Formation professionnelle et dialogue social : « sur le chemin » / Inspection du travail : « encore trop d’inquiétudes »

Le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est en cours d’examen à l’Assemblée nationale (1ère lecture conclue ce vendredi).

Une partie de ce projet de loi est tirée d’un accord national interprofessionnel (ANI) signé le 14 décembre 2013 par les partenaires sociaux (à l’exception de la CG-PME et de la CGT).

Projet de loi et débats à l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/formation_professionnelle_emploi_democratie_sociale.asp

Document de présentation du projet de loi : ci-dessous.

Dans le premier titre du projet de loi, s’ajoutent à l’ANI une réforme de l’apprentissage (qui s’articule avec la réforme de la taxe d’apprentissage engagée dans la loi de finance rectificative pour 2013 votée en décembre 2013 mais censurée par le Conseil constitutionnel le 29 décembre) ainsi que la poursuite de la décentralisation.

Le projet de loi comprend trois titres. Outre celui sur la formation professionnelle et l’emploi, on y trouve ainsi un titre II sur la démocratie sociale et un titre III sur l’inspection et le contrôle.

Concernant le titre 1er, il comprend trois chapitres : le premier chapitre réforme la formation professionnelle continue, le deuxième, relatif à l’emploi, constitue le volet non financier de la réforme de l’apprentissage et le troisième porte sur les questions de gouvernance et de décentralisation des compétences de formation professionnelle, d’apprentissage et d’orientation.

 

La réforme de la formation professionnelle

 

Le compte personnel de formation

La réforme de la formation professionnelle s’articule autour d’un nouveau dispositif, le compte personnel de formation (CPF) et d’un nouveau mode de financement : une obligation de financement de la formation professionnelle qui passe, pour les entreprises de plus de 10 salariés de 1,6 % à 1 % de la masse salariale brute.

Le premier article supprime ainsi le droit individuel à la formation (DIF) qui était un crédit de 120 heures de formation cumulables sur six ans pour le remplacer par ce nouveau CPF qui ouvre droit à 150 heures sur neuf ans. A ces 150 heures, s’ajoutent des possibilités d’abondement de différentes sources (l’employeur, le salarié lui-même, la branche, la région, l’OPCA, etc.). Ce CPF est ouvert dès l’entrée dans le monde du travail (donc possiblement dès 16 ans) et jusqu’à la retraite et est directement rattaché au salarié.

L’amendement (n°774) du rapporteur a été adopté : il permet des abondements supplémentaires au CPF si cette disposition est adoptée par une convention de branche ou un accord professionnel, position défendue par les écologistes.

Le CPF est donc une véritable avancée sociale mais une réforme plus équitable aurait pu prévoir des crédits supplémentaires équivalents à des primes à la précarité ou au temps partiel ainsi que des crédits supplémentaires pour les demandeurs d’emploi. De manière générale, les moyens mis à disposition des demandeurs d’emploi ne sont pas à la hauteur des besoins existants

Les écologistes militent pour un droit universel à la formation tout au long de la vie qu’ils lient à la politique du partage du temps de travail ainsi qu’aux logiques de solidarité intergénérationnelle. Dans ce cadre, ils prennent le CPF comme une préfiguration acceptable de ce futur droit, une première étape qui devra être poursuivie dans les années à venir.

Autre dispositif innovant du projet de loi, l’entretien professionnel doit remplacer les différents entretiens et bilans des salariés.

Si ces deux avancées sont relativement consensuelles (malgré les regrets quant au manque d’ambition du CPF), la diminution de l’obligation de financement des entreprises de plus de 10 salariés pose la question de la mutualisation des fonds pour les plans de formation.

Concernant les publics cibles, il est noté que pour les personnes en situation de handicap, un amendement soutenu et voté par les écologistes permet aux travailleurs d’ESAT de bénéficier du CPF (n°34).

L’égalité entre les femmes et les hommes a connu quelques avancées en séance, notamment à travers l’amendement n°362 qui prévoit que les organismes collecteurs paritaires agréés (OPCA) peuvent financer les repas, transports, hébergement  mais aussi les frais de garde d’enfant.

Par ailleurs, l’amendement n°396 instaure une obligation pour les contrats de plan régional de développement des  formations professionnelles d’intégrer le développement de la mixité professionnelle et des mesures visant à lutter contre la répartition sexuée des métiers.

Pour les demandeurs d’emploi, l’amendement n°470 des écologistes, adopté en Commission puis en séance, clarifie la responsabilité de financeur de la  région, d’une part pour la formation initiale d’autre part pour la formation continue des demandeurs d’emplois.

Et l’amendement n°520 de Jacqueline Fraysse ouvre le CPF aux intermittent-es du spectacle.

La pénibilité est prise en compte dans l’élaboration des listes à travers l’amendement n°440 des députés EELV qui précise qu’elles recensent notamment les formations facilitant l’évolution professionnelle des salariés exposés à des facteurs de pénibilité et  susceptibles de mobiliser leur compte personnel de prévention de la pénibilité.

Par  ailleurs, sur les abondements vers les publics à privilégier, un amendement du rapporteur (n°761), identifie trois catégories de publics prioritaires que sont les salariés exposés à des  facteurs de pénibilité, les salariés menacés par les évolutions  économiques ou technologiques, et les salariés à temps partiel.

 

La réforme de l’apprentissage

La partie apprentissage du projet de loi s’articule en complément de la réforme de la taxe d’apprentissage réalisée dans la loi de finances rectificative 2013 mais censurée par le Conseil constitutionnel.

Les moyens seront donc directement affectés aux Régions sans intermédiaire. De plus, le projet de loi prévoit une rationalisation du réseau des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (OCTA) et une révision de leurs missions.

Le texte prévoit une définition plus précise des missions des CFA ainsi que l’établissement du principe de gratuité de l’apprentissage à la fois pour l’apprenti et pour son employeur. Il prévoit aussi la création d’un contrat à durée indéterminée avec une période d’apprentissage en plus du contrat d’apprentissage existant.

Enfin, le texte prévoit la possibilité de périodes de mise en situation en milieu professionnel pour ceux qui sont inscrits dans un parcours d’insertion professionnelle.

Pour finir, il crée le contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) pour permettre aux collectivités de porter des ateliers et chantiers d’insertion.

L’amendement EELV adopté n°460 concernant l’Insertion par l’Activité Economique (IAE) donne un socle sécurisé au développement des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) et de meilleurs suivis, visibilités et reconnaissances, en reconnaissant la spécificité de certains groupements d’employeurs qui organisent des parcours d’insertion et de qualification et en précisant qu’ils peuvent bénéficier d’une reconnaissance en tant que GEIQ dans des conditions fixées par décret.

Concernant la sécurisation des stagiaires, un autre amendement écologiste (n°461) prévoyant la prise en charge de tout ou partie des frais d’hébergement, de restauration et de déplacement des stagiaires, a été adopté en séance.

CAB Travail-base reforme FP-02

La poursuite de la décentralisation en faveur des régions

Le projet de loi récupère la partie du texte relatif à la décentralisation en lien avec la formation, l’apprentissage et l’orientation. La région devient ainsi « chargée de la politique régionale d’accès à l’apprentissage et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle ». Elle récupère la compétence de l’Etat sur certains publics : les personnes handicapées, les Français établis hors de France et les personnes placées sous main de justice (sauf les détenus incarcérés dans des prisons en PPP). Elle récupère aussi la lutte contre l’illettrisme et les formations permettant l’acquisition des compétences clés en complément de la politique nationale.

Concernant le service public régional de l’orientation, la région va coordonner l’action des organismes participant à ce service public sur son territoire. Elle assure aussi l’information sur la VAE et met en réseau les centres de conseil en VAE.

Sur ces questions, les écologistes trouvent que le texte manque d’ambition. Il aurait notamment fallu pousser jusqu’au bout la logique de décentralisation en accordant à la région la totalité de la gestion de la formation pour les demandeurs d’emploi. De même, l’orientation continue à être à la fois régionale et étatique sans qu’aucune clarification ne soit vraiment apportée. Si une coordination nationale doit permettre d’assurer la continuité entre les territoires, il est essentiel de laisser aux régions le soin de simplifier l’orientation.

Ce texte réformant la gouvernance, les écologistes ont également essayé de renforcer les outils territoriaux de gouvernance. Ainsi, pour permettre une vraie diversité dans la représentativité au sein des instances régionales et nationales, il a été demandé que soient associés aux décisions des acteurs tels que les secteurs multiprofessionnel du hors champ, mais aussi des représentants des principaux opérateurs de l’emploi (Pôle Emploi, Unedic, Cap Emploi, Missions Locales, APEC, AFPA et GRETA). Par ailleurs, de même qu’il est nécessaire d’ouvrir au champ multi-professionnel le droit de participer aux diverses instances de concertation, cela devrait être également le cas pour leur accès aux dispositifs de financement. Des amendements ont été repris, et devraient faire l’objet d’avancées lors des séances.

Parce que la formation professionnelle doit aussi être un levier pour la transition écologique, les écolo-députés-ées ont déposé des amendements pour faire en sorte que ce texte accompagne et encadre de manière claire les mutations professionnelles dans les filières-métiers de la transition écologique et énergétique. Trois amendements ont dans ce cadre été adoptés; l’un adopté en Commission permet de compléter le champ d’action du conseil en évolution professionnelle (CEP), mis en œuvre dans le cadre d’un service public régional de l’orientation. Le second (n°454) en séance demande que l’observatoire prospectif des métiers et des qualifications porte une attention particulière aux mutations professionnelles liées aux filières métiers de la transition écologique et énergétique.

Enfin, un troisième amendement (n°472) de Denis Baupin, adopté en séance, introduit que les objectifs définis par les contrats de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle doivent tenir compte de l’émergence de nouvelles filières métiers dans le domaine de la transition écologique et énergétique.

 

La démocratie sociale

Le titre 2 porte  essentiellement sur la représentativité patronale et sur le financement des organisations syndicales et patronales.

L’article 16 prévoit donc les modalités de la mesure de la représentativité patronale. En 2008, un accord entre les partenaires sociaux, traduit par la loi d’août 2008, définit les critères de la représentativité des organisations syndicales. C’est sur ce modèle que sera calculée celle des organisations patronales.

En page 26 du document, sont présentés les critères de représentativité chez les organisations professionnelles des employeurs et les nouveaux modes de financement des organisations syndicales de salariés et professionnelles d’employeurs.

La restructuration des branches professionnelles (possibilité de fusionner les branches) et la transparence des comptes des comités d’entreprise sont également abordées dans ce chapitre sur la démocratie sociale.

Des amendements vont plus loin dans la transparence  financière des comités d’entreprise, y compris pour ceux dont la surface financière est modeste; ils seront désormais soumis aux  obligations comptables de droit commun dès lors que leurs ressources excèderont 153 000 euros.

 

La réorganisation de l’inspection du travail 

Dans ce projet de loi sur la formation professionnelle et la démocratie sociale, le gouvernement a fait le choix de lancer sa réforme de l’inspection du travail. Dans le cadre du projet « ministère fort », le ministre du travail a proposé un plan de réorganisation de l’inspection du travail. Aucun syndicat des agents de contrôle n’a signé l’accord. Ce plan suscite de très vives inquiétudes, le point central restant l’indépendance de l’inspection du travail notamment vis à vis des pressions politiques et du chantage à l’emploi.

Les inspecteurs du travail, actuellement chacun en charge d’un secteur seront regroupés dans des secteurs plus larges, sous l’autorité d’un Responsable d’Unité de Contrôle qui répartira le travail et affectera les agents. Il sera également mis en place des unités régionales et une « task force » nationale sur le travail dissimulé.

Cette réorganisation suscite de très grandes inquiétudes : d’abord, les agents de l’inspection ne comprennent pas ce renforcement hiérarchique, deuxièmement, la création des responsables d’unité de contrôle va avoir pour conséquence une baisse des effectifs affectés au contrôle, troisièmement, l’indépendance des agents de contrôle va être amenée à évoluer. En effet, les Responsables d’unité de contrôle rendront des comptes directement au DIRRECTE, qui lui-même rend des comptes en matière de politique de l’emploi et de chômage. Les agents ne pourront donc plus se saisir comme ils le souhaitent d’un cas d’entreprise mais auront une interférence hiérarchique (et politique). Enfin, avec ces différents étages d’inspection (agent de contrôle, unité régionale et équipe nationale), il y a un risque de concurrence et de confusion : le projet de loi ne définit pas qui aura autorité sur le cas, l’agent local qui effectue le suivi ou l’agent national qui vient sur un thème très ciblé ?

Création de nouvelles sanctions 

L’arsenal dont disposent les inspecteurs du travail est étendu par ce projet de loi, puisqu’il est créé l’amende administrative et la transaction pénale. L’amende administrative, qui pourra aller jusqu’à 2000 ou à 10000 euros selon les cas. L’agent de contrôle pourra décider d’y avoir recours, mais c’est l’autorité administrative qui la fixera. La transaction pénale : il s’agit pour l’employeur de la possibilité de transiger avec une amende fixée par l’autorité administrative.

Ces deux dispositifs suscitent une grande inquiétude, tous syndicats confondus. En effet l’autorité administrative dont il est question est la DIRRECTE, qui est également en charge de la politique de l’emploi.

Par ce projet de loi, le gouvernement a  demandé également au Parlement de lui donner le pouvoir d’utiliser les ordonnances pour définir les attributions des agents, pour réviser l’échelle des peines en matière de santé et de sécurité au travail et de réviser l’assermentation.

Ce plan de réforme de l’inspection est très largement amorcé dans l’article 20 du projet de loi.

Des garanties, notamment sur l’indépendance des inspecteurs, ont été adoptées en cours de séance (information des institutions représentatives du personnel  en cas d’amende prononcée contre l’employeur ; élargissement des compétences de contrôle des agents de  l’inspection du  travail aux cas de travail forcé et de réduction en servitude prévus par le code pénal (amendement de Barbara Romagnan) ; suppression de la notion d’affectation temporaire contre d’éventuelles mutations ou changements de  postes non désirés et destinés à écarter les agents ; recherche, préalable à  toute opération, de la présence d’amiante, etc).

Mais bien insuffisantes, les écologistes ont voté contre cet article.
Le texte issu de l’Assemblée Nationale est examiné en commission puis en séance au Sénat à partir de ce mercredi.

L’ensemble des mesures étudiées :

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