Projet Loi de Finances 2013 : « Il nous faut éviter tout à la fois le gouffre de la dette et celui de l’effondrement de l’action publique »

Monsieur le président,

Monsieur le ministre,

chers collègues,

Je souhaite placer mes propos dans la continuité de mon intervention concernant le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Élaborer la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 ainsi que la loi de finances initiale pour 2013 est un exercice périlleux, qui consiste à concilier les contraires.

Nous devons trouver le moyen de concilier des exigences apparemment contradictoires : réduire la dette d’une part, et d’autre part maintenir l’activité économique, et donc assurer un emploi et un revenu au plus grand nombre des Français. Il nous faut éviter tout à la fois le gouffre de la dette et celui de l’effondrement de l’action publique, qui mènent tous deux à la même conséquence : l’austérité.

Je veux le dire ici avec force, une fois encore : la gauche que nous incarnons, parce qu’elle est écologiste, considère la dette financière comme un véritable fléau, tout simplement parce que c’est la dette qui conduit à la diète budgétaire et à l’austérité. Elle maintient les taux d’intérêt à des niveaux élevés qui paralysent l’économie et condamnent les plus modestes à le rester, pendant que les détenteurs de la dette voient grossir leurs plus-values. La dette est l’ennemie des plus modestes et des innovateurs, parce qu’elle génère de l’austérité. Nous devons aussi expliquer cela à nos concitoyens. C’est pour eux que nous devons nous engager dans le redressement des comptes publics.

Mais le risque de l’endettement ne doit pas nous conduire précipitamment à l’assèchement de la dépense publique et à l’amenuisement de l’action publique. Le remède peut être pire que le mal. Pourtant, la gauche a pris ses responsabilités en réduisant la dépense de l’État de 10 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2013, ce qui représente 3 % du budget. Jamais aucun gouvernement n’a fait un tel effort. Nous n’en tirons pas de fierté particulière, car nous considérons qu’il s’agit simplement d’une nécessité.

À la droite de cet hémicycle, on proposait encore il y a quelque mois le double de réductions de dépenses. Ce chiffre a diminué de moitié, d’après ce que j’ai compris : vous ne préconisez plus deux tiers de baisses de dépenses pour un tiers de hausse des recettes, mais moitié de baisses de dépenses et moitié de hausse des recettes. Tant mieux : vous faites un pas dans la bonne direction. Vous vous rapprochez de nous. Il n’y a plus beaucoup d’espace entre nous, semble-t-il ! Attention, vous filez un mauvais coton ! Même si les dix dernières années ne plaident pas en votre faveur.

Il est facile de réduire les dépenses quand il s’agit de réduire les gaspillages. Dans son principe, ce discours suscite une réelle adhésion dans l’opinion. Le problème, c’est que lorsque nous parlons de gaspillage, nous ne parlons pas obligatoirement tous de la même chose : chacun ses gaspillages ! J’apprécierais que quelqu’un nous en dresse un jour une liste qui fasse consensus. Ce jour n’est pas venu. On assiste le plus souvent à une levée de boucliers à chaque fois qu’une nouvelle baisse des dépenses est proposée. Notre collègue Blanc, « M. 245 Milliards », nous en a donné une bonne illustration il y a quelques minutes.

Il y a sans doute quelques dépenses pour lesquelles nous pouvons trouver un large consensus, je dirais même une quasi-unanimité, dans la société. Il n’y a que dans cette assemblée que des oppositions pourraient peut-être s’exprimer. Je pense qu’il n’est pas besoin de détailler la nature de ces gaspillages.

Ne nous laissons pas abuser par les sirènes de l’anti-gaspi. Ne nous laissons pas piéger par les discours démagogiques, comme celui d’un candidat à la présidence d’un grand parti de droite qui déclare que sur les 95 milliards d’euros de dépenses des collectivités locales, 20 appartiennent à un périmètre commun. Et alors, me direz-vous, n’est-ce pas exact ? Ce qui est vrai, c’est que 20 milliards d’euros portent sur des compétences communes. En réalité, comme vous le savez, mes chers collègues, une grande partie de ces dépenses s’additionnent pour financer des projets sportifs, culturels ou économiques. Ces 20 milliards d’euros ne sont donc pas en compétition, comme les propos que j’ai mentionnés semblaient le suggérer.

Le débat qui aura lieu à l’occasion de l’examen de la seconde partie de la loi de finances en fera sans doute l’éclatante démonstration. On verra ceux-là mêmes qui aujourd’hui se réjouissent de la baisse de la dépense publique, et en redemandent, s’insurger contre telle ou telle économie. Les exemples vont se multiplier dans les prochains jours, je n’en doute pas un instant, car celles et ceux qui sont touchés ne manqueront pas de se manifester. L’exemple des interventions de nombreux collègues pour maintenir le dispositif de remplacement des agriculteurs ou celui favorisant l’installation des jeunes agriculteurs l’illustre parfaitement. Ces dispositifs sont, bien sûr, utiles, voire nécessaires. J’ai moi-même déposé un amendement dans ce sens avec ma collègue députée de Dordogne et viticultrice, Brigitte Allain. Si l’on analyse dans le détail l’usage de ces dépenses, le débat prend tout de suite une autre tournure. L’aide au remplacement permet notamment à des personnes qui ne ménagent pas leur peine de prendre un peu de repos, et garantit l’activité agricole et la vitalité de nos campagnes. Le remplacement crée de l’emploi. « De l’emploi subventionné » ? Oui, et alors ? « De l’emploi assisté » ? Aïe, aie, aïe !

Les aides à l’installation des jeunes créent également de l’emploi, qui sont elles aussi financées avec de l’argent public. Combien de dispositifs, combien d’euros sont ainsi consacrés dans notre pays à l’emploi, à la solidarité, à la culture, à l’éducation, avec de l’argent public ? Bref, ces moyens sont consacrés à tout ce qui fait notre bien commun.

Cela a été souligné en 2008. Souvenez-vous : quand la crise a débuté, c’est grâce au service public que la France a mieux résisté que ses voisins.

Pourtant, certains n’ont qu’une obsession : réduire leur contribution au pot commun et réduire encore l’action publique. Pour eux, ce n’est jamais assez. Ils veulent dégraisser le mammouth, même quand il est à l’os !

Pourtant, les certitudes des libéraux et des conservateurs vacillent. La réalité s’impose à eux : le malade ne risque-t-il pas de mourir guéri, comme en Grèce où la dette publique est plus élevée aujourd’hui qu’avant la restructuration ? La directrice générale du FMI revient à la raison et défend maintenant un délai supplémentaire pour le retour à l’équilibre budgétaire au Portugal, en Espagne, en Grèce. Et pendant ce temps, que dit la droite française ? Qu’il faut réduire les dépenses de 15 milliards d’euros ! La saignée, encore plus de saignée ! Ne caricaturons pas si nous ne voulons pas désespérer nos concitoyens. À moins que l’on cherche sciemment à les confiner dans des perceptions simplistes.

De quels moyens disposons-nous, dans ces projets de loi de programmation des finances publiques et de loi de finances pour 2013, pour réaliser notre objectif de réduction de la dette ?

Nous pouvons réduire la dépense publique. Bien entendu. C’est ce que nous faisons, mais en prenant soin de n’aller ni trop loin ni trop fort. Nous pouvons également revoir la fiscalité. Bien entendu. À condition de le faire en respectant la justice sociale et, là aussi, en n’allant pas trop loin afin de ne pas décourager les uns et les autres. C’est bien entendu d’une combinaison de ces deux possibilités dont nous avons besoin. Nous proposons une répartition d’un tiers de baisse des dépenses pour deux tiers de hausse des recettes, alors que vous proposez une répartition 50-50. Tel est le débat dans cet hémicycle.

Dans le même temps, chacun a bien conscience que les demi-mesures ne suffiront pas. Tôt ou tard, quand chacun prendra la mesure de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et que les détenteurs de la dette eux-mêmes commenceront à douter, il faudra adopter d’autres dispositions. Certains économistes ont déjà étudié la possibilité de neutraliser, au moins en partie, les intérêts de la dette grâce à un programme de rachat de cette dette par les banques centrales. Cela ne serait pas la première fois dans l’histoire de nos sociétés.

Pour l’heure, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont cherché un équilibre difficile entre le maintien de l’action publique, la protection des plus modestes et des classes moyennes basses, et le soutien aux entreprises innovantes. Le retrait fiscal loué par nos prédécesseurs et l’idéologie libérale ont montré leur inefficacité. L’impôt sur le revenu épargnera celles et ceux qui se situent dans les tranches inférieures. Notre majorité a effectivement souhaité revenir sur le gel des tranches décidé par le précédent gouvernement. L’effort le plus important sera bien porté par les plus favorisés, notamment avec le plafonnement des niches fiscales.

Nous, écologistes, continuons à penser qu’une réforme fiscale plus ambitieuse devra voir le jour, à laquelle il faudra réfléchir dans le cadre de la conférence sociale, mais aussi de la conférence environnementale. On ne peut plus parier à l’infini sur une croissance qui ne reviendra plus ! La conversion écologique peut devenir notre nouvelle boussole, notamment pour trouver un financement plus moderne de la protection sociale, qui soit moins assis sur l’énergie humaine, et plus sur l’énergie fossile.

Nous disposons cependant dès cette année d’un potentiel de recettes qui pourrait préfigurer cette évolution, en amorçant la résorption des niches fiscales anti-écologiques qui donnent aujourd’hui un avantage anachronique au kérosène, au diesel et aux agro-carburants de première génération, ou qui encouragent insuffisamment les économies d’énergie.

Parmi nos propositions, je citerai le plafonnement du barème kilométrique, ou encore l’abaissement du seuil d’émission de C02 automobile ouvrant droit au bonus-malus.

Côté dépenses, les écologistes partagent l’analyse de la Cour des comptes, qui recommande de revisiter les grands projets d’infrastructures de transports ou énergétiques au vu de leur rentabilité socio-économique, qui est parfois médiocre. Cela suppose également de les replacer dans une hiérarchie de développement durable. Les textes d’orientation européens en matière de transports préconisent ainsi depuis quinze ans de privilégier les transports de marchandises et les transports quotidiens de personnes sur de courtes distances par rapport au transport de personnes sur de longues distances.

De la même manière, la priorité doit être donnée aux économies d’énergie plus qu’à la production d’énergie. Il convient par exemple d’utiliser les fonds publics pour résorber les pointes de consommation d’énergie, plutôt que pour renforcer les réseaux. Nous déposerons également un amendement en ce sens.

Voilà un certain nombre de pistes, parmi d’autres, concernant tant les recettes que les dépenses, qui feront l’objet d’amendements du groupe écologiste. Vous savez, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, que nous les défendrons dans un esprit constructif. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

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