Eric Besson et le coût astronomique de la sortie du nucléaire en Allemagne

Après les déclarations du Figaro (la sortie du nucléaire coûterait 750 milliards), voici le nouvel étendard des pro-nucléaires et pro-fossiles : « 1700 milliards d’euros ». Ce serait le « coût » de la « sortie du nucléaire » de l’Allemagne d’après Siemens. Ce chiffre est repris systématiquement par le Ministre de l’Energie Eric Besson, qui raconte n’importe quoi, une fois de plus.

Sur les déclarations de SIEMENS

Les déclarations attribuées à Siemens par la presse et largement reprises par certains politiques sont très éloignées du message que l’entreprise a voulu mettre en avant. A aucun moment, Siemens ne parle du « coût » de la sortie du nucléaire, mais bien de l’évaluation des besoins d’investissement pour l’ensemble du secteur électrique. Ce qui veut dire que :

  • les 1700 milliards d’euros ne concernent pas spécifiquement le nucléaire ou les énergies renouvelables, mais l’ensemble de la production électrique et les infrastructures nécessaires (gaz, charbon, renouvelables, nucléaire, réseaux…) d’ici 2030;
  • le 1700 milliards n’est pas un « coût » mais un « investissement » nécessaire. Les « investissements » sont réalisés parce qu’ils sont économiquement viables : à une dépense d’investissement est associée une recette de retour sur investissements;
  • Le chiffre de 1700 milliards n’a de sens qu’en le comparant aux investissements d’un autre scénario énergétique, afin d’évaluer le différentiel entre les deux. Ce faisant, Siemens affirme que même sans sortie du nucléaire, il faudrait financer le système énergétique allemand à hauteur de 1418 milliards d’euros;
  • Selon Siemens, la différence marginale entre les deux scénarios se situe dans une fourchette entre 11 et 252 milliards d’euros selon les options technologiques retenues. Des chiffres nettement plus raisonnables et proches d’autres estimations équivalentes sur les besoins d’investissement (KfW, RWE);
  • Siemens n’inclut pas dans ce chiffrage le coût du démantèlement, évalué à plusieurs dizaines de milliards d’euros. En toute logique, celui-ci devrait être intégré au coût du nucléaire et non à celui de la transition, ce qui rapprocherait davantage les deux estimations.

C’est d’ailleurs le sens d’un correctif que Siemens a tenu à faire connaître dans un communiqué de presse.

En résumé, en aucun cas, le chiffre de Siemens ne peut être mis sur le dos de la « sortie du nucléaire » : il est scandaleux que M. Besson l’utilise ainsi.

Enfin, la grande faiblesse de cette annonce reste l’absence d’une étude détaillée pour évaluer les hypothèses prises, ce qui empêche de comprendre les détails. D’autres études d’acteurs tout aussi sérieux sont elles beaucoup plus transparentes, ce qui permet notamment d’évaluer le périmètre d’investissements pris en compte.

Ce que dit la KfW

La KfW est un investisseur institutionnel allemand, comparable à la Caisse des Dépôts et Consignations en France.

La KfW s’est prêtée à un exercice similaire d’évaluation des besoins d’investissement pour la réalisation de la transition énergétique. Là encore, il ne s’agit ni d’un « coût », ni d’un « surinvestissement », mais seulement de lister les besoins d’investissements (certains étant nécessaires, quel que soit le choix relatif au nucléaire) sur tous les postes relatifs au secteur électrique, que ce soit au niveau de l’offre ou de la demande.

La KfW estime ces besoins à 250 milliards sur les 10 ans à venir. Dans le détail, il faudra 206 milliards pour les énergies renouvelables, 17 milliards pour l’efficacité énergétique, 10 à 30 milliards pour les réseaux et le stockage, et 6 à 10 milliards pour des centrales à gaz.

Ce que dit le Ministère fédéral de l’économie et des technologies

Avant la décision du 30 juin 2011 visant à anticiper la sortie du nucléaire, le ministère de l’économie allemand a commandé une étude indépendante auprès de trois instituts (EWI, GWS, Prognos) afin d’évaluer l’impact de la sortie du nucléaire par rapport à un scénario de prolongation jusqu’en 2036.  Les résultats sont sans appel et discréditent quelque peu le chiffrage de Siemens :

Selon cette étude le surcoût lié à la production d’électricité dans le scénario de sortie du nucléaire en 2022 est de 16,4  milliards d’euros cumulés entre 2010 et 2030.

Ce chiffrage concerne uniquement les facteurs sensés diverger entre les deux scénarios, d’autres éléments comme les investissements dans l’efficacité énergétique ne sont pas pris en compte.

Ce que dit l’opérateur électrique RWE

RWE, un groupe industriel et l’un des plus grands opérateurs électriques allemands jusque-là opposé à la transition énergétique, a brandi le chiffre de 300 milliards d’euros, soit une somme très proche de l’analyse de la KfW et nettement inférieure au chiffrage de Siemens.

Concernant le « coût » pour le consommateur

Si l’on s’intéresse à ce que paiera le consommateur pour l’électricité, la ZSW a montré dans une étude de 2011 qu’il y a un surcoût au départ mais que les énergies renouvelables permettent ensuite de réduire très fortement les coûts pour le consommateur et pour l’ensemble de l’économie. A partir de 2025 environ, la transition énergétique sera source d’une rente croissante qui viendra récompenser les investissements engagés au départ.

Surcoût et rente des énergies renouvelables par rapport au prix de marché

En rouge : investissements préalables. En vert : Bénéfices pour l’économie nationale. Axe Y : Surcoût des renouvelables en milliards d’euros. Source : ZSW 2011

Conclusion

L’argument du « coût » du nucléaire, favori de M. Besson, relève d’un manque accablant de sérieux et de rigueur analytique. Les analyses sont têtues : que nous sortions du nucléaire ou que nous y restions, il va falloir investir massivement. Nous avons donc l’occasion de choisir les investissements que nous voulons faire : rester dans le monde d’aujourd’hui ou s’engager dans celui de demain ?

Remonter