Tribune Nicolas Hulot : « Taxation financière : la France doit se battre »

Dans une Tribune publiée par Libération, Nicolas Hulot, avec Claire Fehrenbach (Oxfam) reviennent sur une nécessité et un combat : la taxe financière et la transparence des multinationales.

 

Face à une économie débridée, Paris doit convaincre ses partenaires européens de mettre en place une taxe et d’instaurer une transparence comptable des multinationales d’ici l’été.

Le «Vieux Continent» a vu, entre 2009 et 2013, 7,5 millions de personnes supplémentaires basculer dans une situation économique si critique qu’elle les rend incapables de subvenir à leurs besoins économiques de base. L’Europe compte aussi 123 millions de personnes – soit près d’un quart de sa population – risquant de tomber dans la pauvreté et l’exclusion sociale. A cette situation dramatique qui touche des millions d’Européen-ne-s, fait face la richesse, toujours plus grande, d’une élite puissante et fortunée : selon le Crédit suisse, en 2014, les 1 % d’Européen-ne-s les plus riches détiennent près d’un tiers des richesses du continent. Au même moment, le recours massif aux paradis fiscaux et réglementaires se développe et un chiffre donne à lui seul le vertige : 1 000 milliards d’euros, le manque à gagner annuel de l’Union européenne (UE) du fait de la fraude et de l’évasion fiscale.

Alors que le projet européen est remis en cause, que de nombreux pays de l’Union sont en proie à la montée des discours individualistes et nationalistes, il faut redonner du sens à l’Europe et montrer, de manière très concrète, aux citoyennes et citoyens européens en quoi l’UE peut fédérer les énergies, favoriser les collaborations, défendre la cohésion sociale et réguler l’économie au service de l’intérêt général. En plein débat sur le Brexit, et dans la foulée des Panama Papers, la France doit porter auprès de ses partenaires deux dossiers qui pourraient ainsi retisser les fils de la confiance entre les peuples et les institutions européennes : la conclusion de l’accord sur la taxe sur les transactions financières (TTF) et la réponse de l’UE à l’évasion fiscale. La France peut devenir la championne d’Europe de la justice fiscale et convaincre ses partenaires européens d’adopter ces deux mesures essentielles pour réguler la finance folle qui nuit à l’économie tout en rétablissant la justice fiscale.

 

La taxe sur les transactions financières, c’est maintenant

La première de ces mesures porte sur la taxe sur les transactions financières. Alors que le scandale international des Panama Papers a dévoilé un système industriel d’évasion fiscale, il a aussi rappelé la forte présence des banques et fonds d’investissement dans les paradis fiscaux. La finance dérégulée est en effet au cœur de l’évasion fiscale et porte une lourde responsabilité dans l’accroissement des inégalités, alors que l’on vient d’apprendre que la Société générale, BNP Paribas et Natixis comptent 368 banquiers millionnaires, soit une centaine de plus en un an. Nous attaquer aux inégalités implique donc impérativement de remettre la finance dans le bon sens.

C’est là tout le rôle de la taxe sur les transactions financières en discussion au sein d’une coopération renforcée de dix Etats membres : lutter contre la spéculation financière en taxant les banques et fonds d’investissement spéculatifs qui réalisent des transactions à court terme sur les marchés financiers et présentent des risques systémiques majeurs. Les grandes richesses internationales qui utilisent les marchés financiers et les paradis fiscaux afin d’accroître toujours plus leurs revenus, au détriment des populations les plus pauvres, sont elles aussi concernées par la TTF. La mise en place d’une «taxe Robin des bois», qui n’est ni plus ni moins qu’un impôt progressif et redistributif, engendrera des recettes qui permettront de lutter contre les inégalités et de financer la solidarité internationale.

Outre son objectif de justice sociale, la TTF permettra, enfin, d’ébranler la finance offshore. Les banques réalisent des transactions très spéculatives depuis les paradis fiscaux, comme celles portant sur les produits dérivés, que Warren Buffet qualifie d’«armes de destruction massive». Or, avec le principe de résidence proposé par la Commission européenne, la TTF sera applicable à toute transaction financière, y compris sur les dérivés, dès lors qu’elle est associée à au moins une institution financière située dans l’un des dix pays membres de la coopération renforcée. Les grandes banques telles que BNP Paribas, Deutsche Bank ou Barclays, championnes européennes de la spéculation financière, bien qu’elles réalisent ces transactions via les paradis fiscaux, paieront donc la TTF.

Plus d’une quarantaine de taxes sur les transactions financières existent dans le monde, du Brésil à Taiwan en passant par la Grande-Bretagne. Les Etats-Unis et la Chine réfléchissent aussi à en adopter une… Il est temps que la France, comme elle s’y est engagée, prenne les devants et conclue avec le reste des pays européens engagés dans cette dynamique l’accord sur la TTF d’ici l’été. Pour véritablement lutter contre les inégalités et que l’Europe témoigne de sa solidarité avec les plus pauvres, les recettes de cette taxe devront servir à financer la lutte contre le changement climatique et les objectifs de développement durable, dont la santé mondiale.

 

Pour la transparence comptable des multinationales

Après la taxe sur les transactions financières, la seconde mesure que la France doit défendre pour mettre fin à l’ère des paradis fiscaux et aux inégalités, c’est le reporting public pays par pays pour les grandes entreprises de l’UE. En donnant un éclairage sur les activités réelles des entreprises dans chaque pays, les bénéfices qu’elles y déclarent et les impôts qu’elles y paient, le reporting public pays par pays permettra de révéler les différents montages utilisés par les entreprises pour réduire leur contribution à la société. Il permettra aussi de progressivement mieux recouvrer l’impôt et, à terme, de lutter contre les inégalités via les marges de manœuvre budgétaires ainsi dégagées pour des politiques publiques ambitieuses.

Les grandes entreprises sont en effet les premières à tirer parti du nivellement par le bas engendré par la concurrence des paradis fiscaux et d’un cadre législatif européen trop laxiste sur l’évasion fiscale. Ainsi, parmi les 200 plus grandes multinationales du monde, neuf sur dix sont présentes dans au moins un paradis fiscal, révélant leur recours abusif aux pratiques fiscales dommageables. Cette situation est préjudiciable à tous. En France, on estime que l’évasion fiscale représente annuellement un manque à gagner compris entre 40 et 60 milliards d’euros par an. Elle représente à l’échelle de l’Europe des pertes qui privent les Etats de recettes fiscales considérables. Plus que jamais, l’heure est à la transparence, une étape essentielle dans la lutte contre l’évasion fiscale.

La Commission européenne vient de mettre une proposition sur la table à cet égard, mais celle-ci est loin d’être à la hauteur des enjeux : une minorité de très grosses entreprises serait concernée et des territoires en dehors de l’UE (dont nombre de paradis fiscaux et la majorité des pays en développement) resteraient des «trous noirs» fiscaux dans lesquels les entreprises, y compris européennes, pourraient déclarer des bénéfices là où les taux d’imposition sont les plus faibles. La France a l’occasion de définir un standard élevé et de peser sur l’ambition européenne en intégrant à la loi sur la transparence de la vie économique, sur lesquels les parlementaires vont se pencher dans les prochains jours, une obligation large – tant concernant le nombre d’acteurs, les territoires couverts ou le type d’information à fournir – en matière de reporting public pays par pays.

L’Europe est aujourd’hui à un carrefour. Une voie lui est ouverte pour remettre l’humain et sa population au cœur de ses préoccupations et tourner le dos à une économie dérégulée au service des 1 % les plus riches. Cette voie demande courage et détermination. Gageons que la France saura se montrer à la hauteur de l’enjeu et montrera le chemin à l’Union européenne.

Nicolas HULOT Président de la Fondation Nicolas Hulot , Claire Fehrenbach Directrice générale d’Oxfam France

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