Alerté par l’association Aides, voici le message que je viens d’envoyer à Jean-Jacques Urvoas, député de la 1ère circonscription du Finistère :
Monsieur le Député, cher Jean-Jacques,
Contre le vote du Sénat, le gouvernement vient de réintroduire devant l’Assemblée un amendement adopté par la Commission des lois le 16 février remettant en cause le droit au séjour des étrangers gravement malades qui vivent en France et qui ne peuvent pas accéder aux soins dans leur pays d’origine (article 17 ter du projet de loi sur l’immigration).
Les motifs exposés par le gouvernement pour justifier cette réforme ne résistent pourtant pas à un examen sérieux.
La protection actuelle des étrangers gravement malades est en effet d’ores et déjà encadrée par des conditions et une procédure très strictes. Elle concerne, après douze ans d’application, un « nombre d’étrangers qui s’est stabilisé » (voir rapport au Parlement, les orientations de la politique de l’immigration, Cici, 12/2009, p.61). La loi actuelle ne s’applique qu’aux étrangers résidant déjà en France et ne constitue en aucun cas un moyen pour être autorisé à venir en France se faire soigner. Toutes les études épidémiologiques démontrent d’ailleurs que la migration pour raison médicale demeure exceptionnelle.
Tout en démontrant que cette réforme serait financièrement coûteuse, tant la société civile que le monde des professionnels de santé ont dénoncé ses conséquences extrêmement graves en termes de droit des personnes concernées et de santé publique (voir dossier complet ci-joint).
En effet, le remplacement de la condition actuelle de « non accès effectif au traitement approprié dans le pays d’origine » en seule « indisponibilité du traitement approprié » ne permettra plus de garantir qu’un étranger gravement malade vivant en France puisse être effectivement soigné en cas de renvoi dans son pays d’origine (objectif de la loi de 1998). Pour apprécier l’accès effectif aux soins, il faut prendre en compte des facteurs multiples : l’état des structures sanitaires du pays, l’offre quantitative de soins et leur couverture territoriale, le manque de personnel médical, les ruptures fréquentes de stocks, le coût des traitements, l’existence ou non de couverture maladie permettant une prise en charge financière, etc…Lorsque les traitements existent mais que l’on ne vérifie pas si les malades peuvent les obtenir, il s’agit alors de disponibilité. Dans la plupart des pays en développement, les traitements peuvent être disponibles (dans une clinique) mais ils sont très rarement accessibles (réservés à l’élite).
Il est donc paradoxal de vouloir à la fois changer la loi votée en 1998 et souhaiter « l’appliquer à la lettre ». Il est politiquement et juridiquement vain de soutenir cette réforme et de vouloir préserver l’ensemble « des instructions ministérielles d’application » qui depuis 1998 prennent en compte les conditions effectives d’accès aux soins dans les pays d’origine en se fondant sur les termes de la loi actuelle.
Aucun changement récent dans l’application de la loi actuelle ne justifie davantage une telle réforme présentée dans les mêmes termes par le gouvernement depuis plusieurs années pour ne plus avoir à tenir compte des multiples facteurs faisant obstacle à l’accès effectif aux soins des étrangers gravement malades résidant en France en cas de renvoi dans leurs pays d’origine (voir les mobilisations des professionnels de santé, suite au rapport IGA en 2002 et à l’avant projet de loi sur l’immigration en décembre 2005, ayant entraîné dans le passé l’échec de ce même projet de réforme).
Quant à la jurisprudence du Conseil d’Etat d’avril 2010, elle n’a rien changé à l’interprétation de la loi actuelle par les autorités médicales. Dès 1998, le Ministre de l’intérieur écrivait en effet à l’ensemble des préfets que « la possibilité pour l’intéressé de bénéficier ou non du traitement approprié à son état de santé dans son pays d’origine dépend non seulement de l’existence des moyens sanitaires adéquats mais encore des capacités d’accès du patient à ces moyens » (Circ. min. du 12 mai 1998 d’application de la loi sur l’immigration du 11 mai 1998). Cette circulaire n’a jamais été contredite et a été réaffirmée par instructions du Ministère de la Santé du 30 septembre 2005, du 23 octobre 2007 et du 29 juillet 2010. C’est sur la base de ces textes prenant en compte de manière constante les possibilités concrètes d’accès aux soins dans les pays d’origine que les autorités médicales examinent depuis plus de 12 ans les demandes de régularisation des étrangers gravement malades résidant en France. La jurisprudence du Conseil d’Etat n’a fait que rappeler la bonne application du droit face à certaines dérives dans les Préfectures. Le rapporteur public au Conseil d’Etat avait d’ailleurs souligné que le Ministère de l’Intérieur, en refusant que soient prises en compte les possibilités effectives d’accès aux soins dans le pays d’origine dans le cas particulier de cette affaire contentieuse, soutenait une position contraire aux instructions qu’il avait données à ses propres services sur la base de la loi actuelle.
Les termes équilibrés de la loi votée en 1998 sont le résultat d’une longue réflexion tout au long des années 1990 pour qu’elle remplisse son objectif : éviter qu’un refusd’admission au séjour en France ne signifie la condamnation à mort d’une personne malade.
Pour que cet objectif continue d’être atteint, j’en appelle à ta mobilisation pour t’opposer à toute modification de loi actuelle.
Bien cordialement.
Jean-Pierre Bigorgne