Evasion fiscale : Le Parlement européen adopte une première étape du « Reporting public pays par pays ».

Vérifier que les multinationales paient leurs impôts là où a effectivement lieu leur activité : voilà ce que permettra le « Reporting public pays par pays » défendu depuis plusieurs années par Éric Alauzet.

 

Le Parlement européen vient d’adopter sa position sur une directive qui obligera les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros à publier les informations relatives au nombre d’employés, au chiffre d’affaires, au bénéfice et aux impôts payés dans chaque pays. Un outil essentiel dans la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Entre avancées et exceptions…

 

Déclaration de Pascal DURAND, Vice-Président du groupe Verts-ALE, membre de la Commission des affaires juridiques :

« Le texte voté par le Parlement est un signal fort envoyé aux États mais aussi aux citoyens. Il démontre que les députés européens ont pris la mesure du danger pour nos sociétés que représente l’évasion fiscale et de l’importance de la transparence pour y remédier. Avec ce compromis, environ 6000 groupes seront concernés par ces obligations que nous avons pu étendre à tous les pays du monde et potentiellement davantage dans quatre ans puisque nous avons introduit une clause de révision pour baisser le seuil du chiffre d’affaires annuel.

Aussi, l’obligation pour les entreprises concernées de divulguer les éventuels régimes de taxation de la propriété intellectuelle dont elles bénéficieraient, est une avancée majeure quand on connaît le rôle de ces « boîtes à brevets » pour éluder l’impôt.

Malheureusement, le régime d’exception imposé par la droite réduit drastiquement l’utilité du texte car des entreprises pourront demander des dérogations afin de ne pas publier des informations qu’elles jugeraient « commercialement sensibles ». Or, sauf à vouloir dissimuler un montage fiscal douteux, rien ne peut expliquer qu’une entreprise refuse de publier des informations aussi générales que son chiffre d’affaire, ses bénéfices, ses impôts payés ou son nombre de salariés. »

Déclaration d’Eva JOLY, Vice-Présidente de la Commission d’enquête Panama Papers :
« Des Luxleaks aux PanamaPapers, les scandales à répétition ont bien montré que les multinationales se nourrissent du secret pour élaborer des montages fiscaux leur permettant de ne pas apporter leur juste part au bon fonctionnement de la collectivité. C’est également ce qu’ont pu mettre en lumière nos travaux au sein la Commission d’enquête PANA au Parlement européen.

Et il n’y a pratiquement rien de plus économique et simple à mettre en œuvre que la transparence fiscale ! Ne pas changer ces pratiques anti-démocratiques est injustifiable. Tout comme la volonté de la droite d’ajouter une clause de sauvegarde permettant aux multinationales d’échapper à la transparence au nom de prétendus secrets commerciaux. Il est regrettable que cette nouvelle alliance au sein du Parlement ait affaibli nos ambitions en matière de transparence. »

 

Le Rapport :

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fTEXT%2bREPORT%2bA8-2017-0227%2b0%2bDOC%2bXML%2bV0%2f%2fFR&language=FR

 

L’exposé des motifs :

La publication d’informations pays par pays sur les données fiscales pertinentes des sociétés constitue un élément essentiel pour lutter contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale internationales et empêcher un nivellement par le bas entre les systèmes fiscaux. Toutefois, les avantages de la directive ne se limitent pas à cela. Face à l’accroissement de la mobilité et des activités économiques à l’échelle mondiale et européenne, la transparence en termes de publication d’informations est une condition préalable à une gouvernance d’entreprise forte et constitue un instrument pour promouvoir la responsabilité sociale des entreprises.

Actuellement, les citoyens ne peuvent pas utiliser les comptes publiés des entreprises, même pour vérifier si une multinationale opère dans leur juridiction fiscale. Malheureusement, les entreprises multinationales deviennent plus complexes et souvent moins transparentes, ce qui aggrave la situation. La plupart des pays utilisent les normes comptables internationales. Ainsi, la publication d’informations pays par pays permettra, d’une façon efficace et peu coûteuse, d’induire des changements en matière de transparence mondiale des entreprises au bénéfice de nos sociétés, notamment des citoyens, des actionnaires, des administrations fiscales, des investisseurs et des économistes, qui auront dès lors les moyens de demander des comptes aux gouvernements et aux multinationales.

Vos rapporteurs estiment qu’au-delà des objectifs liés à la fiscalité et à la responsabilité des entreprises, cette directive constitue également un instrument de renforcement des droits des travailleurs à être informés et consultés. La publication d’informations consolide le dialogue et encourage la confiance mutuelle au sein de l’entreprise car elle apporte des données objectives et fiables sur la situation d’une société et sensibilise, de ce fait, l’ensemble des parties prenantes, notamment les salariés, aux besoins d’adaptation. Elle favorise également l’implication des salariés dans le fonctionnement et l’avenir de l’entreprise, et accroît sa compétitivité.

Depuis longtemps, le Parlement européen appelle de ses vœux la publication d’informations pays par pays. Dès 2011, il avait adopté une position à cet égard, indiquant que la qualité des rapports financiers est un élément essentiel pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale, et qu’elle serait tout aussi précieuse pour les investisseurs de tous les secteurs, ce qui stimulerait la bonne gouvernance à l’échelle mondiale. En 2014, la publication d’informations pays par pays a fait l’objet de discussions dans le cadre de la directive relative aux informations non financières. Enfin, à la suite du plaidoyer de Sergio Cofferati, rapporteur sur la révision de la directive relative aux droits des actionnaires, en faveur de l’introduction dans la directive comptable de la publication d’informations pays par pays, la Commission a décidé de présenter une proposition spécifique sur cette question sous la forme d’un acte modificatif à la directive comptable. Cette modification de la directive est susceptible de jouer un rôle essentiel en ce qui concerne la déclaration d’informations par les entreprises.

Vos rapporteurs proposent de renforcer la transparence en matière d’informations devant être fournies par les entreprises, et suggèrent que le texte de la Commission soit amélioré comme suit:

  • Dans un souci d’amélioration de la réglementation, il convient d’éviter l’introduction de nouvelles catégories d’entreprises et de groupes. Il convient que la modification de la directive comptable s’aligne sur l’argumentation de cette même directive. Les seuils relatifs aux microentreprises, aux petites et moyennes entreprises et aux grandes entreprises sont définis depuis longtemps. Le concept remonte à la quatrième directive sur le droit des sociétés de 1978. Jusqu’ici, la nécessité d’introduire un nouveau seuil n’a pas été justifiée de façon satisfaisante par la Commission. Dès lors que les PME n’ont pas les ressources qui leur permettraient d’investir dans des structures de société boîte aux lettres pour transférer artificiellement des bénéfices, elles sont contraintes d’accepter un désavantage concurrentiel face aux multinationales. Afin de garantir un marché unique sain, il importe de mettre en place un système commun de déclaration d’informations par les entreprises qui soit équitable, efficace, transparent et propice à la croissance, fondé sur le principe selon lequel les bénéfices devraient être imposés dans le pays où ils sont générés. Ainsi, les grands groupes tels que définis à l’article 3, paragraphe 7, et toutes les grandes entreprises telles que définies à l’article 3, paragraphe 4, devraient être soumis aux nouvelles obligations en matière de divulgation.
  • Vos rapporteurs, sans être opposés, en principe, à l’idée d’une liste noire de l’Union des paradis fiscaux établie sur la base de critères clairs, estiment qu’il serait inapproprié de limiter la portée de la directive aux informations liées aux États membres de l’Union et aux paradis fiscaux et ils proposent, par conséquent, que les multinationales fournissent des informations sur leurs activités pour chacune des juridictions dans lesquelles elles opèrent, également à l’extérieur de l’Union européenne. La publication de ces informations ne constitue pas une sanction appliquée aux juridictions non coopératives, mais plutôt une condition nécessaire à ceux qui opèrent sur un marché unique performant.
  • Vos rapporteurs sont d’avis, dans le but de renforcer le contrôle public et la responsabilité des entreprises, que les multinationales devraient divulguer des informations pertinentes concernant tous les pays du monde dans lesquels elles sont actives afin que les impôts soient versés là où les profits sont réellement générés. Cet appel en faveur de la divulgation des données non agrégées est conforme à la cohérence des politiques de l’Union dans le domaine du développement car il vise à encourager le respect des obligations fiscales et à aider efficacement les pays en développement à obtenir l’accès à leurs recettes fiscales.
  • Vos rapporteurs estiment qu’il est essentiel que le format de la publication permette de comparer les données et ils proposent, par conséquent, une normalisation du format des documents d’information pour toutes les entreprises relevant du champ d’application de la directive.

En conclusion, vos rapporteurs souhaiteraient insister sur l’importance, pour garantir le bon fonctionnement du marché unique, d’une approche coordonnée et harmonisée dans la mise en œuvre des systèmes de déclaration d’informations par les entreprises. Il importe de souligner une fois de plus, dans ce contexte, que davantage de transparence concernant les activités des multinationales est essentielle pour mettre un terme au transfert de bénéfices, réalisé par le biais de plusieurs mécanismes, notamment les sociétés boîte aux lettres, les régimes fiscaux favorables aux brevets et les prix de transfert, de même que pour lutter contre les pratiques néfastes de concurrence fiscale entre systèmes fiscaux, qui sont trop souvent utilisées au détriment des citoyens, en particulier des contribuables, des salariés et des PME.

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