En Bretagne, l’autonomie énergétique en marche
Au centre de la Bretagne, la communauté de communes du Mené vise l’autonomie énergétique en 2025.
Jacky Aignel regarde les grutiers hisser les pales en haut du mât : « Depuis le temps qu’on attendait… » L’éolienne se dresse enfin, mardi 19 mars, sous les yeux du maire de Saint-Gouëno : le résultat de longues années d’efforts pour cette petite commune des Côtes-d’Armor.
L’Enercon E53, d’une puissance de 850 kilowatts, première d’une série de sept, n’est pas une éolienne comme les autres : elle résulte d’un savant montage financier visant à associer les habitants à l’investissement, afin que les retombées économiques soient bien locales.
Dès 2008, la société d’investissement coopératif Cigale a été créée. Ce sont maintenant 127 personnes qui contrôlent, ensemble, 30 % de l’investissement du parc. L’éolien participatif n’est qu’un volet de la politique énergétique de la communauté de communes du Mené, qui unit les 6 500 habitants de Saint-Gouëno et de six autres communes du centre de la Bretagne.
Sur ce territoire rural, on peut tracer un circuit conduisant d’une chaufferie à bois (fourni par les forêts avoisinantes) alimentant un réseau de chaleur, au Gouray, à une usine de méthanisation à Saint-Gilles-du-Mené, puis vers l’huilerie d’agrocarburants de Saint-Gouëno, avant d’admirer une maison passive à panneaux solaires à Plessala.
OBJECTIF : ÊTRE AUTONOME ÉNERGÉTIQUEMENT EN 2025
Autant d’éléments qui doivent permettre à la communauté d’atteindre son objectif : être autonome énergétiquement en 2025, c’est-à -dire produire de quoi couvrir sa consommation annuelle de 22 000 tonnes équivalent pétrole (sans doute moins à l’avenir, si la politique d’économies d’énergie porte ses fruits). En ces temps de débat national sur la transition énergétique, Le Mené est devenu un exemple de mélange d’énergies renouvelables et de décentralisation de la production que des élus de toutes les régions viennent visiter avec curiosité.
Tout est parti en 1999 du projet d’un groupe d’éleveurs porcins d’édifier une usine de méthanisation capable de digérer leur production de lisier : cette technique transforme en méthane, par fermentation, les excréments animaux. Une réflexion sur l’énergie s’est rapidement greffée à cette idée.
« Nous sommes dans l’un des cantons les plus pauvres de Bretagne, explique Jacky Aignel. En tant que paysan, je cherche à travailler le plus possible en autonomie. Et je savais bien que l’énergie peu chère finirait un jour. »
« CRÉER DES EMPLOIS QUALIFIÉS »
Une autre préoccupation a joué : l’activité locale dépend d’un grand abattoir qui emploie 2 500 personnes, Kermené, filiale du groupe Leclerc. L’énergie pourrait être un axe de diversification, ont pensé les élus. En 2005, certains se sont rendus à Gussling, en Autriche, une commune engagée depuis quinze ans dans une démarche d’autosuffisance énergétique.
« On est revenus convaincus qu’avec les déchets, les ressources de la biomasse, le vent, le soleil on pouvait faire une diversification économique à côté de Kermené, raconte Michel Fablet, maire du Gouray. Et que cela permettra de créer des emplois qualifiés. »
Après le voyage, élus et citoyens, aidés du polytechnicien Marc Théry, ancien président d’une grande entreprise, ont décidé de lancer dix projets énergétiques, qui peu à peu se sont concrétisés.
Tout n’a pas été aisé. « La superposition des structures administratives qui ralentissent les prises de décision », observe Jacky Aignel, a été un frein puissant dans l’avancement des dossiers. Les règles de l’Autorité des marchés financiers n’ont pas facilité le montage de la coopérative éolienne. Les lobbys des agrocarburants et des engrais ont mis des bâtons dans les roues de l’huilerie et de l’usine de méthanisation.
« ON NE PEUT PAS DIRE QU’IL Y AVAIT FOULE »
Autre difficulté : susciter la participation des habitants. « On a fait des réunions dans chaque village, raconte Michel Faiblet, on ne peut pas dire qu’il y avait foule. Il faut trouver d’autres domaines, comme l’habitat, qui concerne tout le monde. » C’est peut-être par les économies d’énergie dans le logement que l’intérêt des administrés se réveillera. « Mais, selon Marc Théry, il est beaucoup plus compliqué d’économiser 2 000 tonnes équivalent pétrole en consommation d’énergie que de faire des parcs éoliens. »
Les conditions économiques pèsent lourd : « On vise à réhabiliter 90 maisons, dit Michel Faiblet, afin de réduire leur consommation de 30 %. Les subventions couvrent 60 % des travaux, le reste est en prêt à taux zéro, mais ce prêt, les gens ont du mal à le souscrire. »
Les difficultés n’empêchent pas d’avancer. « Le plus fabuleux, ce n’est pas les bouts de tôle, c’est l’aventure humaine. Ce qu’on cultive, c’est des liens », conclut Dominique Rocaboy, éleveur de porcs et directeur de l’usine de méthanisation Geotexia.
Source: Reportage Hervé Kempf.