Sureté des centrales nucléaires

Note en support de l’audition du 25 avril par la Commission d’enquête du Sénat sur « Le coût réel de l’électricité ».

Par Bernard Laponche

Les accidents survenus presque simultanément dans la semaine du 2 avril 2012 dans les centrales de Penly et de Saint-Laurent mettent en évidence les incertitudes sur la sûreté des installations nucléaires, notamment du fait de leur vieillissement.

Sur cette question, il m’a paru intéressant de consulter le rapport de mai 2003 de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) sur « La durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteur », par les députés Christian Bataille et Claude Birraux, rapporteurs. Ce rapport de 350 pages[1], à connotation très « pro-nucléaire »[2], présente cependant un certain nombre de points intéressants. La table des matières de ce rapport figure en annexe

Le rapprochement de certains de ces points avec le texte de l’arrêté du 7 février 2012 « fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base » fournit également des enseignements sur l’état de la sûreté nucléaire en France.

Cette note utilise de nombreuses citations : elles figurent en italique.


[1] www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-oecst/i0832.pdf. Une grande partie du rapport est consacrée aux « réacteurs en projet » (à partir de la page 173), sujet qui n’est pas abordé dans cette note.

[2] Comme en témoigne la composition du comité de pilotage, page 243.

 

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Table des matières

1. L’enjeu du vieillissement

1.1 Vision EDF et réserves de l’OPECST :

1.2 Qui décide ?

1.3 La gestion du prolongement du parc

2. La vision de la sûreté nucléaire

2.1 Les difficultés du palier N4

2.2 Qu’en est-il de l’EPR ?

2.3 Les réacteurs de 900 MW

3. Sur la démonstration de sûreté nucléaire

3.1 L’arrêté du 7 février 2012

3.2 Les probabilités d’accident nucléaire selon le rapport de l’OPECST

3.3 Que nous disent les responsables de la sûreté nucléaire ?

3.4 Le coût d’un accident nucléaire grave ou majeur

4. Une situation aggravante pour la sûreté : le combustible MOX

Annexe : Plan du rapport de l’OPECST

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1. L’enjeu du vieillissement

1.1 Vision EDF et réserves de l’OPECST :

p. 90 :

« Comme on l’a vu précédemment, EDF est confiant dans sa capacité à maîtriser les conséquences du vieillissement de ses réacteurs. Tant pour les composants que pour la cuve et l’enceinte, une durée de vie de 50 ou 60 ans est envisagée par l’exploitant ».

Et,

« Mais un autre point clé doit être pris en compte, à savoir le référentiel de sûreté. Les centrales actuellement en fonction seront en effet jugées vers 2015-2020 à l’aune des standards des réacteurs de nouvelle génération ».

1.2 Qui décide ?

p. 91 :

Sous le titre « Sans solution de remplacement disponible, l’inévitable obligation de prolonger les réacteurs au-delà du raisonnable »,

« La durée de vie réelle des réacteurs électronucléaires est une décision qui dépendra au final de l’exploitant, à qui il reviendra de concilier les exigences réglementaires et les impératifs économiques. Ainsi qu’il a été vu plus haut, il est acquis, au vu des positions de l’autorité de sûreté, que les décisions seront prises au cas par cas ».

 

Ce point est extrêmement important : d’après la législation française, cette responsabilité ne revient pas à l’exploitant mais au gouvernement. Ce point doit être réaffirmé (il l’a bien été dans l’audition du Président de l’ASN le 3 avril 2012). On a vu que cette « interprétation » donnant la responsabilité à l’exploitant a été reprise dans la synthèse du rapport « Energies 2050 » de janvier 2012.

 

1.3 La gestion du prolongement du parc

p.95, paragraphe 3 :

Ce paragraphe exprime l’idée de faire fonctionner en base les centrales présumées les plus sûres (paliers 1300 MW et N4 d’après Framatome, pas encore Areva) et d’affecter les réacteurs les plus anciens (palier 900 MW) au suivi de charge (position exprimée également par EDF, M. Roussely).

Mais le rapport écrit :

« Une telle option présenterait toutefois plusieurs inconvénients, dont l’importance fait question. Le suivi de charge serait concentré sur les réacteurs dont le vieillissement est par hypothèse le plus avancé, ce qui risquerait de précipiter leur déclassement ».

 

Ce paragraphe, prudent, confirme la nécessité de faire fonctionner les centrales nucléaires en base, non seulement pour des raisons économiques mais aussi pour des raisons de sûreté.

 

2. La vision de la sûreté nucléaire

2.1 Les difficultés du palier N4

p. 103

« Les réacteurs du palier N4 ont été construits à partir de 1984 à Chooz B1, à partir de 1987 à Chooz B2, à partir de 1991 à Civaux 1 et à partir de 1993 à Civaux 2. Si les mises en service industriel ne sont intervenues qu’en 2000 à Chooz B 1&2 et en 2002 à Civaux 1&2, c’est que la mise au point de ces réacteurs s’est révélée beaucoup plus longue que prévue.

De nombreuses difficultés de mise au point étant survenues sur les grappes de contrôle, sur le circuit de refroidissement du réacteur à l’arrêt, sur le contrôle-commande entièrement numérisé et sur la turbine, les coûts d’investissement des réacteurs N4 ont augmenté de façon considérable. En effet, ces coûts comprennent non seulement les coûts d’ingénierie et de construction proprement dits, mais aussi les intérêts intercalaires correspondant à la durée de financement supplémentaire des investissements et aux frais d’exploitation continuant de courir lorsque le réacteur ne produit pas » .

 

Cette description des difficultés du palier N4 est à rapprocher des déclarations de M. Lacoste, président de l’ASN, lors de son audition du 3 avril 2012. En réponse à la question sur les retards dans la construction de l’EPR, il a expliqué ceux-ci par la nécessité du « re-learning » (réapprendre la construction). On voit ici qu’en pleine continuité des programmes de construction, le palier N4 a accumulé les retards, souvent à cause d’erreurs de conception.

Mais, une fois ces problèmes réglés, pour quoi ne pas avoir poursuivi la construction de réacteurs de ce palier ?

 

p. 104 :

« La raison essentielle est qu’en 1995, l’autorité de sûreté a signifié qu’au-delà des 4 tranches de Chooz et de Civaux, le standard N4 n’était pas acceptable en termes de sûreté pour constituer le réacteur de remplacement du parc électronucléaire français ».

 

2.2 Qu’en est-il de l’EPR ?

Le rapport de l’OPECST ne tarit pas d’éloge sur l’EPR.

Cependant :

a) Rien n’interdit de penser que, vu les nombreuses modifications apportées par rapport au palier N4, les mêmes difficultés pourraient se rencontrer sur ce nouveau modèle, retardant d’autant la mise en service industriel et aggravant les coûts, déjà très supérieurs à ceux du palier N4.

b) Lors de son audition du 4 avril 2012, M. Lacoste a bien rappelé la position de l’autorité de sûreté de l’époque concernant le palier N4, mais il n’a rien dit d’approchant sur l’EPR, or  il avait déclaré au cours de son intervention du 3 avril 2003 (audition publique de l’OPESCT) :

 

p. 281 et 282 :

« Il est évident que nous avons demandé davantage en exigences de sûreté pour le réacteur EPR que pour les réacteurs précédents. Je peux le traduire de façon plus abrupte : nous n’autoriserions pas actuellement la construction d’un réacteur N4.

Et,

« Le deuxième élément est que les exigences de sûreté pour l’EPR seront à revoir si un premier réacteur n’est pas rapidement lancé ».

Et :

« Et nous sommes tout aussi sûrs que si nos collègues américains avaient à licencier un réacteur EPR, ils demanderaient également des choses complémentaires ».

 

Ces deux déclarations posent problème :

– Le « rapidement lancé » est extrêmement vague. Qu’en est-il aujourd’hui puisque l’on sait que les exigences de sûreté pour l’EPR ont été définies bien avant l’attentat du 11 septembre 2001 et l’accident de Fukushima de 2012. Ces deux événements ne peuvent en effet que renforcer la « révision », peut-être drastique, des exigences de sûreté pour un réacteur (et ses successeurs éventuels) dont la durée de fonctionnement serait de 60 ans.

– Aujourd’hui, l’une des exigences de sûreté pour les autorités américaines est qu’un nouveau réacteur résiste au choc frontal d’un avion gros porteur chargé de kérosène (à la suite du 11 septembre). Or, sur ce point, on sait que la réponse a été le « secret défense ».

Voici ce qu’en dit le rapport de l’OPECST, à propos de l’EPR :

 

p. 113 :

« La chute d’un avion militaire a été prise en compte dans le dimensionnement de l’enceinte et dans la bunkerisation du bâtiment réacteur, du bâtiment combustible et de deux bâtiments des auxiliaires de sauvegarde. Afin de prendre en compte le cas de la chute d’un avion de ligne sur la centrale, EDF, qui souligne la séparation géographique des différents bâtiments, renforcera dans une certaine mesure les bâtiments à double enceinte et prendra des dispositions pour éviter la propagation de feux de grande ampleur à l’intérieur des bâtiments restants de l’îlot nucléaire ».

 

Il serait intéressant de savoir si ces mesures exprimées au futur ont bien été appliquées mais, en tout état de cause, le choc frontal cité plus haut ne paraît pas pris en compte.

 

2.3 Les réacteurs de 900 MW[1]

 

a) Ce que dit l’OPESCT

p. 137 :

« C’est en 2002 que l’autorité de sûreté a pris la décision de principe que la durée de fonctionnement des réacteurs de 900 MWe pourrait, sous réserve de résultats probants lors de leur 3ème visite décennale (VD3), être prolongés, au cas par cas, au delà de 30 ans »

Et,

p.138 :

« Par ailleurs, s’agissant de la prolongation de la durée de vie pour 10 années supplémentaires, le processus de décision de l’autorité de sûreté comprend deux étapes, la première étant une décision de principe pour l’ensemble des réacteurs d’un palier et la deuxième étant liée aux visites décennales »

 

On voit apparaître à nouveau la confusion des responsabilités de l’autorité de sûreté et du gouvernement, d’autant qu’à l’époque, la sûreté était confiée à une direction générale de l’administration.

 

 

b) Opinion tempérée par :

p. 296, allocution de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l’industrie, le 3 avril 2003 :

« Je tiens toutefois à souligner qu’il n’existe aujourd’hui aucune certitude sur la durée de vie des centrales actuellement en exploitation. Nous ne disposons que de fortes probabilités et nous ne saurons pas avant 2010, 2015 si l’autorité de sûreté autorisera l’ensemble des centrales à fonctionner jusqu’à quarante ans, et logiquement pas avant 2020, 2025 pour un fonctionnement jusqu’à cinquante ans voire soixante.

 

L’audition de M. Lacoste du 3 avril 2012 a bien confirmé cette incertitude ; chaque réacteur sera jugé au cas pas cas.

 

c) De la responsabilité politique créée par la dépendance nucléaire

Dans son audition du 3 avril 2012, M. Lacoste a exprimé la situation d’opposition possible entre la sûreté nucléaire et la nécessité de la fourniture d’électricité. Il l’exprimait déjà de façon très claire lors de son allocution du 3 avril 2003 :

 

p. 280 :

« Mais si vous cumulez ces deux points : 80% de l’électricité nucléaire, 58 réacteurs de la même famille, cela nous conduit, nous, autorité de sûreté nucléaire, à quelque chose qui est une véritable obsession, et je prends le terme obsession au sens fort du terme : cela nous obsède. L’obsession est l’apparition d’un problème de sûreté générique et grave. Pour illustrer mon propos, en cas de problème générique et grave, je serais conduit à aller voir le Premier ministre et à lui dire : « Monsieur le Premier ministre, vous avez le choix entre deux décisions possibles : première version, on coupe l’électricité ; deuxième version, on continue à faire fonctionner le parc nucléaire d’EDF dans un mode dégradé ». ce n’est pas le genre de circonstances dans lesquelles je souhaite que moi-même ou mon successeur, nous nous trouvions ».


[1] Puissance électrique de l’ensemble réacteur + turbo-alternateur.

 

3. Sur la démonstration de sûreté nucléaire

3.1 L’arrêté du 7 février 2012

Le Titre III de l’arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base[1] (INB) traite de la « Démonstration de sûreté nucléaire ».

Il est intéressant d’analyser ce texte en s’appuyant sur le rapport de l’OPESCT précédemment cité ainsi que sur un certain nombre de références et de déclarations plus récentes.

Le texte de l’arrêté détaille de façon très complète, toutes les obligations de l’exploitant afin de démontrer la sûreté de l’installation  du point de vue de son fonctionnement mais aussi vis-à-vis des agressions internes et des agressions externes, cet ensemble étant présenté de façon très détaillée.

La démonstration de sûreté nucléaire doit être d’abord faite par une « démarche déterministe prudente » (on imagine toutes les situations accidentelles et agressions possibles et l’on montre les parades prévues), mais aussi par une approche probabiliste qui apparaît à deux reprises :

 

– Dans l’article 3.3 :

« La démonstration de sûreté nucléaire comporte en outre, sauf si l’exploitant démontre que ce n’est pas pertinent, des analyses probabilistes des accidents et de leurs conséquences ».

 

– Dans l’article 3.9 :

« La démonstration de sûreté nucléaire doit justifier que les accidents susceptibles de conduire à des rejets importants de matières dangereuses ou à des effets dangereux hors du site avec une cinétique qui ne permettrait pas la mise en œuvre à temps des mesures nécessaires de protection des populations sont impossibles physiquement ou, si cette impossibilité physique ne peut être démontrée, que les dispositions mises en œuvre sur ou pour l’installation permettent de rendre ces accidents extrêmement improbables avec un haut degré de confiance ».

 

Malgré l’ambiguïté de la première formulation (« sauf si l’exploitant démontre que ce n’est pas pertinent… »), on voit bien que, in fine, on a besoin de l’estimation d’une probabilité pour juger de la qualité d’une installation (ou d’un type ou modèle de réacteur) vis-à-vis du risque d’accident nucléaire.

Que peut-on dire alors de ces probabilités et de la confiance que l’on peut leur accorder ?

 

3.2 Les probabilités d’accident nucléaire selon le rapport de l’OPECST

A propos de la sûreté de l’EPR, le rapport de l’OPECST nous dit :

p. 111 :

« Au final, la probabilité de fusion du cœur est ainsi de 3,6.10-7 par réacteur.an[2], hors agressions, soit un progrèsd’un facteur 15 par rapport au palier N4. Toutes agressions internes prises en compte, elle est égale à 10-6 par réacteur.an et à 10-5 par réacteur.an en incluant les agressions externes ».

 

Prenons ces probabilités comme base du raisonnement suivant.

Une probabilité de 10-5 réacteur.an pour l’EPR signifie par conséquent une probabilité de 10-5 x 15 = 1,5 x 10-4 pour les réacteurs du palier N4.

On pourrait probablement augmenter cette probabilité pour les réacteurs de 900 MW, mais le rapport ne dit rien sur ce point et nous supposons que cette probabilité s’applique aux 58 réacteurs en fonctionnement aujourd’hui[3].

Si l’on suppose une durée de fonctionnement de 40 ans pour ces 58 réacteurs, l’occurrence « attendue » d’un accident nucléaire avec fusion du cœur correspondant à une telle probabilité serait alors:

1,5 x 10-4  x 58 x 40 = 0,35 accident

Ce qui est loin d’être négligeable.

Sans prendre partie sur la validité des valeurs présentées par le rapport de l’OPECST, voilà ce qu’elles signifient.

 

3.3 Que nous disent les responsables de la sûreté nucléaire ?

Pour juger des questions de sûreté liées à celle de l’allongement de la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires au-delà de leur durée prévue au moment de leur conception, soit trente ans, consultons les témoignages de ceux qui sont responsables de la sûreté nucléaire.

 

a) L’IRSN définit dans son rapport « R&D relative aux accidents graves dans les réacteurs à eau pressurisée : bilan et perspectives »[4]  ce que l’on entend par accident grave et présente l’objectif des recherches sur la sûreté relative à cet accident.

On y lit :

« La recherche concerne les réacteurs en fonctionnement et les réacteurs futurs. Les phénomènes de base sont les mêmes pour les réacteurs à eau sous pression actuels ou en projet. Toutefois, dans le cas des centrales existantes, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception. Les modifications envisageables de l’installation sont donc restreintes et les recherches menées dans ce cadre ont essentiellement pour objectif de trouver des moyens de limiter les conséquences d’un éventuel accident grave ».

 

b) Cette situation est à mettre en regard de la position de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) :

 André-Claude Lacoste, président de l’ASN, audition parlementaire du 30 mars 2011.

« La position constante de l’ASN a toujours été la suivante : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais en France un accident nucléaire. Je dis ce que je dis, et je répète une position constante de l’ASN française ».

Position confirmée par M. Lacoste lors de son audition du 3 avril 2012.

 

c) Jacques Repussard, Directeur général de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) dans Le Monde du mercredi 6 avril 2011.

« Sur le parc mondial, 14 000 années-réacteur sont déjà passées, et les statistiques montrent qu’on est à 0,0002 (2 x 10-4) accident nucléaire grave par an, soit vingt fois plus qu’attendu selon les études probabilistes, qui ne savent pas bien prendre en compte l’aléa naturel et le facteur humain. Le nucléaire fait jeu égal avec l’industrie chimique. C’est insuffisant. On peut donc se poser la question : l’homme est-il en mesure de maîtriser cette technologie pour diviser au moins par deux ce risque d’accident ? Y a-t-il une barrière ?

Ce serait une conclusion inquiétante, car cela signifierait qu’avec 1 000 réacteurs installés, un accident nucléaire grave se produirait en moyenne tous les dix ans, ce qui n’est pas supportable ».

 

Ce calcul est basé sur trois accidents graves ou au-dessus (Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima compté comme un seul accident). Notons qu’en faisant le même calcul pour les quatre réacteurs ayant connu un accident majeur (un à Tchernobyl et trois à Fukushima, on trouve un rapport d’environ 300 et non 20) car la probabilité estimée pour un accident majeur est dix fois inférieure à celle pour un accident grave (prise par J. Repussard dans son calcul). D’autre part, si les trois accidents qui ont détruit les réacteurs de Fukushima ne sont pas dus à des causes indépendantes, il serait normal que les probabilités d’accidents prennent en compte le fait qu’il y a en général plusieurs réacteurs sur un même site.

 

d) J. Repussard, Journal du Dimanche (JDD) du 1er janvier 2012 :

Qu’a révélé votre audit post-Fukushima sur la sûreté des centrales françaises?


« Celles-ci ne prennent pas en compte des scénarios comme Fukushima avec une perte totale d’eau et d’électricité. EDF propose des moyens de secours sous vingt-quatre heures mais on ne peut pas attendre tant de temps. Un séisme pourrait provoquer des accidents sérieux sur certains sites comme à Fessenheim et au Bugey. Les sites des vallées du Rhône et de la Loire doivent surélever leurs digues pour se protéger de fortes inondations ».

Et,

La centrale de Fessenheim est pointée du doigt. La fermerez-vous?

« Depuis plusieurs années, nous disons qu’il faut renforcer son radier [dalle sous le réacteur] pour éviter une fuite en cas d’accident. Si EDF ne réalise pas ces travaux, il faudra fermer la centrale. Il n’est plus admissible que ces sujets retombent dans l’oubli. Cela nécessite des arbitrages économiques en faveur de la sûreté. Mais il ne faut pas non plus « sacraliser » la fermeture d’un réacteur. (Si) la France choisit de rester dans le nucléaire, il faudra construire de nouvelles centrales et donc arrêter les anciennes au fur et à mesure ».

e) Avis de l’IRSN[5] sur la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MW :

« L’IRSN en conclut qu’à VD3+5 ans, le risque de rupture brutale n’est pas exclu pour les cuves des réacteurs de Dampierre 4, Cruas 1, Cruas 2, Saint-Laurent B1 et Chinon B2 en cas de situations incidentelles et accidentelles… Les marges à la rupture sont également insuffisantes à VD3 + 5 ans pour les cuves de Saint-Laurent B1 et de Bugey 5 qui sont affectées de défauts ».

(VD3 : troisième visite décennale).

 

3.4 Le coût d’un accident nucléaire grave ou majeur

Dans son rapport « les coûts de la filière électronucléaire » du 13 février 2012, la Cour des comptes, dans le chapitre consacré aux questions d’assurance du risque d’accident grave ou majeur indique :

« Les estimations de l’IRSN donnent un coût moyen compris entre 70 Md€ pour un accident modéré sur un réacteur comme celui qui s’est produit à Three Mile Island en 1979 et 600 à 1000 Md€ pour un accident très grave comme ceux de Tchernobyl ou de Fukushima » .

Ces valeurs ont été confirmées par M. Lacoste lors de son audition le 3 avril 2012.

Rappelons que le coût de l’accident « modéré » de Three Mile Island estimé à 70 Md€ est de l’ordre de grandeur de l’investissement pour la construction de tout le parc nucléaire actuel estimé par la Cour des comptes à 96 Md€.



[1] Legifrance.gouv.fr, JORF n* 0033 du 8 février 2012 page 2231, texte n°12.

[2] « réacteur.an » : 1 réacteur fonctionnant pendant 1 an.

[3] Un évaluation des probabilités comparées pour les paliers 900 MWe, 1300 MWe et N4 serait très probablement nécessaire. Faute d’information sur ce point, nous avons appliqué à tout le parc des centrales nucléaires françaises en fonctionnement les probabilités attribuées par l’OPECST au palier N4 à partir de celles relatives à l’EPR.

[4] La Documentation française, janvier 2007. Rapport rédigé conjointement par l’IRSN et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique).

[5] Avis DSR_2010-153 du 19 mai 2010.

 

4. Une situation aggravante pour la sûreté : le combustible MOX

Un combustible MOX neuf est composé d’environ 7 % à 9 % de plutonium issu du retraitement des combustibles irradiés et de 91 à 93 % d’uranium appauvri. L’activité « alpha et bêta » du MOX est complètement dominée par celle du plutonium. L’activité « alpha » est, elle, dominée par celle du plutonium 238, tandis que l’activité totale est essentiellement constituée par l’activité bêta du plutonium 241. L’activité de 1 kg de MOX avant irradiation est de l’ordre d’un million de fois plus importante que celle d’un kg d’uranium naturel. Elle est, bien entendu, renforcée après irradiation par l’apparition de produits de fission. Il reste par ailleurs entre 3 % et 5 % de plutonium dans le MOX après utilisation, soit trois à cinq fois plus que dans le combustible à l’uranium usé. Après irradiation, la radioactivité et le niveau de dégagement thermique du combustible MOX sont globalement jusqu’à quatre à cinq fois supérieurs à ceux du combustible équivalent à l’uranium irradié. Les combustibles MOX doivent de ce fait rester beaucoup plus longtemps en piscine proche du réacteur que les combustibles initialement à l’uranium (durée minimales : 1,5 ans pour le MOX contre 6 mois pour le combustible classique). Les combustibles MOX irradiés ne sont pas retraités.

 

L’utilisation du combustible MOX, outre les dangers présentés au stade du transport de plutonium et des installations de production de ces combustibles, présente des risques accrus dans le fonctionnement des centrales et en cas d’accident :

– Du fait de sa plus grande radioactivité alpha, un élément neuf de combustible MOX a une température de surface (paroi de la gaine du combustible) de 80 degrés, alors qu’un combustible neuf à l’uranium est à la température ambiante. Le maniement des combustibles neufs MOX nécessite donc des équipements particuliers et rend la manipulation des combustibles plus difficile lors du chargement et du déchargement.

– La présence de combustibles MOX dans un réacteur qui contient déjà de l’uranium rend le contrôle plus délicat et réduit l’efficacité des barres de contrôle.

– La température de fusion de l’oxyde de plutonium est plus basse que celle de l’oxyde d’uranium.

– En cas de détérioration et de fusion des combustibles, le risque d’emballement de la réaction en chaîne, qu’on appelle le risque de « criticité », est plus grand car la masse critique du plutonium pouvant amener à une explosion atomique est le tiers de celle de l’uranium 235. Ce risque de criticité existe aussi dans les usines de fabrication du combustible MOX ou dans les usines de retraitement. Il est également présent dans les piscines de stockage des combustibles irradiés en cas de perte du refroidissement, de détérioration et de fusion de combustibles.

– La quantité de plutonium est beaucoup plus importante dans un combustible MOX que dans un combustible uranium. En cas de détérioration ou de fusion du cœur, ou d’explosion ou d’incendie dans le cœur ou dans les piscines de stockage, la quantité de plutonium pouvant être projetée dans l’environnement, qu’il s’agisse d’un combustible usé ou plus encore s’il est neuf, sera donc beaucoup plus importante.

 

Non seulement le MOX rend donc le réacteur plus difficile à piloter mais encore, en cas d’accident, sa présence facilite la mise à nu des combustibles (davantage de chaleur donc davantage d’évaporation de l’eau), la détérioration et la fusion des combustibles dans le réacteur lui-même et dans les piscines des combustibles irradiés. Enfin en cas d’émissions radioactives comme à Fukushima, des particules de plutonium peuvent être dispersées dans l’environnement. Du combustible MOX avait été chargé récemment dans des réacteurs japonais, dont le réacteur 3 de la centrale de Fukushima Daiichi au Japon. Tandis que le gouvernement japonais annonçait le 7 juin 2011 que les cœurs des trois réacteurs accidentés de cette centrale avaient fondu et que leurs cuves pouvaient être percées, des traces de plutonium ont été détectées pour la première fois sur le sol autour de la centrale.[Y21]

L’arrêt de l’utilisation du combustible MOX et de l’extraction du plutonium des combustibles irradiés sont donc des mesures immédiates qui doivent être envisagées afin de réduire les risques d’accident grave. Le MOX n’est en effet nullement indispensable à la production d’électricité du parc actuel (ni dans le cas d’un EPR).


 [Y21]Pas d’accord avec ce lien : de mémoire, j’avais calculé que le plutonium des 32 assemblages MOX chargés dans le réacteur n°3 représentaient environ un millième de l’inventaire de plutonium dans tout le combustible sur le site, donc la présence de ce plutonium autour du réacteur n’a pas de lien direct avec le MOX.

 

Annexe :  LA DURÉE DE VIE DES CENTRALES NUCLÉAIRE ET LES NOUVEAUX TYPES DE RÉACTEURS

par

MM. Christian Bataille et Claude Birraux, Députés

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