Journée Aide alimentaire avec Karima Delli : « La réponse à la pauvreté doit être structurelle et non conjoncturelle »
Eric Alauzet et Barbara Romagnan ont accueilli toute une journée Karima Delli, députée européenne, qui s’est mobilisée en 2013 sur la question de la pauvreté et de l’aide alimentaire en Europe et a notamment défendu le FEAD – Fond Européen d’Aide aux Démunis au Parlement européen.
La question de l’aide alimentaire en ces temps de crises est préoccupante. Cette action de solidarité concerne de plus en plus de personnes et de familles modestes. Près de 4 millions de personnes en bénéficient aujourd’hui en France.
Son financement dépend en partie de l’Union Européenne et de son Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) et notamment en terme de politique agricole commune (PAC).
Pour échanger avec les acteurs et partenaires associatifs et institutionnels sur cette question, étudier quelles conséquences ce nouveau FEAD peut avoir sur nos territoires et quelle politique nationale il faudrait mener en la matière, des rencontres étaient organisées avec les associations et acteurs institutionnels dans les structures d’accueils et au cours d’une table ronde l’après-midi.
Retour sur cette journée.
Aller à la rencontre des acteurs et bénéficiaires
La première rencontre avait lieu au Centre de stockage de la Banque Alimentaire du Doubs. L’association a pour objectif de collecter et de redistribuer les denrées alimentaires vers les associations.
Avant une visite des lieux et des échanges avec les bénévoles, les responsables de l’association ont fait part de leur difficulté de plus en plus importante de collecte des denrées notamment dans les hypermarchés qui révisent leur gestion des invendus et de leur recyclage alimentaire. Une des interrogations est la valorisation des bio-déchets qui devraient de plus en plus être destinée à des centres de méthanisation par exemple au détriment d’un ramassage de la Banque alimentaire.
Eric Alauzet est prêt à intervenir sur ce sujet en reprenant la grille hiérarchique des cycles des déchets. Une interpellation du gouvernement est possible.
Ils subissent un effet de ciseaux où la demande s’accroit et les collectes diminuent. Autre impact, le transport qui est plus long, les lieux de collecte étant de plus en plus diversifiés et les lieux d’accueils plus nombreux.
Tout de suite, les enjeux ont été également posés par Karima Delli : 125 millions d’européens (dont 25 millions d’enfants et 50 millions en extrême pauvreté) vivent en dessous du seuil de pauvreté, 9 millions de plus depuis 2009. « La réponse à la pauvreté doit être structurelle et non conjoncturelle ». Aussi le fond d’aide alimentaire a laissé la place à un fond d’intervention plus large d’aide aux démunis (voir ci-dessous).
L’Union Européenne a été à l’initiative que tous les pays organisent chaque année une « Conférence nationale de lutte contre la pauvreté » et s’est donné l’objectif de réduire de 20 millions d’ici 2020 le nombre de personnes pauvres concernées. « On oublie que c’est l’Europe avec Jacques Delors en 1987 qui a créé un dispositif pour l’aide alimentaire ».
Pour Karima Delli, il ne faut pas s’arrêter qu’à la question de l’aide alimentaire, « il faut pouvoir avoir une politique européenne d’ensemble de lutte contre la pauvreté (santé, logement, …) et promouvoir notamment le revenu minimum d’existence ». Pour la députée européenne, « il ne pourra être possible que si le SMIC est généralisé dans tous les pays ».
Puis les députés se sont rendus au Centre d’accueil et de distribution des Restos du Cœur du Doubs sur la zone d’activité Thise – Chalezeule.
La 29ème campagne des restos a débuté avec une augmentation de près de 8% d’inscrits (plus d’un million de bénéficiaires en France) dont 23 % sont toujours les mêmes bénéficiaires sur la période, 43% viennent pour la première fois.
Ici, il a été question de l’importance du lieu d’accueil comme un lieu de vie et de cohésion sociale, un lieu de confiance d’où l’importance du rôle des bénévoles présents. Les bénévoles ont un autre regard, une autre écoute que les travailleurs sociaux. Ils permettent bien souvent d’aller plus loin que la simple aide alimentaire et ainsi accompagner les personnes vers d’autres préoccupations. Les populations sont de plus en plus des femmes isolées, des retraités et des jeunes. Au Centre, il est proposé une bibliothèque, des espaces vêtements, coiffure, écriture, des projets de loisirs ou de départs en vacances, ou encore une écoute et orientation pour l’emploi et la formation.
En fin de matinée, les députés ont été à la rencontre des responsables, des bénévoles et des bénéficiaires de l’Epicerie solidaire « le Cabas » à Chalezeule.
Les épiceries sociales fonctionnent différemment des centres de distribution en proposant les denrées alimentaires à un coût très modeste. Elles fonctionnent comme une épicerie. Le Cabas est ouvert deux fois par mois, dans laquelle les familles choisissent eux-mêmes leurs achats : produits frais, légumes et fruits, riz, pâtes, conserves, etc. Ces denrées sont fournies par la Banque Alimentaire.
Chaque ménage constitue un dossier auprès d’un travailleur social. L’aide alimentaire est attribuée pour une période de 3 mois renouvelable.
L’originalité du projet est d’être une association intercommunale s’adressant aux communes voisines de Besançon.
Une autre épicerie sociale « La Caborde de Montrapon », cette fois au cœur du quartier bisontin, a reçu également la visite des élus en début d’après-midi.
Echanger avec les acteurs de l’aide alimentaire et acteurs sociaux locaux
Pour clôturer la journée, une table ronde sur le thème de « la pauvreté et l’alimentation en Europe » était organisé à l’espace Renée et Jules Rose, avec les associations de distribution alimentaire et d’épicerie sociale, les CCAS des communes, les services du Département et de l’Etat, …
Karima Delli rappela la chronologie de l’aide alimentaire en Europe, crée en 1987, sur une idée de Coluche en utilisant les stocks d’invendus issus de la Politique agricole commune (PAC).
Elle insista sur la détermination des associations lors du débat européen sur la question de l’existence même des fonds, qui a permis aux députés de les défendre et d’améliorer les critères.
Aussi, le montant de 3.5 milliards sur sept ans est conservé mais le nombre de pays passe de 18 à 28 et les aides soutenues ne se limitent plus à l’aide alimentaire.
Les associations sont désemparées lorsqu’elles voient venir dans leurs structures des enfants et des petits enfants d’anciens bénéficiaires et on s’inquiète de voir revenir 3, 4 ans après des personnes qui étaient sortis du système.
Les épiceries sociales ont fait part de leurs problèmes de ne plus pouvoir bénéficier de l’aide européenne, le FEAD imposant la gratuité quant à son accès alors que les épiceries, qui sont une spécificité française, sollicitent dans leur démarche d’accompagnement une participation des familles. Karima Delli a répondu que des aides matérielles à l’accueil ou à l’accompagnement seraient possibles, la mise en œuvre du FEAD étant encore en cours de discussion.
Au niveau national, des rencontres ont lieu sur ce sujet entre les associations et la Ministre déléguée à lutte contre les exclusions.
Les députés du Doubs interpelleront également la Ministre mais également le Ministre délégué à l’agroalimentaire sur le plan de lutte contre le gaspillage alimentaire qui pourrait contribuer à aider les structures dans leurs collectes.
Karima Delli propose également que les régions se mobilisent pour articuler les politiques publiques locales en coordonnant les associations, la grande distribution, les agriculteurs avec les fonds européens pour des circuits courts (incités dans le nouveau FEAD), des emplois d’insertion (jardins) , etc.
Marie-Noëlle Schoeller, adjointe à l’action sociale, a présenté le partenariat engagé à Besançon où en 2013 près de 3700 ménages représentant 9500 bénéficiaires ont franchi le seuil d’une épicerie sociale ou d’un lieu de distribution (hors Restaurants du Cœur et Secours Populaire). En 2011, une « charte municipale de l’aide alimentaire » a été signée par le CCAS, la Ville et dix associations investies dans la distribution de denrées alimentaire.
Karima Delli répondant à la presse, résumait l’esprit de cette journée en invitant « à changer le regard des gens sur les personnes les plus vulnérables, elles n’ont pas à avoir honte. Et en même temps, on ne réglera pas le problème de la pauvreté sans une politique structurelle qui intègre à la fois la lutte contre le gaspillage, la mise en place de circuits courts et la lutte contre la précarité (logement, travail, …) ».
Les députés Eric Alauzet et Barbara Romagnan ont remercié les participants venus nombreux et Karima Delli pour ces précieuses informations et ses échanges. Ils resteront en contact avec la députée européenne pour suivre l’évolution du FEAD et prendront toutes les initiatives possibles pour soutenir les associations dans leurs actions.
Suivre l’actualité de Karima DELLI et les actions au Parlement européen sur la pauvrété : http://karimadelli.fr/.
Emission le 12 février sur Radio Campus
La visite de Karima Delli a fait l’objet d’un enregistrement pour l’émission « La vertitude des choses » sur Radio Campus. Diffusion le 12 février de 13h à 14h (102.4 FM ou http://www.campusbesancon.fr/) ou Podcast (après diffusion) : https://www.mixcloud.com/tag/la-vertitude-des-choses/
Quelques chiffres et données
179 kilos : poids de la nourriture gaspillée chaque année par citoyen européen
50 % des denrées alimentaires sont gaspillées tout au long de la chaîne agro-alimentaire
3,5 millions de personnes ont bénéficié d’une aide alimentaire, en France, en 2010
Le PEAD jusqu’en 2013
Le Programme Européen d’Aide aux plus Démunis (PEAD) a été créé en 1987 à l’initiative de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, et sur une idée de Coluche. Il utilisait les stocks d’invendus issus de la Politique agricole commune (PAC) en les redistribuant à des associations caritatives.
En 2011, le PEAD distribue une aide alimentaire à plus de 18 millions de personnes dans 18 des 27 États de l’Union européenne (UE). Les principaux pays bénéficiaires sont la France, la Pologne et l’Italie. Rappelons que 40 millions de personnes souffrent de privation matérielle extrême dans l’UE.
Le PEAD, c’est 500 millions d’euros par an en Europe, dont 72 millions pour la France (= 130 millions de repas distribués).
Du PEAD au FEAD
– 1995 : Avec la réforme de la PAC, les surplus ont fortement diminué et les stocks d’intervention ont commencé à s’épuiser. La Commission européenne a mis en place un système d’allocation d’enveloppe budgétaire permettant l’achat de denrées directement sur les marchés agricoles, afin de compenser cette baisse. Mais finalement un accord intervient qui maintient la hauteur des financements.
– 2008-2011 : l’Allemagne, soutenue par la Suède, dépose un recours contre la Commission européenne tendant à l’annulation du règlement annuel financier du PEAD et le gagne en 2011.
– Conséquence en 2012, la commission diminue le budget global du PEAD, qui avait atteint 500 millions d’euros par an ces dernières années, à 113 millions d’euros pour 2012.
– 2013, la Commission européenne présente sa proposition de « Cadre Financier Pluriannuel » pour la période 2014-2020, dans lequel elle prévoit un budget en baisse d’un milliard, soit 2,5 milliards d’euros pour l’aide aux plus démunis
– L’avenir du PEAD a donc été mis en péril, les stocks d’intervention étant amenés à totalement disparaître. Démarre alors une forte mobilisation des organisations caritatives.
– Mobilisation, motion votée au parlement européen,…une année dont Karima Delli s’est beaucoup investie qui aboutit en deux temps :
- à l’adoption du règlement du nouveau Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) en juin par les parlementaires européens en remplacement de PEAD.
- à un accord le 17 décembre dernier entre le Parlement et la commission
– Maintien des 500 millions par an (3,5 mds pour la période)
– 18 mais 28 pays qui seront concernés
– Aide à la distribution de nourriture et mais à des biens matériels aux personnes les plus démunies, en particulier aux sans-abris.
– D’autres mesures pourront être financées pour aider à l’insertion sociale des plus démunis, comme l’accompagnement pour l’accès à un logement décent. »
Le PNAA
– Créé en 2004 en parallèle du PEAD, le PNAA – Plan National d’Aide Alimentaire – complète ce dernier, permettant aux associations de distribuer des produits non couverts par le PEAD et sous-consommés par les personnes les plus démunies.
– 10 millions par an en complément des 72 millions de l’Europe jusqu’en 2013.
– Grâce à ce programme, les associations reçoivent gracieusement chaque année des produits alimentaires en complément des produits achetés avec le PEAD. L’enveloppe budgétaire permet d’acheter des produits finis et les faire livrer dans les entrepôts des associations caritatives.