Vous trouverez ci-dessous un long courrier en réponse que j’adresse au député-maire du Grau-du-Roi à la suite d’échanges sur la gestion des effluents de St Laurent d’Aigouze. J’y passe en revue un certain nombre de sujets qui méritent attention sur la politique environnementale de la CCTC – essentiellement eau et assainissement.
Voici d’abord la réponse d’E. Mourrut à mon premier courrier :
lettre Mourrut page 1 - page 2 - page 3
Et ma réponse ici : à M.Etienne MOURRUT – sur la CCTC – eau et assainissement et ci-dessous :
« Monsieur le député-maire,
Je veux d’abord vous remercier pour le courrier argumenté par lequel vous avez répondu le 30 janvier dernier à mon interpellation sur la question de l’assainissement dans notre canton. Il me donne l’occasion de revenir, puisque vous le faites vous-même, sur le champ de compétence plus général de la CCTC autour de l’eau et des choix politiques de ces dernières années. C’est en effet un sujet essentiel qui devra faire l’objet de choix importants dans le proche avenir, il est donc nécessaire qu’il fasse débat.
Vous dressez un tableau flatteur de l’action du SIVOM d’abord puis de la Communauté de communes Terre de Camargue (CCTC) dont vous êtes un membre constant de l’assemblée délibérante. J’en fais pour ma part un bilan beaucoup plus critique. Non pas bien sûr que tout soit critiquable mais je suis là pour apporter la contradiction et soulever des points sensibles, je vous demande d’accepter ce préalable.
Notons d’abord que les enjeux actuels ne sont plus la seule adduction d’une eau potable de bonne qualité et l’assainissement respectueux de l’environnement des rejets d’eaux usées, ce qui est déjà beaucoup. On attend en outre des pouvoirs publics la prise en compte du grand cycle de l’eau qui intègre la protection de la ressource, la qualité des cours d’eaux, des zones humides et des milieux aquatiques, c’est-à-dire de l’ensemble du milieu naturel, au regard d’enjeux écologiques et de santé humaine. On attend également de la cohérence dans l’action publique.
J’aborde ci-dessous une liste de sujets sur lesquels les élus intercommunaux (qui sont aussi des élus communaux) en charge ne m’ont pas semblé faire toujours preuve de la clairvoyance que vous leur prêtez. Chacun de ses points mériterait bien sûr de plus longs développements.
La gestion de l’eau potable
Des pesticides – notamment l’atrazine – sont présents dans la nappe de la Vistrenque : la prise en compte de cette pollution a été très tardive par la CCTC malgré l’alerte constante des analyses. Ce n’est qu’après des dépassements répétés des normes admises que des décisions sont intervenues. Il a fallu solliciter une période dérogatoire de trois ans pour mettre en place en 2008 les premiers dispositifs de filtration à charbons actifs que nous venons de renouveler en 2011 pour un montant de 300 000 € sans solution pérenne. Le coût de ces traitements impacte le prix de l’eau.
Le captage des Baïsses à Aimargues, où sont prélevées ces eaux, a été classé « captage prioritaire Grenelle » en 2009 pour cause de pollution. Ce classement implique un programme d’actions et notamment de créer une zone de protection du captage en neutralisant sur un périmètre suffisant toute possibilité de nouvelle pollution. Cette stratégie qui s’impose à nous aujourd’hui est connue depuis toujours : n’aurait-on pu agir et protéger plus tôt ?
Une logique nouvelle doit guider l’action publique : protéger le captage, restaurer la qualité de la nappe, prévenir les risques de pollution à venir. Ces derniers points en particulier supposent de mettre en cause des pratiques agricoles héritées : ce sont en effet des désherbants qui dominent parmi les polluants de la nappe de la Vistrenque. Si nous avons peu de moyens d’actions directes sur les agriculteurs de la plaine d’Aimargues, deux pistes intéressent nos élus locaux : encourager l’agriculture biologique sur notre territoire et s’engager résolument vers le zéro phyto dans les activités des services environnement / espaces verts : les collectivités contribuent de façon notable à la pollution des milieux par leur propres activités. Il s’agit ensuite de sensibiliser les jardiniers amateurs sur ce point.
La suppression des branchements en plomb : la réglementation l’impose depuis des années, les enjeux pour la santé humaine sont évidents, d’autant plus, c’est un facteur aggravant, que nos eaux sont « dures », c’est-à-dire qu’elles ont plus que d’autres la capacité de dissoudre le plomb des canalisations. Depuis des années cette action figure dans les rapports annuels SDEI / Lyonnaise des eaux comme projet, sans cesse remis, pour l’année suivante. Pourquoi ce retard à agir de la CCTC, pourquoi toujours attendre la contrainte ultime des échéances légales ?
La gestion des eaux pluviales
La CCTC est compétente en matière de gestion des eaux pluviales. On sait depuis longtemps que ces eaux sont des facteurs souvent plus graves de pollution des milieux que les eaux usées : chargées d’hydrocarbures et de métaux lourds elles se déversent quasiment sans contrôle dans le milieu naturel, ici les roubines et canaux puis la mer. La responsabilité de la CCTC est directement engagée.
Plutôt que les grands ouvrages de collecte (bassins de rétention) il importe d’engager une réflexion sur l’urbanisation, l’imperméabilisation des sols, la végétalisation des fossés, toutes mesures visant à freiner les flux et favoriser l’infiltration de l’eau dans les sols. C’est dans les documents d’urbanisme eux-mêmes que ces contraintes doivent être intégrées et dans les cahiers des charges d’ouvrages publics.
Le décret du 6 juillet 2011 pris en application de la LEMA (Loi sur l’eau) de 2006 permet aux collectivités de mettre en place une taxe pluviale, et donc un service spécifique de gestion des eaux pluviales afin que les actions ne soient plus financées, comme c’est actuellement en principe le cas, par le budget général de la collectivité. Il m’apparaît nécessaire, dans une logique à la fois incitative et dissuasive, de délibérer également sur ce sujet. Quoi qu’il en soit c’est un problème majeur que l’on ne peut durablement passer sous silence.
La gestion des eaux usées / la protection des milieux
Vous rappelez à juste titre que le SIVOM fut pionnier dans ce domaine en construisant les lagunages puis la grande STEP du Grau-du-Roi. Vous oubliez le sujet à l’origine de mon premier courrier : le lagunage de St Laurent d’Aigouze était dimensionné pour 1500 équivalent/habitant, c’est-à-dire qu’il est saturé depuis plus de 15 ans. L’ignorance là-dessus était telle que l’ancien maire lui-même de la commune pensait que ses eaux usées étaient acheminées au Grau-du-Roi ! Encore une fois la CCTC agit le dos au mur avec un retard inquiétant.
Les problèmes de refoulement d’eaux usées dans l’étang de la Marette dont vous me dites qu’ils sont « faciles à résoudre » « dans les meilleurs délais » sont récurrents depuis le premier jour du raccordement des eaux d’Aigues-Mortes à la STEP il y a 11 ans.
Le Vistre, dans lequel se déversent les eaux mal épurées de St Laurent, est un des cours d’eau les plus pollué du sud de la France, qualifié officiellement de « médiocre » c’est-à-dire le degré de qualité le plus bas sur une échelle de cinq. La pêche y est interdite sur certaines espèces pour cause de pollution aux PCB, ou pyralène, cancérogène reprotoxique. Le Vidourle n’est pas en bien meilleur état : vous avez vous-même signé en 2011 un arrêté d’interdiction de toute pêche ou baignade sur ce cours d’eau dans votre commune (de même que les maires de toutes les communes depuis Sommières) suite à une grave pollution encore inexpliquée qui a causé la mort de plusieurs tonnes de poissons. Les eaux du Rhône alimentent tous nos réseaux d’irrigation à travers le Canal du Rhône à Sète, la Divisoire et le Bourgidou : là encore les PCB sont présents.
La CCTC siège au sein de divers organismes ou syndicats mixtes (Vistre, Vidourle, Vistrenque, Camargue Gardoise, Symadrem, CLE Commission locale de l’eau, SCOT Sud Gard, etc.). J’ai pu consulter bon nombre de PV de réunions : jamais la moindre intervention de nos représentants – quand ils sont présents - sur ces sujets. Pourtant notre situation aval et maritime nous rend plus vulnérables encore que les autres.
Et par conséquent la qualité des étangs littoraux, ressource halieutique, écologique et touristique, également se dégrade : les phénomènes de dysfonctionnement et d’eutrophisation se généralisent (Marette, Médard, Ponant, Rhône de St Roman).
Vous vous voulez rassurant quant à la capacité épuratoire de la STEP du Grau-du-Roi. Des techniciens soutiennent en effet qu’une station prévue pour 100 000 équivalent/habitant peut en réalité traiter les effluents de 150 000 habitants. Le rôle des élus est de passer ces affirmations au crible de l’esprit de précaution et d’anticipation lié à leur fonction. Les élus ont-ils en main les éléments leur permettant de décider en connaissance de cause ?
La réhabilitation de l’ancienne décharge d’ordures ménagères d’Aigues-Mortes : le problème des lixiviats, ces jus polluants concentrés, n’est pas véritablement réglé : il suffit de voir le liquide qui occupe les fossés qui l’entoure pour le constater. Il serait utile d’avoir et de diffuser des analyses sur la nature des infiltrations et les degrés de pollution de la nappe phréatique. C’est une responsabilité directe de la CCTC.
La gestion des ports
Vous aurez peut-être beau jeu de vanter la qualité de la gestion de Port-Camargue, pionnier lui aussi quant à l’obtention du label « Ports propres ». On doit malheureusement déplorer le retard des ports fluviaux-maritimes directement gérés par la CCTC : toutes les eaux grises et noires partent directement au canal. Je sais que des efforts vont être engagés, mais là encore quel retard ! Port-Camargue précisément a été labellisé en 1998 : les élus locaux étaient donc bien avertis de ce que devait être une démarche de qualité dans ce domaine.
Il faut également mentionner la gestion des boues de dragage des ports que l’on sait fortement contaminées elles aussi par des métaux lourds.
La gouvernance de l’eau et de l’assainissement
Sur la gestion de la Lyonnaise des Eaux (Véolia) et surtout le contrôle que les élus doivent exercer sur elle : je n’ai pas à ce stade les élément d’information qui me permettent de juger de la qualité du contrôle technique et financier exercé sur l’entreprise délégataire. Je suis simplement très inquiet : quand j’assiste aux « débats » censés accompagner le vote sur le Rapport annuel sur le prix et la qualité du service il apparaît évident que la très grande majorité des élus n’ont pas lu le rapport.
Le taux de renouvellement des réseaux est depuis des années insignifiant : ce qui veut dire que notre patrimoine de réseaux vieillit et se dévalorise chaque année : la Lyonnaise est défaillante et la CCTC manque à son devoir. Un décret récent du 27 janvier 2012 oblige les collectivités à évaluer précisément les pertes d’eau en réseau et d’y remédier quand elles excèdent un seuil. Nous risquons d’avoir des frais d’investissement colossaux dans les prochaines années du fait d’une négligence coupable actuelle et passée.
La question du coût de l’eau : si l’augmentation du prix de l’eau a été globalement maîtrisée il apparaît que cette facture pèse déjà lourd dans le budget des ménages les plus fragiles. On le sait, c’est une tendance générale, l’évolution ne peut être que défavorable dans les années à venir, les investissements plus onéreux. Depuis le 1er janvier 2012 la loi Cambon permet aux collectivités compétentes d’abonder un Fond de solidarité pour les ménages les plus impécunieux afin d’assurer « le droit d’accès à l’eau potable ». Il paraît souhaitable que la CCTC délibère sur cette question.
La débat régie / délégation de service public (DSP) : à l’échéance de notre contrat de délégation en 2014 les élus et la population devront être en mesure de faire un choix éclairé. Le temps qui nous reste doit être mis à profit pour nous permettre d’envisager un scénario de reprise en gestion directe afin d’avoir les moyens de comparaison adéquats et de faire un choix sur une véritable alternative. C’est aussi l’occasion de revisiter la totalité du contrat et d’en mieux comprendre les enjeux. Je l’ai dit, du fait de la dégradation des milieux et de l’exigence croissante de qualité, le coût ne pourra qu’augmenter : raison de plus pour se soucier plus que jamais de la maîtrise publique de cette question et de la répartition la plus juste possible de cette charge.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à ce courrier et surtout aux problèmes qu’il soulève, je vous prie d’agréer, Monsieur le député-maire, l’expression de ma considération distinguée. »