l’opposition par des résidents à un projet local d’intérêt général dont ils considèrent qu’ils subiront des nuisances, soit les résidents eux-mêmes. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nimby.