« Les familles homoparentales ne peuvent plus rester des inconnues aux yeux de la Loi »
Eric ALAUZET est intervenu ce mercredi en séance publique durant la discussion générale sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
« Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, après le vote de la loi au Sénat, des voix se sont élevées pour crier au coup de force. D’autres dénoncent un déni de démocratie.
Pourtant, au sein de cette Assemblée, nous avons débattu en première lecture pendant vingt-quatre séances, dix jours, 110 heures et nous avons étudié près de 5 000 amendements. Que dire de plus ?
Nous assistons à des dérapages regrettables, c’est un euphémisme !
C’est le cas lorsque des manifestants empêchent le départ d’un train car une journaliste favorable au mariage des couples de même sexe a décidé de l’emprunter.
C’est encore le cas lorsque des manifestants cherchent à intimider des parlementaires afin qu’ils changent leur vote. Au contraire cela ne fait que renforcer notre détermination.
Ces manifestants n’ont rien à envier avec ceux – qu’ils soient de la CGT ou autre – dont vous aimez dénoncer les pratiques.
Il est difficile de comprendre que celles et ceux qui n’ont peut-être jamais connu jusque-là le parfum des manifestations se soient laissés enivrer au point de perdre leur sang-froid.
Certains se sont dits prêts à y laisser leur vie !
Du côté des représentants politiques que nous sommes, que penser lorsqu’une ancienne ministre, ancienne députée, affirme sur un plateau de télévision que le mariage pour des couples de même sexe nous conduit vers un État totalitaire, tout en faisant mine de redouter des actes violents, sans doute pour les justifier par avance ?
Je regrette profondément cette escalade, et les violences tant dans les mots que dans les actes.
À ce stade, après tant d’heures de débat, il devient inconvenant, mesdames et messieurs de l’opposition parlementaire, que vous veniez nous expliquer que les Français sont confrontés à des problèmes économiques.
M. Dhuicq disait à l’instant que le chômage gagne. Il est sans doute plus aisé pour vous de vous faire valoir ou de dénigrer la politique de la majorité sur ce sujet plutôt que de vous investir sur ce que vous appelez les vrais sujets.
Pas un d’entre vous n’était présent dans l’hémicycle pour voter la création de la banque publique d’investissement destinée au soutien de nos entreprises !
En commission des finances, lors de l’étude de la loi bancaire destinée elle aussi à orienter le financement des banques vers nos entreprises – un vrai sujet – je me souviens qu’un seul d’entre vous siégeait parmi nous.
À l’évidence, vous avez fait un autre choix, celui de faire de l’obstruction dans l’hémicycle.
On comprend bien votre logique, et je fais abstraction des arguments de fond que l’on peut entendre et qui ont été avancés par certains membres de votre groupe.
On comprend aussi votre objectif qui a consisté à faire croire aux Français que nous étions plus préoccupés par les questions sociétales, pourtant importantes, que par les questions socioéconomiques.
Alors que vous être les responsables de ces débats interminables et du temps passé à faire voter ce texte au détriment des sujets socioéconomiques !
Je voudrais en quelques mots vous livrer mon approche du sujet.
Dans le respect du principe qui m’a toujours animé dans mon métier de médecin comme dans l’exercice de mon mandat… il faut d’abord établir le diagnostic, puis administrer les soins.
Le principe des soins est : « Primum non nocere », d’abord ne pas nuire, et soulager quand on ne peut pas guérir. C’est dans cet état d’esprit que je me suis posé des questions sur l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples du même sexe.
Établir un diagnostic et prendre en compte la réalité, beaucoup parmi vous ont refusé de le faire, car cela les dérange.
Je peux comprendre que cette loi va au-delà de ce que certains d’entre vous peuvent concevoir. Mais c’est à vous de faire le chemin.
La réalité, c’est que nombre de familles sont bien loin du modèle et des représentations qui paralysent certains d’entre vous.
Ces familles sont-elles moins légitimes ? Moins aimantes ? Moins éduquantes ? Les enfants sont-ils moins équilibrés, moins structurés, ont-ils moins de repères ? Rien, rien ne l’atteste.
Je suis étonné de cette vision conservatrice de la famille, alors que cette institution connaît aujourd’hui des modifications profondes.
Mon approche ne repose pas sur une idée abstraite de ce qu’a pu être une famille par le passé, mais sur la réalité des familles de France telles qu’elles sont aujourd’hui.
La vérité est que le modèle de famille défendu par la droite n’est plus aujourd’hui qu’un modèle parmi d’autres. Ainsi, 1,7 million de familles en 2005, et l’on peut penser que leur nombre a atteint 2 millions depuis, ne comptent qu’un seul adulte qui vit sans conjoint avec un ou plusieurs enfants de moins de 25 ans. En 2005, 2,8 millions d’enfants vivaient dans ces familles monoparentales.
Une autre réalité est que des milliers d’enfants se trouvent confrontés chaque année au divorce de leurs parents, ou deviennent membres d’une famille recomposée. En 2007, ce sont 136 000 enfants qui ont été concernés par le divorce de leurs parents.
Enfin, c’est encore une réalité, des milliers d’enfants vivent aujourd’hui dans des familles homoparentales. Des enfants, dont la souffrance résulte parfois du fait que depuis des semaines, des personnes défilent pour affirmer que leurs familles ne sont pas légitimes, ne sont pas normales.
J’ai entendu dire sur les bancs de l’opposition que le droit d’adoption pour les couples homosexuels nuirait aux enfants !
D’abord ne pas nuire, disais-je. Cela veut dire sécuriser ces milliers de familles homoparentales et leurs enfants, donner un statut et des droits à chacun des parents. Nous ne pouvons plus accepter que ces milliers de parents qui élèvent leurs enfants, qui les accompagnent au jour le jour pour qu’ils grandissent le mieux possible, restent des inconnus aux yeux de la loi.
Ainsi, loin d’acter le droit à l’enfant tant décrié par l’opposition, cette loi apporte une sécurité à des milliers d’enfants et des familles qui sont aujourd’hui dans des situations de non droit.
En conclusion, je souhaiterais revenir sur ce droit à l’enfant, et sur l’hypocrisie du système actuel. Aujourd’hui, un couple marié peut adopter un enfant conjointement. Les membres d’un couple vivant en concubinage, ou lié par un pacte civil de solidarité, peuvent également adopter un enfant, mais chacun de son côté. Un célibataire peut adopter des enfants. Tout ceci est grotesque.
Pour l’ensemble de ces couples, il est nécessaire pour adopter un enfant d’obtenir un agrément délivré après évaluation des conditions d’accueil sur les plans familiaux, éducatifs et psychologiques.
Ouvrir l’adoption aux couples de même sexe, est-ce alors acter un droit à l’enfant ? En aucune manière. C’est donner la possibilité à des couples de même sexe de postuler à l’adoption et sécuriser de nombreux enfants vivants dans un couple homoparental. C’est cela que nous voulons.
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