Lutte contre l’évasion et la fraude fiscale : directive « ATAD » et plan de lutte, une complémentarité avantageuse

Emboitant le pas à la longue réflexion portée par l’OCDE et la Commission Européenne et à l’initiative prise par les députés en Loi de Finance 2018 d’adopter la déchéance de droits civiques et civils pour les grands fraudeurs, le gouvernement a esquissé début janvier les grandes orientations d’un plan de lutte contre la fraude fiscale.

Ce plan regroupe des mesures ambitieuses visant à décourager et à punir le recours aux pratiques d’optimisation et d’évasion fiscale. Ce faisant, il oriente la France vers une transposition de la directive du 12 juillet 2016 « établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur », dite directive « ATAD », avant la date butoir du 31 décembre 2018.

Le but de de la directive ATAD est de créer un socle commun à tous les Etats membres, un degré minimal d’exigence en matière de lutte contre l’évasion fiscale et l’érosion des bases d’imposition. Comme le droit européen dans son ensemble, elle autorise les états membres à aller plus loin pour atteindre ces objectifs et dans le respect de ces dispositions.

La transposition de la directive « ATAD » adossée aux mesures envisagées dans le plan de lutte contre l’évasion fiscale renforcerait considérablement la capacité de la France à décourager, détecter et punir les pratiques de fraudes.

La directive ATAD : 5 dispositifs clés

L’encadrement de la déductibilité des intérêts

Méthode classique d’optimisation, les entreprises contractent des emprunts auprès d’entités de zones à fiscalité réduite puis déduisent ensuite les intérêts payés à cette entité de leur EBITDA, c’est-à-dire du bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement. Cette déduction diminue artificiellement la base de calcul de l’impôt dans le pays de l’entreprise et donc le montant de celui-ci.

Pour combattre l’utilisation de ces pratiques, la directive pose deux principes :

  • Calcul de l’EBITDA au niveau du groupe : il annule l’effet des prêts réalisés entre entités d’un même groupe.
  • Limitation de la part déductible à 30% des surcouts d’emprunts (ou 3 millions d’euros) : elle limite l’effet de la déduction des emprunts sur la base imposable. Ce faisant, elle réduit considérablement les avantages fiscaux que génère cette stratégie.

L’imposition des actifs à la sortie du territoire

S’intéresser aux actifs au moment de leur transfert hors du territoire et vers des territoires dans lesquels ils ne sont pas imposables permet de s’assurer que les actifs soient taxés au moins une fois. La directive propose d’effectuer ce travail au moyen d’un impôt calculé sur la valeur de marché des actifs diminuée de leur valeur fiscale.

Un tel système permettrait d’imposer les actifs qui sont transférés hors du pays européen directement dans des paradis fiscaux. La taxe dépendra directement :

  • De l’impôt réglé ou non sur ces actifs dans le pays de départ
  • Du caractère imposable de ces actifs dans le pays de destination

Une clause « anti-abus »

Cette clause est particulièrement large. Elle permet aux états de ne pas prendre en compte les montages qui ont pour but principal l’obtention d’un avantage fiscal dans le calcul de l’impôt.

Si cette disposition représente une grande avancée en matière de lutte contre l’évasion fiscale, la détermination du caractère « principal » de l’obtention de l’avantage fiscal soulève des questions.

La classification de « société étrangère contrôlée »

Ce classement est décidé par l’état membre concernant une entité possédée par son contribuable dont les bénéfices sont non imposables ou exonérés d’impôts chez ce même état membre.

La désignation de « société étrangère contrôlée » donne lieu à l’inclusion de nombreux types de revenus dans la base de calcul de l’impôt, excepté si l’entreprise montre qu’elle exerce une activité économique substantielle sur le territoire de l’Etat membre en question.

Elle permet de taxer les bénéfices des entreprises concernées même lorsque ceux-ci sont transférés hors UE.

Encadrement des déductions pour les entités « hybrides »

Les « entités hybrides » sont des organisations juridiques considérées comme transparentes par une juridiction fiscale et non transparente par une autre. Lorsque l’entité est considérée comme transparente, elle n’est pas soumise à l’impôt mais la quote-part des revenus/plus-values/charges est attribués aux partenaires de l’entité. Lorsque l’entité est non-transparente, ses revenus sont soumis à l’impôt.

Cette caractéristique créée deux distorsions auxquelles la directive répond directement :

  • Fin de la double déduction des intérêts : lorsqu’un paiement donne lieu à deux déductions dans deux états, la déduction est uniquement faite dans un Etat d’où le paiement provient. Dans le cas de deux états membres, la déduction est uniquement faite dans le pays d’où le paiement provient.
  • Fin de la déduction de d’intérêts sur un paiement non imposable : la déduction n’est plus effectuée lorsque le paiement n’est pas inclus dans la base d’imposition de l’état de destination.

Le plan de lutte du gouvernement

Comme l’a montré notre court exposé, la directive ATAD offre de nombreuses possibilités à l’Etat français qui possède la responsabilité d’adapter chacune des mesures à son cadre national. Elle est secondée et complétée par les grandes orientations du plan de lutte posé par le gouvernement. En effet, les grandes idées que contient le plan de lutte sont ambitieuses. Elles visent à adapter le système existant aux fonctionnement moderne, mondialisé et numérisé de l’économie.

D’abord, le plan propose de donner à l’administration française les moyens de lutter plus efficacement contre la fraude. Les services fiscaux seront secondés par des experts du traitement de données et équipés des outils techniques nécessaires à l’exploitation massive de celle-ci. Un service dédié aux enquêtes judiciaires sera ouvert auprès du Ministère de l’Economie et des Finances et apportera un soutien spécialisé et hautement technique. Par ailleurs, une mission est actuellement en cours concernant le « verrou de Bercy » et les entreprises de bonne foi pourront s’adresser spontanément à un bureau de régularisation.

Ensuite, le plan envisage d’accroître les risques réputationnels associés à la fraude en proposant la publication de l’identité des fraudeurs. Comme le suggère les événements récents, ce « name and shame » est particulièrement utile pour inciter les grandes entreprises à la régularisation. Ainsi, Amazon vient de conclure un accord avec la France afin de régler son redressement fiscal de 200 millions d’euros concernant la période 2006-2010 et un accord similaire avec les autorités italiennes pour un montant de 100 millions d’euros. Le géant de la vente en ligne n’est pas le seul a affiché un changement de stratégie. Un autre géant, Facebook, s’est engagé à déclarer localement ces revenus publicitaires en 2018.

Enfin, le plan entend s’attaquer aux intermédiaires financiers qui facilitent ou encouragent la fraude. Le rôle majeur de ces « ingénieurs de la fraude » n’a que trop été mis en évidence par les différents scandales de ces dernières années et doit désormais être sanctionné.

Conclusion : Directive ATAD et plan de lutte, deux outils complémentaires pour une stratégie d’une ambition inédite

Alors que la directive ATAD fixe au niveau européen différents dispositifs permettant de rendre obsolètes certaines pratiques d’évasion fiscale, le plan de lutte propose de doter l’administration française des moyens nécessaires pour détecter et punir la fraude. La complémentarité entre les deux textes est donc forte.

Si la directive européenne engage les états sur la voie d’une lutte hautement technique contre les ingénieurs de l’évasion fiscale, le plan français fait directement pression sur les entreprises et les intermédiaires. Cette pression est d’autant plus importante que l’on connait trop bien l’ingéniosité de certains quand il s’agit de se soustraire à l’impôt.

En effet, il apparaît impossible de détecter toutes les brèches permettant l’évasion fiscale. La directive européenne permet dans colmater certaines, et non des moindres, mais laisse au plan de lutte français le soin de s’attaquer au problème dans sa globalité.

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