Transition énergétique et sortie du nucléaire par Bernard Laponche

L’auteur : Bernard Laponche

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I. LA NÉCESSAIRE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

1. LES ENJEUX MONDIAUX

1.1 La consommation énergétique mondiale et ses contraintes1

Les produits énergétiques que nous consommons sont issus de sources d’énergie existant dans la nature, ou énergies primaires, qui appartiennent à deux grandes familles : les sources d’énergie de stock, extraites de la croûte terrestre, et les sources d’énergies de flux, les énergies renouvelables.

La « tonne équivalent pétrole » (tep) est une unité de mesure de l’énergie utilisée couramment par commodité à la place de l’unité officielle de mesure de l’énergie, le Joule (J). 1 tep est l’énergie fournie par la combustion d’une tonne de pétrole et vaut 42 milliards de joules.

Les apports énergétiques des différentes sources d’énergie primaire et des produits énergétiques de la consommation finale sont exprimés en tep sur la base de leur pouvoir calorifique ou des équivalences physiques entre unités de mesure de l’énergie. Par exemple, 1,5 tonne de charbon vaut 1 tep en moyenne et 1000 kWh valent 0,086 tep2. Pour ce qui concerne l’uranium, la valeur de la consommation d’énergie primaire est celle de la chaleur produite dans les réacteurs nucléaires (improprement appelée « électricité primaire » dans les bilans officiels).

En 2008, la consommation totale mondiale d’énergies primaires était de 12,3 milliards de tep se partageant en 87% d’énergies de stock (dont 33% pétrole, 27% charbon, 21% gaz naturel, 6% uranium) et 13% d’énergies de flux (10% biomasse, 3% hydraulique, éolien, solaire, géothermie). Notons que près de 40% de cette énergie primaire est consacrée à la production d’électricité.

La vision d’une consommation mondiale d’énergie masque la réalité des inégalités entre les pays et entre les riches et les pauvres. Pour l’année 2008, la consommation d’énergie primaire rapportée au nombre d’habitants était de 7,5 tep pour les États-Unis, 3,6 tep pour l’Union Européenne, 1,6 tep pour la Chine et 0,5 tep pour l’Inde et l’Afrique sub-saharienne. Les pays riches eux-mêmes connaissent la précarité énergétique des ménages à bas revenus.

La consommation mondiale d’énergie est soumise à de multiples contraintes. Limite des réserves des énergies de stock : sur la base de la consommation annuelle actuelle, les réserves sont de deux à trois siècles pour le charbon mais de quelques dizaines d’années pour le pétrole, de l’ordre du demi-siècle ou un peu plus pour le gaz naturel, de quelques dizaines d’années pour l’uranium. Contrainte géopolitique : les plus grandes réserves de pétrole se situent au Moyen-Orient, zone fragile, objet des convoitises et des rivalités des grandes puissances pouvant aller jusqu’au conflit. Atteintes à l’environnement, la santé et la vie humaines : pollution de l’air et de l’eau, accidents graves (marées noires, catastrophes nucléaires, explosions dans les mines de charbon…), émissions de gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane), déchets radioactifs. Sans parler des connivences et des compromissions avec des régimes douteux, voire exécrables, afin de se procurer les matières premières énergétiques, moteurs mais aussi drogues d’une civilisation énergivore et gaspilleuse.

 1.2 Le futur impossible

Il est parfaitement légitime et souhaitable pour l’ensemble de l’humanité que les pays émergents et les pays pauvres connaissent un développement correspondant aux besoins de leur population. La Chine en tête, ce développement se fait actuellement en reproduisant, sous des contraintes fortes, le type de civilisation et de système énergétique des pays les plus riches. Ceux-ci (Australie, Canada, États-Unis, Europe des 15, Japon, Nouvelle-Zélande) représentent 13% de la population mondiale et 40% de la consommation mondiale d’énergie primaire et leur consommation annuelle moyenne par habitant est de 5,3 tep.

Au nom de quoi le reste de la planète n’aspirerait pas à atteindre progressivement ce même niveau de consommation ? Alors, en supposant même que les pays riches stabilisent la leur, on arriverait, quelque part dans le 21ième siècle, à une population d’environ 9 milliards, chacun consommant 5,3 tep, soit une consommation mondiale de 48 milliards de tep. Au vu des 12 milliards d’aujourd’hui et des contraintes que nous connaissons déjà, c’est impossible : il nous faudrait quatre planètes Terre !

1.3 La nécessaire transition énergétique

Depuis le début de la révolution industrielle, les systèmes énergétiques ont été conçus et développés suivant le principe d’une production d’énergie toujours croissante, soutien indispensable à la croissance économique. Le nouveau paradigme énergétique est fondé sur le fait que l’on peut, en agissant sur les facteurs de la consommation, obtenir la satisfaction des services énergétiques (confort, déplacement, production) avec des consommations d’énergie très inférieures. Les actions sur la demande deviennent alors au moins aussi importantes que les actions sur l’offre : construction bioclimatique, rénovation énergétique des bâtiments existants, développement des modes de déplacement doux, des transports collectifs et du train, appareils électroménagers et audiovisuels plus efficaces, moteurs électriques plus performants, etc.

L’expérience acquise dans les pays européens occidentaux ainsi que les études récentes de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) et du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) et de nombreuses études nationales et internationales3 montrent qu’il est possible de réduire considérablement la consommation d’énergie dans les pays industrialisés et de remplacer progressivement les énergies de stock par les énergies de flux qui pourraient couvrir l’ensemble des besoins à l’horizon d’un demi-siècle.

Les pays riches peuvent et doivent réduire rapidement leur consommation d’énergie par la sobriété et l’efficacité énergétiques, et l’assurer de façon croissante avec des énergies de flux renouvelables. Les pays émergents et les pays en développement pourront alors augmenter la leur sur la base de ce modèle plus sobre, plus efficace, dont le volet de l’offre sera également fondé sur une utilisation croissante des énergies de flux.

Le nouveau paradigme de la transition énergétique ne porte pas seulement sur des aspects techniques et économiques, voire de comportement, mais plus profondément sur la conception même des systèmes énergétiques. Le système centralisé et pyramidal laisse la place à une économie énergétique où le local, à l’échelle des territoires, devient prépondérant puisque c’est absolument partout (pays riches et pays pauvres, villes et milieu rural) que l’on peut développer économies d’énergie et énergies renouvelables. Et c’est d’ailleurs dans cette application locale des deux démarches, soigneusement imbriquées et complémentaires que va se réaliser la véritable transition énergétique qui sera également sociale et politique. D’un

système pyramidal du producteur au consommateur (qui n’a qu’à payer sa facture), on passera à un système bâti sur le citoyen responsable, consommateur-producteur, acteur majeur de la transition énergétique, substituant un réseau horizontal et interactif au réseau de haut en bas du paradigme traditionnel.

2. LA SITUATION ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

2.1 De la consommation d’énergie finale à la consommation d’énergie primaire

La consommation énergétique finale

La consommation énergétique finale est celle des produits énergétiques consommés par les activités économiques et sociales dans les secteurs de l’industrie, des transports, des secteurs résidentiel et tertiaire, de l’agriculture : combustibles (fuel domestique, charbon, gaz, bois), carburants (essence, g azole, kérosène), électricité, chaleur (chauffe-eau solaire, chaleur de réseau).

En 2009, la consommation énergétique finale de la France (métropole, y compris la Corse) était de 147,5 millions de tep (Mtep : mégatep) qui se répartissent de la façon suivante :

Par produit : 41% produits pétroliers, 3% charbon, 20% gaz, 25% électricité, 3% chaleur (primaire et de réseau) et 8% biomasse.

On voit que les produits pétroliers sont dominants.

Par secteur :

21% industrie, 30% transports, 30% résidentiel, 16% tertiaire et 3% agriculture.

On voit que, avec 46%, les secteurs résidentiel et tertiaire (essentiellement l’énergie consommée dans les bâtiments) sont dominants, suivis des transports, secteur qui est lui-même très dépendant des produits pétroliers.

L’électricité

Parmi les produits de la consommation finale, le gaz naturel, le charbon et la biomasse viennent directement de l’énergie primaire, sans transformation, les produits pétroliers viennent des raffineries (la consommation finale est donc inférieure de quelques pour cent à la consommation primaire) et l’électricité provient des centrales électriques via les réseaux de transport et de distribution.

La production d’électricité en France était de 542 TWh (TeraWattheure ou milliard de kWh) en 2009, dont 76% d’origine thermique nucléaire, 10% thermique fossile et 13% renouvelable (dont 11% hydraulique). La production d’électricité d’origine nucléaire (410 TWh, soit 35,4 Mtep) correspondant à une consommation d’énergie primaire assurant cette production de 107 Mtep.

Du fait des exportations nettes, de l’autoconsommation des centrales, des pertes de transport et de distribution et des consommations du secteur de l’énergie (surtout consommation d’électricité pour l’enrichissement de l’uranium), la consommation finale d’électricité est de 424 TWh, soit 36,5 Mtep (qui représente bien 25% de la consommation énergétique finale.

La consommation d’énergie primaire

La consommation d’énergie primaire de la France était de 253 Mtep en 2009, se répartissant en : 42% uranium (chaleur produite dans les réacteurs nucléaires4), 321% pétrole, 15% gaz naturel, 4,4% charbon, 5,7% biomasse, 2,3% hydraulique (également éolien et solaire photovoltaïque, faibles), 2,1% chaleur primaire (eau chaude solaire et géothermique).

42% de cette énergie primaire est consacrée à la production d’électricité, 1,6% est consommée par le secteur énergétique (compensation entre des consommations d’électricité notamment et des productions de chaleur), 5,1% aux usages non énergétiques (matières plastiques, bitume, engrais) et 51% va directement vers l’énergie finale (charbon, gaz, produits pétroliers).

2.2 Caractéristiques du système énergétique français

La dépendance pétrolière

La dépendance pétrolière de la France est très comparable et même un peu supérieure à celle de ses grands voisins : la consommation énergétique de pétrole par habitant de la France était en 2009 de 1,06 tep contre 1,01 tep en Allemagne, 0,99 tep au Royaume-Uni et 0,92 tep en Italie.

La consommation d’électricité

La consommation finale d’électricité était de 424 TWh en 2009. Elle se répartit entre 1% pour l’agriculture, 3% pour les transports, 30% pour l’industrie, 29% pour le tertiaire (qui comprend l’éclairage public) et 37% pour le résidentiel. On voit que les deux tiers de l’électricité sont consommés dans les bâtiments.

Le chauffage électrique qui représente environ 60 TWh est une « exception française » qui est illustrée en particulier par le fait que la pointe de puissance d’hiver dont il est responsable est particulièrement élevée en France, ce qui entraîne des importations d’électricité, notamment d’Allemagne. L’écart entre la puissance annuelle moyenne et la puissance de pointe maximale de la France représente la moitié de celui pour l’Union Européenne dans son ensemble.

D’autre part, la consommation d’électricité pour les usages spécifiques (hors usages thermiques de chauffage, eau chaude et cuisson), c’est-à-dire celle de l’électroménager, de l’audiovisuel, de la bureautique et de l’informatique, est particulièrement élevée en France : par habitant en 2009 : 1250 kWh contre 975 kWh en Allemagne.

La part du nucléaire dans la production d’électricité

La production d’électricité de la France en 2009 était assurée à 76% par le nucléaire. Cette proportion était beaucoup plus élevée que dans les grands pays industrialisés utilisant cette énergie : 19% aux Etats-Unis, 28% au Japon, 16% en Russie, 30% en Corée du Sud, 22% en Allemagne, 16% au Royaume-Uni (et 2% en Chine et en Inde).

Cette production est entièrement assurée par le même type de réacteur de la filière à uranium légèrement enrichi et eau sous pression.

La faible part des énergies renouvelables dans la production d’électricité

Ici encore la comparaison avec l’Allemagne est instructive. La production d’électricité d’origine renouvelable était en 1991 de 25 TWh en Allemagne (dont 20 TWh d’hydraulique) et de 65 TWh en France (presque totalement hydraulique). Elle était de 110 TWh (développement de l’éolien, la biomasse et, à un moindre degré du photovoltaïque) en Allemagne en 2009 et de 76 TWh en France (dont 62 TWh d’hydraulique).

On trouve également un écart considérable sur les chauffe-eau solaires, dix fois plus nombreux en Allemagne qu’en France.

3. LA POLITIQUE EUROPÉENNE « ÉNERGIE ET CLIMAT »

3.1 Les objectifs « Trois 20% » de mars 2007

Le Conseil de l’Union Européenne ou « Sommet européen » au niveau des chefs d’Etat et de gouvernements, dans sa réunion des 8 et 9 mars 2007 sous la présidence allemande, a fixé des objectifs pour la lutte contre le changement climatique et la politique énergétique (sécurité énergétique), en les inscrivant dans le cadre plus large de la « stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi ». Ces objectifs sont au nombre de trois et portent : sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sur le développement des énergies renouvelables, sur l’efficacité énergétique.

Objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre

a) Le Conseil a fixé un objectif souhaitable de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour les pays industrialisés (dits de l’Annexe 1 du protocole de Kyoto) d’une réduction en 2020 des émissions de GES de 30% par rapport à leur niveau de 1990, dans la ligne d’un objectif plus lointain de réduction de 60% à 80% par rapport à 1990, à l’horizon 2050.

Sur cette base, l’UE doit conduire une négociation internationale qui devrait être conclue fin 2009 pour les engagements de « l’après Kyoto ».

b) Le Conseil a décidé d’un objectif contraignant unilatéral de l’UE de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20% en 2020 par rapport au niveau de 19905.

c) Le Conseil a décidé (sans objectif) de renforcer le système d’échange des quotas d’émissions et de l’élargir à l’utilisation des terres, à la forêt e aux transports de surface6.

L’objectif global de 20% devra être décliné en objectifs nationaux également contraignants.

Objectifs de développement des énergies renouvelables

a) Un objectif contraignant est fixé pour les énergies renouvelables : que leur contribution à la consommation d’énergie atteigne 20% en 2020 pour l’UE.

La Commission européenne a précisé par la suite qu’il s’agit d’une contribution de 20% à la consommation d’énergie finale.

b) Un objectif contraignant est fixé pour tous les pays membres (et donc pour chacun) d’une contribution d’au moins 20% d’agro carburants dans la consommation de carburants des transports (essence et diesel), en ajoutant toutefois la condition que cette opération doit être avantageuse sur le plan économique (« cost effective »).

L’objectif global de 20% devra être décliné en objectifs nationaux également contraignants.

Objectif de l’efficacité énergétique

Le Conseil n’a pas fixé d’objectif contraignant pour l’efficacité énergétique.

Mais il « souligne qu’il est nécessaire d’accroître l’efficacité énergétique dans l’UE afin d’atteindre l’objectif visant à économiser 20 % de la consommation énergétique de l’UE par rapport aux projections pour l’année 2020, telles qu’elles sont estimées dans le Livre vert de la Commission sur l’efficacité énergétique, et invite à cette fin les États membres à faire bon usage de leurs plans d’action nationaux en faveur de l’efficacité énergétique »

La référence au Livre vert indique qu’il s’agit d’une économie de 20% sur la consommation d’énergie primaire.

3.2 Le paquet « Énergie-Climat » de décembre 2008

Les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union Européenne sont parvenus à un accord sur le « paquet Énergie-Climat » lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008.

Les accords informels passés préalablement entre le Parlement européen et le Conseil sur les propositions législatives du « paquet », relevant toutes de la codécision, ont permis le vote favorable du Parlement7 le 17 décembre sur les deux principaux éléments suivants :

a) Directive Energies renouvelables : votée et adoptée en première lecture. Les nouvelles règles, portant notamment sur la « répartition des efforts » entre les pays membres (fixation pour chaque pays d’un objectif contraignant à l’horizon 2020), assurent que les énergies renouvelables contribueront à hauteur de 20% à la consommation d’énergie finale de l’Union Européenne à l’horizon 20208.

b) Directive sur la révision du système communautaire d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre (voir Fiche 31). La directive porte à la fois sur le système d’échange des quotas d’émission au niveau de l’UE (ou « système ETS ») et sur la « répartition des efforts » entre les pays membres (fixation d’un objectif contraignant pour chaque pays à l’horizon 2020) pour les émissions de gaz à effet de serre pour les activités qui ne relèvent pas du système ETS.

3.3 La Directive « Efficacité énergétique et services énergétiques »

Cette Directive fixe un objectif non contraignant pour chaque Etat membre de réaliser des actions d’économies d’énergie dont le résultat, en fin de période de 9 ans – soit 2016 – représenterait une quantité d’énergie finale économisée égale à 9% de la consommation annuelle finale totale d’énergie de chaque Etat membre. Les installations qui relèvent de la Directive sur le système communautaire d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre sont exclues du champ d’application de cette Directive.

La Directive a pour objet de rendre l’utilisation finale de l’énergie plus économique et plus efficace en :

– Etablissant les objectifs indicatifs, les mesures d’encouragement et les cadres institutionnel, financier et juridique nécessaires pour éliminer les obstacles et les imperfections du marché qui empêchent une utilisation finale efficace de l’énergie.

– Créant les conditions propices à la mise en place et à la promotion d’un marché pour les services énergétiques, et pour la fourniture de programmes d’économie d’énergies et d’autres mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique aux utilisateurs finals.

La Directive s’applique à la distribution et à la vente au détail d’énergie, à la fourniture de mesures visant l’amélioration de l’efficacité énergétique, aux clients finals à l’exclusion des activités soumises au système d’échange de quotas de gaz à effet de serre et, dans une certaine mesure, aux forces armées. Elle vise la vente au détail, la fourniture et la distribution des grands vecteurs énergétiques dépendant d’un réseau, comme l’électricité et le gaz naturel, ainsi que d’autres types d’énergie, comme le chauffage urbain, le mazout de chauffage, le charbon et le lignite, les produits énergétiques de la sylviculture et de l’agriculture et les carburants.

Les États membres doivent adopter et atteindre un objectif indicatif en matière d’économies d’énergie de 9% d’ici 2016, dans le cadre d’un plan national d’action en matière d’efficacité énergétique (PNAEE). Cet objectif est fixé et calculé selon la méthode indiquée à l’annexe I de la directive. Les États membres doivent également se fixer un objectif indicatif national intermédiaire à atteindre en 2009.

Contrairement à ce que pourrait faire croire l’utilisation d’un pourcentage, l’objectif (indicatif) est une valeur absolue : la valeur des économies d’énergie (portant sur la consommation d’énergie finale) réalisées par un pays membre la neuvième année d’application de la Directive, soit 2016, doit être égale à 9% de la consommation annuelle de référence (définie comme la moyenne annuelle sur la période 2001-2005), pour les secteurs d’activités concernés par la Directive (hors système ETS) .

Les États membres doivent établir des rapports en 2007, 2011 et 2014 sur l’administration et la mise en oeuvre de la directive.

4. LA POLITIQUE ENERGETIQUE ALLEMANDE : LA VOIE VERS LES RENOUVELABLES

4.1 Principes et objectifs du Concept énergétique allemand

Les principes et objectifs de la politique énergétique allemande sont définis par le « Concept énergétique allemand » présenté par le gouvernement fédéral en septembre 2010.

La politique énergétique de l’Allemagne est fondée sur trois grands objectifs à l’horizon 2050, jalonnés par des objectifs intermédiaires.

Objectif efficacité énergétique

– Consommation d’énergie primaire, par rapport à sa valeur en 2008 : – 20% en 2020 et – 50% en 2050.

– Consommation d’électricité par rapport à sa valeur en 2008 : – 10% en 2020 et – 25% en 2050

Objectif climat :

Emissions de gaz à effet de serre par rapport à leur valeur en 1990 (-18,5% en 2006) : – 40% en 2020, -55% en 2030, – 70% en 2040, – 80-95% en 2050.

Objectif renouvelables :

– Part des renouvelables dans la consommation d’électricité (18% en 2009) : 35% en 2020, 50% en 2030, 65% en 2040, 80% en 2050.

– Part des renouvelables dans la consommation d’énergie primaire (10% en 20099) : 18% en 2020, 30% en 2030, 45% en 2040, 60% en 2050.

4.2 La sortie du nucléaire

Ces objectifs de « transition énergétique » sont accompagnés par la décision de sortie du nucléaire, confirmée par le gouvernement en juin 2011 : deux réacteurs ont déjà été arrêtés en 2003 et 2005 et, sur les 17 réacteurs en fonctionnement début 2011, les 7 réacteurs les plus anciens, tous construits avant 1980, déconnectés du réseau quatre jours après la catastrophe de Fukushima au Japon, ne seront pas relancés, sept autres réacteurs seront arrêtés d’ici 2021 (1 en 201110, 1 en 2015, 1 en 2017, 1 en 2019, 3 en 2021) et les trois derniers en 202211.

Ces décisions ont été prises sur la base d’un rapport de la Commission de sûreté nucléaire et d’un rapport d’une Commission éthique spécialement réunie pour étudier la future politique énergétique allemande.

4.3 Les éléments de la mise en œuvre

Le document « The path to the energy of the future – reliable, affordable and environmentally sound », publié en juin 2011 par le ministère allemand chargé de l’environnement (BMU) permet d’apporter un certain nombre d’informations sur la mise en œuvre de cette politique.

Compétitivité économique et industrielle :

“The thorough restructuring of our energy supply represents above all an opportunity for the generations to come. Our country is a pioneer on the path towards the energy supply of the future. We can be the world’s first major industrialised nation to accomplish the transition towards a highly efficient, renewable energy system. However, this will require a strictly realistic, judicious and common sense approach. Our focus is on innovation and advanced technologies, on effective and cost-efficient measures, and on pursuing a policy that is environmentally sound, climate-friendly and in line with market and competition principles.”

Effort collectif de tous les acteurs

« This opens up technological and economic opportunities in terms of Germany’s competitiveness as an exporter and location to do business. In the best tradition of German engineering, new technologies and products, new export opportunities and thus employment and growth will be created. Accelerating the journey towards the age of renewables will make Germany one of the most advanced and energy efficient economies in the world while maintaining competitive energy prices, energy security and a high level of prosperity. »

Efficacité énergétique dans les bâtiments

– Bâtiments neufs : « Energy saving ordinance », réglementation thermique renforcée, objectif « zéro-énergie » pour 2020, application aux bâtiments publics dès 2012.

– Rénovation énergétique des bâtiments existants : maintien des incitations actuelles, augmentation du budget d’incitation à 1,5 milliards d’euros par an en 2012, 2013 et 2014, comparé à 936 millions en 20011.

– Projet de « certificats d’économies d’énergie » envisagés pour 2015.

– Critères sévères d’efficacité énergétique pour l’achat d’équipements et de services dans le secteur public (« public procurement »).

– Soutien à une politique européenne d’efficacité énergétique plus ambitieuse : standards et labels alignés sur la « meilleure technologie sur le marché » (approche « top runner »).

Développement des énergies renouvelables

– Sur la base des potentiels de réduction des coûts, la surcharge (tarif d’achat) sur le prix de l’électricité ne devrait pas dépasser le niveau actuel de 3,5 cents/kWh (« Renewable Energy Sources Act »).

– Programme spécial pour l’éolien « off-shore » de la banque KfW, de 5 milliards d’euros. Simplification des procédures d’agrément.

– Remplacement des éoliennes anciennes par de nouveaux modèles plus puissants (« repowering »).

Développement des réseaux de transport et distribution et du stockage

– Adoption d’une loi de développement accéléré des réseaux (« Grid Expansion Acceleration Act », NABEG), notamment pour permettre le transport de l’électricité depuis la production d’origine éolienne du Nord de l’Allemagne (y compris la Mer du Nord) jusqu’aux centres de consommation du Sud.

– La révision du « Energy Industry Act » (EnWG) permettra le développement des réseaux intelligents et des équipements de stockage facilitant l’intégration de la production d’électricité d’origine renouvelable.

Centrales électriques thermiques classiques et cogénération

– Démarrer impérativement les centrales en construction avant fin 2013.

– Prévoir une capacité de réserve supplémentaire (gaz et charbon) de 10 GWe en 2020.

– Renforcement de la production en cogénération par la révision du « Combined Heat and Power Act » (KWK-Gesetz).

La répartition des responsabilités

– Le ministre de l’économie est responsable du développement des réseaux, de la construction des centrales électriques classiques et de l’efficacité énergétique.

– Le ministre de l’environnement est responsable du développement des énergies renouvelables.

5. ENJEUX ET ELEMENTS DE DEBAT POUR LA POLITIQUE FRANÇAISE DE L’ENERGIE

La situation énergétique mondiale et ses contraintes conduisent à la nécessité d’une transition énergétique basée sur le développement de la sobriété et de l’efficacité énergétique ainsi que sur celui des énergies de flux renouvelables. Dans ce contexte, la place de l’énergie nucléaire, particulièrement importante en France est posée du fait des interrogations majeures sur les risques que présente l’utilisation de cette forme d’énergie et dont les trois composantes sont le risque d’accident majeur, les déchets radioactifs et la prolifération des armes nucléaires. D’autre part, la transition énergétique qui met l’accent sur des transformations profondes des systèmes énergétiques ouvre un champ considérable d’activités au niveau des territoires et en particulier des villes où se concentre la grande majorité des consommations d’énergie.

Les termes du débat sur la politique énergétique de la France résultent de cette problématique :

a) Que peut-on dire des potentiels et des conditions de mise en oeuvre de programmes et d’actions dans le domaine de la sobriété et de l’efficacité énergétique en France dans une vision prospective et volontariste. Cette politique de réduction des consommations d’énergie tout en assurant un service énergétique égal ou supérieur doit également veiller à l’éradication de la précarité énergétique qui frappe les ménages les plus démunis.

b) En étroite synergie avec cette politique de réduction des consommations d’énergie, comment peut se développer pour répondre à l’ensemble des usages, la production et l’utilisation des énergies renouvelables : quels en sont les potentiels et les coûts, quel peut être le rythme de ce développement, quelles en sont les retombées en termes d’activités et d’emplois.

c) La production d’électricité d’origine nucléaire a, en France, une position ultra majoritaire et a constitué jusqu’ici et depuis près d’un demi-siècle l’élément central et déterminant de la politique énergétique (et à bien des égards la politique étrangère) de la France. Quel est la place réelle de cette production au regard de la dépendance énergétique du pays, que peut-on dire de son coût, en prenant en compte l’ensemble des composantes de la filière, quel est la contribution de l’utilisation de cette forme d’énergie à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et surtout quels en sont les risques, mis en évidence par les accidents graves qui ont marqué les trente dernières années : Three Mile Island, Tchernobyl et les trois réacteurs de Fukushima.

d) L’indispensable transition énergétique ne porte pas seulement sur des aspects techniques et économiques, voire de comportement, mais plus profondément sur la conception même des systèmes énergétiques. Le système centralisé et pyramidal laisse la place à une économie énergétique où le local, à l’échelle des territoires, devient prépondérant puisque c’est absolument partout (pays riches et pays pauvres, villes et milieu rural) que l’on peut développer économies d’énergie et énergies renouvelables. Et c’est d’ailleurs dans cette application locale des deux démarches, soigneusement imbriquées et complémentaires que va se réaliser la véritable transition énergétique qui sera également sociale et politique. D’un système pyramidal du producteur au consommateur (qui n’a qu’à payer sa facture), on passera à un système bâti sur le citoyen responsable, consommateur-producteur, acteur majeur de la transition énergétique, substituant un réseau horizontal et interactif au réseau de haut en bas du paradigme traditionnel.

Les démarches locales et territoriales, à partir de l’élaboration de « Plans énergie et climat territoriaux » et d’initiatives comme la « Convention des maires » sont déjà riches d’enseignements. La connaissance des développements et des orientations politiques dans ce domaine au niveau de l’Union européenne et de ses Etats membres est une dimension indispensable à apporter au débat sur la politique énergétique française.

II. LA SORTIE DU NUCLEAIRE12

Dés les années 1950, on a développé les premières centrales nucléaires productrices d’électricité. On pensait même alors qu’on allait produire de l’électricité tellement bon marché que ce ne serait plus la peine d’installer des compteurs ; il y avait une expression pour dire ça : « too cheap to meter ». Bien que les risques d’accidents et la production de déchets radioactifs ne fussent pas ignorés, ces questions seraient réglées par la science et les ingénieurs, croyait-on, et c’est plutôt sur des considérations économiques et de puissance industrielle que se firent les choix. De fait, c’est dès l’origine que l’on aurait dû peser les risques intrinsèques liés à la libération de l’énergie nucléaire et se poser des questions sur la maîtrise d’une telle technologie, surtout à partir du moment où l’on prétendait en faire un usage courant et commercial planétaire.

C’est la prise de conscience de ces risques, la constatation dramatique de leurs occurrences et de l’impossibilité de les maîtriser qui conduit logiquement à la « sortie du nucléaire », pour trois raisons majeures : le risque d’accident grave, la production de déchets radioactifs et la menace aggravée du risque de prolifération des armes nucléaires.

1. COMMENT FONCTIONNE UN REACTEUR NUCLEAIRE ?

1.1 Fission et réaction en chaîne

L’utilisation de l’énergie nucléaire est basée sur deux phénomènes physiques, la fission et la réaction en chaîne. La découverte de ces phénomènes est relativement récente : la fission a été découverte en 1938 et la première réaction en chaîne a été réalisée en 1942 dans le premier réacteur nucléaire (alors appelé « pile atomique »).

Tous les corps dans la nature sont constitués de molécules, édifices plus ou moins complexes d’atomes. Chaque atome est lui-même un assemblage de trois particules : proton, neutron et électron. Les protons et les neutrons, ou nucléons, sont soudés entre eux par des forces extrêmement puissantes, ou forces nucléaires, formant le noyau de l’atome, autour duquel gravitent les électrons. Les noyaux des éléments naturels sont en majorité stables. La fission spontanée, qui consiste en l’éclatement d’un noyau d’un élément de masse atomique élevée, est possible mais très rare dans la nature et ne concerne que quelques éléments à très longue durée de vie, les autres ayant eu le temps de disparaître.

Dans la croûte terrestre, on trouve du minerai d’uranium, élément chimique de numéro atomique 92, dit « naturel », qui est constitué de deux principaux isotopes : l’uranium 238 et l’uranium 235 (0,7 %). Ce dernier est « fissile », c’est-à-dire que, lorsqu’un noyau d’uranium 235 est percuté par un neutron venant de l’extérieur, celui-ci provoque la fission (éclatement) du noyau. C’est une explosion très violente qui produit des fragments de l’ancien noyau et deux ou trois neutrons. L’énergie ainsi libérée par la fission, ou énergie nucléaire, est considérable à cette échelle. Les fragments produits par la fission deviennent les noyaux d’éléments plus légers dont les atomes se retrouvent dans un état instable : on les appelle produits de fission. Les deux ou trois neutrons produits par chaque fission peuvent à leur tour aller « fissionner » d’autres noyaux d’uranium 235, ces nouvelles fissions produisant de nouveaux neutrons, qui, à leur tour, vont impacter d’autres noyaux et ainsi de suite. C’est la « réaction en chaîne ». Pour qu’elle s’établisse, il faut rassembler en un même volume une masse suffisante de matériau fissile, selon une géométrie déterminée.

D’autres réactions nucléaires produisent à partir des noyaux des isotopes de l’uranium des éléments plus lourds, les transuraniens, par exemple le plutonium, dont certains isotopes (239 et 241) sont eux-mêmes fissiles (voir Annexe 3).

1.2 Production de chaleur

Un réacteur nucléaire est tout à fait comparable à une chaudière classique. Au lieu d’être produite par la combustion du charbon, la chaleur y est produite par la fission de noyaux d’uranium et de plutonium, pour être ensuite transformée en électricité. Afin de réaliser la combinaison entre fissions et réaction en chaîne, on dispose du « combustible » sous forme de crayons ou de plaques de métal ou d’oxyde d’uranium, naturel ou légèrement enrichi (à plus forte teneur d’uranium 235). Comme il se trouve que plus les neutrons issus de la fission sont lents, plus ils produisent de fissions, on installe autour des crayons combustibles un « modérateur » ou ralentisseur de neutrons qui peut être du graphite, ou de l’eau ordinaire, ou de l’eau lourde (eau dans laquelle les atomes d’hydrogène sont remplacés par des atomes de deutérium). L’énergie communiquée aux produits de chaque fission se répartit dans le matériau sous forme de chaleur. On fait alors circuler entre les éléments combustibles, ou cœur du réacteur, un fluide réfrigérant (ou caloporteur) afin de récupérer la chaleur produite. Il existe différentes filières de réacteurs. Chacune est caractérisée par une combinaison combustible-caloporteur-modérateur qui lui est propre. Il existe également des filières de réacteurs sans modérateurs, ou réacteurs à neutrons rapides, dont faisait partie le surgénérateur Superphénix en France. Cette filière est très peu développée. Actuellement, dans le monde, la grande majorité des réacteurs équipant les centrales nucléaires productrices d’électricité sont de la filière à uranium enrichi et eau (ce fluide étant à la fois modérateur et caloporteur) qui se subdivise elle-même en réacteurs à eau sous pression (dont sont équipées toutes les centrales nucléaires françaises) et réacteurs à eau bouillante (dont était équipée la centrale accidentée de Fukushima).

1.3 Et d’éléments radioactifs

À l’intérieur des éléments combustibles, les produits de fission instables se transforment par des séries de réactions nucléaires qui émettent des rayonnements très dangereux (alpha : noyau d’hélium, bêta : électrons, gamma : photons). Les transuraniens produits dans le réacteur et notamment le plutonium, sont également radioactifs.

Chaque élément radioactif contenu dans les combustibles irradiés est caractérisé par la nature de son rayonnement et sa « demi-vie », temps au bout duquel la moitié de cet élément a disparu (transformé en un élément stable non radioactif). Les demi-vies s’échelonnent de quelques secondes à quelques dizaines de milliers d’années : le plutonium 239 a une demi-vie de 24 000 ans et l’iode 131 de huit jours, par exemple (voir Annexes 3).

Tous les isotopes du plutonium sont radioactifs et le plutonium produit dans les réacteurs nucléaires est considéré comme l’élément le plus dangereux que l’on connaisse : la limite d’incorporation du plutonium par inhalation ou ingestion pour un adulte, déduite des limites fixées par les autorités de radioprotection pour le public, est d’environ 1/100 de microgramme.

1.4 Et comment on arrête un réacteur nucléaire?

Les premiers neutrons nécessaires pour amorcer la réaction en chaîne dans le réacteur proviennent des rares fissions spontanées qui se produisent dans des noyaux d’uranium 238.

Le dispositif de réglage du niveau de puissance du réacteur est assuré par des barres de contrôle constituées de matériaux capturant fortement les neutrons (bore, cadmium). L’introduction de ces barres dans le réacteur permet de maintenir la réaction en chaîne à un niveau déterminé et de l’arrêter si cela est nécessaire. Le bon fonctionnement des barres de contrôle est donc indispensable pour éviter tout emballement de la réaction en chaîne qui pourrait aboutir à une fusion du coeur, voire à une explosion dans certains types de réacteurs, comme à Tchernobyl. L’emballement de la réaction en chaîne y a entraîné la destruction puis la fusion du combustible. Une première explosion a été identifiée comme explosion de vapeur. Pour la deuxième explosion, plus puissante, il s’agirait plutôt d’une explosion d’hydrogène.

Mais, même lorsque la réaction en chaîne et les fissions sont totalement arrêtées, il reste une production de chaleur considérable du fait de la désintégration radioactive des produits de fission antérieurs. Cette production de chaleur est de l’ordre de 7% de la production de chaleur en fonctionnement normal juste après l’arrêt, puis elle décroît de façon progressive. Il est donc nécessaire de maintenir pendant des jours et des semaines le refroidissement du cœur, soit par le système normal de refroidissement, soit par un système de refroidissement de secours.

Lorsque le combustible n’est plus à même de fournir suffisamment d’énergie, il est retiré du réacteur : les combustibles usés ne sont pas des cendres inertes mais des déchets qui dégagent encore de fortes quantités de chaleur et restent radioactifs pendant des siècles, voire des millénaires pour certains composants.

2. COMMENT LA CATASTROPHE PEUT-ELLE ARRIVER ?

2.1 Les dispositifs de protection

Des dispositifs considérables sont nécessaires pour que, en toutes circonstances, les éléments radioactifs contenus dans les éléments combustibles du réacteur ne puissent s’échapper et par conséquent irradier ou contaminer les travailleurs de la centrale et les populations environnantes. Dans les réacteurs à eau, cette protection est assurée par trois barrières : la gaine des combustibles, la cuve en acier contenant le réacteur et une enceinte de confinement en béton, simple ou double. En fonctionnement normal, la gaine constitue effectivement une barrière totalement étanche, mais les deux autres barrières sont traversées par de nombreuses portes de sortie : circuit primaire de l’eau dans les réacteurs sous pression qui va dans les échangeurs de vapeur constitués d’une multitude de tubes à fines parois, circuit direct de vapeur jusqu’à la turbine dans les réacteurs à eau bouillante, passages pour les barres de contrôle nécessaires pour l’arrêt de la réaction en chaîne, quantité de vannes et de soupapes, etc.

2.2 L’accident nucléaire

L’accident grave est un accident au cours duquel le combustible nucléaire est significativement dégradé par une fusion plus ou moins complète du coeur du réacteur. C’est donc la détérioration des gaines du combustible qui est à l’origine d’un accident grave, qui peut devenir une catastrophe si les deux barrières suivantes ne parviennent pas à contenir les éléments radioactifs à l’intérieur du réacteur. Dans ce cas, les produits radioactifs gazeux ou volatils sont les premiers à être dispersés dans l’environnement (iode 131, césium 137).

Dans une centrale nucléaire à eau, pressurisée ou bouillante, l’accident majeur résulterait de la perte de refroidissement entraînant une fusion partielle ou totale du « cœur » (ensemble des éléments combustibles) du réacteur nucléaire. Un tel accident peut résulter soit de la rupture de la cuve du réacteur ou d’une tuyauterie du circuit primaire, soit d’une défaillance grave du système de refroidissement.

Les causes de rupture ou de défaillance des systèmes de refroidissement imaginables peuvent résulter d’un sabotage, d’un séisme exceptionnel, de perturbations météorologiques extrêmes (inondations), de collisions externes non prévus (chute d’un gros avion par exemple), d’une accumulation d’erreurs humaines graves dans la conception, la construction ou la conduite de l’installation. On peut imaginer beaucoup de scénarios d’un tel accident, chacun ayant une probabilité très faible qui peut varier fortement au cours de l’Histoire : la prise en compte du risque de guerre ou d’attentat augmente considérablement les probabilités d’occurrence.

Le risque majeur est en grande partie lié aux possibilités de combinaison de différentes causes dans une dynamique d’accident : défaillance matérielle (milliers de systèmes électriques, électroniques et mécaniques) ; défaillance humaine (erreur de conception, difficulté de réponse à des évènements imprévus, mauvaise transmission des compétences, faible qualité du contrôle et de la maintenance) ; agressions externes accidentelles (séisme, tempête, incendie, accident industriel extérieur à la centrale) ; actes de malveillance ou de sabotage, y compris informatiques ; conflits armés.

Or, on sait maintenant, depuis l’accident de Tchernobyl en 1986, en Ukraine (alors république de l’URSS), qu’un accident majeur de ce type dans une centrale nucléaire peut avoir des conséquences dramatiques, aussi bien sur la santé de centaines de milliers d’individus que sur l’environnement de régions très étendues. Les conséquences de Tchernobyl s’étendent dans l’espace, en particulier dans les territoires contaminés d’Ukraine et surtout du Belarus dont on parle peu, et dans le temps, pour les centaines de milliers de « liquidateurs » qui ont été irradiés, comme pour les populations vivant dans des zones contaminées par les rejets radioactifs.

A Three Mile Island, en 1979, aux États-Unis, on s’est trouvé à la limite de la catastrophe (fusion partielle du coeur et dégagement d’hydrogène). La bulle d’hydrogène pouvait bien exploser et le gouvernement a eu raison d’évacuer la population. Heureusement, cet accident n’a pas eu de conséquences autres qu’économiques et industrielles.

A Fukushima, en mars 2011, au Japon, des accidents majeurs se sont produits sur au moins trois réacteurs, mais il est encore beaucoup trop tôt pour en faire un bilan exact car ces accidents sont loin d’être terminés à l’heure où nous écrivons (été 2011), et encore moins pour dresser un bilan des conséquences sur la santé des populations, l’environnement terrestre et marin. Comme à Tchernobyl, cet accident, loin d’être terminé sur place, verra ses ondes de dégradation de l’environnement de la santé et de la vie humaine se propager dans le temps et dans l’espace.

3. LES DECHETS RADIOACTIFS

Deux modes de traitement sont actuellement en vigueur pour la gestion des combustibles irradiés issus des réacteurs nucléaires. La majeure partie des pays stockent les combustibles irradiés en l’état. Si cette solution est sans doute la plus simple et la moins chère à court et moyen terme, elle n’est évidemment pas satisfaisante pour le long terme. Elle offre cependant l’avantage de ne pas présenter les risques nombreux que présente la solution du retraitement des combustibles.

La solution du retraitement des combustibles irradiés est surtout développée et soutenue par la France13 avec le double objectif de production de plutonium et de traitement des déchets. Le retraitement lui-même est une opération chimique complexe en milieu très radioactif et l’usine de retraitement est à haut risque en termes d’accidents ou d’agressions potentielles. D’autre part, cette opération émet des rejets gazeux et liquides dangereux pour la santé comme pour l’environnement (pollution de l’Atlantique Nord). De même, les transports de combustibles irradiés comme des déchets radioactifs et du plutonium sont également des opérations à haut risque. Enfin, le retraitement multiplie les déchets radioactifs de natures diverses, à radioactivité faible mais suffisamment dangereuse pour que l’on se pose la question de leur stockage définitif.

Dans la mesure où tous les combustibles irradiés ne sont pas retraités, en particulier les combustibles mixtes uranium – plutonium (MOX), on doit alors prévoir à la fois des stockages pour les combustibles irradiés non retraités et pour les différentes catégories de déchets issus du retraitement.

A la fin du fonctionnement des centrales nucléaires, une nouvelle quantité considérable de matériaux radioactifs sera également à gérer : ce sont tous les déchets produits par le « démantèlement » des centrales nucléaires. En effet, les centrales nucléaires arrêtées restent des sites à risque radioactif qu’il faut démonter, détruire et dont il faut évacuer et stocker les « débris ».

Pour ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs les plus dangereux (par le niveau de leur radioactivité et, ou par leur durée de vie), la solution officielle proposée en France est l’enfouissement en couches géologiques profondes. Au-delà de la discussion sur la fiabilité technique et de la robustesse à très long terme de cette technique, une telle décision pose un problème éthique majeur : a-t-on le droit d’enfouir ces matières extrêmement dangereuses pendant des millénaires ? Qui nous garantit de l’état de notre pays dans mille ou deux mille ans ? Ne restera-t-il de cette opération dans la mémoire collective que l’idée qu’il y a en ce lieu quelque chose de très précieux qui a été enfoui il y a très longtemps et qu’il faudrait creuser pour le récupérer ?

La solution du retraitement et de l’enfouissement des déchets serait d’autant plus dangereuse qu’elle serait proposée comme une solution « universelle » : allons-nous parsemer la croûte terrestre de ces réserves de poison?

4. LA PROLIFERATION

L’utilisation des matières et des techniques nucléaires à des fins d’agression militaire ou terroriste pose un problème majeur au niveau mondial.

Si l’origine des réacteurs actuels utilisés pour équiper les centrales productrices d’électricité est bien de nature militaire14, on peut considérer que dans la plupart des pays, les programmes civils de construction des centrales n’ont pas de lien direct avec les questions militaires. Il en va tout autrement pour le combustible nucléaire.

La première question porte sur le développement du nucléaire civil au niveau d’un Etat. Le grand argument utilisé par les promoteurs du nucléaire est « l’indépendance nationale ». Si l’on fait même abstraction de la façon dont le pays concerné se procure l’uranium naturel (entièrement importé de l’extérieur pour les pays européens), cette indépendance exige que le pays concerné maîtrise les technologies de fabrication du combustible et par conséquent la technique de l’enrichissement de l’uranium. La technique la plus utilisée actuellement est la diffusion gazeuse qui nécessite de grandes installations et de fortes consommations d’électricité, la technique la plus simple est l’ultracentrifugation qui permet d’atteindre relativement facilement des taux d’enrichissement très élevés. Si le pays s’engage dans le retraitement des combustibles irradiés, toujours à des fins « civiles », il pourra produire du plutonium.

L’enrichissement permet de produire de l’uranium très enrichi en uranium 235 et le retraitement permet de produire du plutonium 239 presque pur : la maîtrise de ces deux techniques ou de l’une d’entre elles permet au pays, lorsqu’il le décidera, de passer rapidement à la fabrication de « bombes atomiques ».

L’agression terroriste utilisant des matériaux nucléaires ou simplement des déchets radioactifs nécessite de se procurer ces matières par vol ou « détournement ». On comprend que si des quantités considérables de déchets radioactifs ou de plutonium étaient transportées à travers toute la planète, une telle opération deviendrait de plus en plus aisée.

Outre les difficultés technologiques, la nécessité d’un très haut niveau d’expertise dans la conduite, la maintenance et la sûreté des réacteurs et des usines, la propagation inconsidérée des technologies nucléaires par leurs promoteurs risque d’accroître de façon considérable le risque de conflit ou d’agression nucléaire.

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[1 Les données énergétiques présentées dans cette note sont issues de la base de données ENERDATA (www.enerdata.eu).]

[2 Pour la production de pétrole brut, on utilise le baril : 1 tonne de pétrole vaut environ 7 barils.]

[3 Les travaux pionniers des économistes de Grenoble, le scénario Noé, le scénario négaWatt pour la France et son triptyque (sobriété énergétique, efficacité énergétique, énergies renouvelables) et de nombreux scénarios européens et mondiaux (Amory Lovins, José Goldemberg et alii).]

[4 Cette quantité de chaleur est improprement appelée « électricité primaire » dans les statistiques officielles.]

[5 L’engagement de réduction des émissions de GES dans le cadre du Protocole de Kyoto est, pour UE 15, de 8% de réduction par rapport à 1990 pour la moyenne annuelle des émissions su la période 2008-2012.]

[6 Les transports aériens ne sont pas touchés.]

[7 Après avis du Comité économique et social européen et du Comité des régions.]

[8 L’objectif a été fixé à 23% pour la France.]

[9 Le gouvernement allemand chiffre à 340 000 le nombre d’emplois consacrés aux énergies renouvelables en 2009, dont 102 000 pour l’éolien, 128 000 pour la biomasse et 81 000 pour le solaire.]

[10 Krümmel, déjà arrêté, ne sera pas redémarré. Un des réacteurs arrêtés en 2011 sera gardé en réserve jusqu’au printemps 2016.]

[11 Décision du gouvernement allemand du 6 juin 2011.]

[12 Extraits de « En finir avec le nucléaire », Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Seuil, octobre 2011.]

[13 Le retraitement des combustibles irradiés est également pratiqué au Royaume-Uni. La technique du retraitement a été développée initialement pour la production de plutonium à des fins militaires.]

[14 Les réacteurs PWR ont été développés dans les années 50 pour équiper les sous-marins nucléaires.]

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