Etude Loi de Finances 2018 : le projet présidentiel à l’épreuve des faits

r sur le site NovoIdeo, Eric Alauzet partage l’analyse faite par  David Chollet.

Loi de Finances 2018 : le projet présidentiel à l’épreuve des faits

Objectif du gouvernement: respecter la cible d’un déficit public à 2,6% du PIB fin 2018 et diminuer de 10 milliards d’euros les impôts. Il table sur une croissance économique de 1,7% sur l’année 2018, en butte sur la réforme de la dépense publique. Les collectivités sont malgré tout protégées après trois années de perte sèche de leurs dotations.

 

Des premières mesures dans le prolongement du Pacte de stabilité

Exonération de la Taxe d’habitation pour 80% des ménages, reconfiguration de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière, revalorisation de l’AAH, de l’ASPA et de la prime d’activité, transfert des cotisations salariales maladie et chômage vers la CSG, création d’une « flat-tax » à 30% sur les revenus du capital, augmentation de la fiscalité énergie avec une augmentation du « prix » du carbone et transformation des crédits d’impôts pour les travaux de rénovation énergétique en prime, voici pour les principales mesures. Elles s’inscrivent dans la poursuite du pacte de responsabilité et du maintien de la « politique de l’offre » avec une baisse progressive de l’impôt sur la société à 25% et la transformation du CICE en baisse permanente de charges.

Le gouvernement Philippe met en œuvre les promesses de campagne du candidat Macron.

Selon l’OFCE, si le transfert vers les actifs approche les 7 milliards d’euros, 10% les plus aisés concentreraient près de 46% des baisses d’impôts prévues sur le quinquennat du fait de la structure de leurs revenus.

53,9 % : Taux des dépenses publiques en 2018 (54,6% en 2017)

Le gouvernement est ainsi confronté immédiatement à une difficulté « comptable ». Comment combiner l’application de ses baisses d’impôts ou de hausses des minimas sociaux avec le Pacte de Stabilité Budgétaire Européen ? Cela implique une réduction très importante des déficits publics. Avec une baisse du déficit structurel de seulement 0,1% prévue pour 2018, les limites de l’exercice apparaissent assez vite.

 

Une orientation plus pro-business que sociale-libérale

Le premier choix fait par le gouvernement aura été l’étalement dans le temps de l’application de certaines mesures. L’option retenue est prioritairement la poursuite de la « politique de l’offre », avec une inspiration revendiquée qui tient de la stimulation de l’innovationpratiquée au début des années 1990 en Suède, davantage que du « ruissellement ». Un arbitrage « pro-business » est clairement affiché avec la transformation du CICE en baisse de charges en une seule fois en 2020 ainsi qu’une diminution immédiate de l’ISF et de la fiscalité sur les revenus du capital. « En même temps », les baisses de cotisations et les revalorisations des minimas sociaux sont étalées sur deux ou trois ans tandis que l’augmentation de la CSG s’appliquera dès janvier 2018 ; l’exonération de la Taxe d’Habitation, la mesure fiscalement la plus coûteuse et du coup la plus significative est répartie sur trois exercices budgétaires consécutifs.

Politiquement, l’équilibre social-libéral du projet Macron se déporte ainsi vers cette orientation pro-business où, pour citer le commissaire européen socialiste Pierre Moscovici[1], la baisse de la fiscalité sur le capital vient logiquement compléter la politique de baisses de charges sur les entreprises des gouvernements Ayrault et Valls.

 

La fiscalité écologique en question

Dans ce contexte, la bonne surprise reste que la montée en puissance de la fiscalité environnementale n’est pas oubliée ou repoussée dans le temps[2]. Certes, la taxation sur les dégradations environnementales est un moyen de financer la baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises et le capital. Certes, cela se fait de manière modeste, le gouvernement prenant bien soin de cibler les ménages plutôt que les professionnels (transports, pêcheurs, agriculteurs…). Néanmoins, même modeste, cette augmentation pèsera lourd sur le budget des Français aux revenus les plus faibles (concrètement, les ménages du premier quintile[3]). Le ministre de la Transition écologique et solidaire a en conséquence annoncé des mesures sociales nouvelles, dont la généralisation du chèque énergie. Une modulation de la taxe foncière selon les performances énergétiques du bâti est également à l’étude.

Mais de quelle fraction des recettes de cette nouvelle fiscalité environnementale pourra t-il bénéficier pour financer ces mesures sociales et les « contrats de transition » devant accompagner la fermeture des centrales à charbon et d’un nombre conséquent de réacteurs nucléaires ? La question reste pendante à la lecture de la loi de programmation budgétaire, et elle est décisive pour penser une transition « écologique ET solidaire ».

 

Des économies sur les dépenses encore peu précises

Pour accompagner ces mesures de baisses d’impôts, le candidat Macron avait annoncé une baisse des dépenses publiques (60 milliards d’euros) et du nombre de fonctionnaires (120 000)[4]. La loi de programmation budgétaire prévoit une baisse des dépenses publiques de 3 % du PIB (soit plus de 60 milliards) à l’horizon 2022. Pour 2018, cela représente 7 milliards d’euros sur l’État, 3 milliards sur les collectivités territoriales et le Grand Paris, enfin 5 milliards sur la Sécurité sociale. Mais ces chiffres sont à interpréter selon une tendance spontanée à la hausse des dépenses publiques. Concrètement, le PLF 2018 prévoit une augmentation des dépenses  et des déficits publics de 11 milliards d’euros. L’Éducation et la Défense sont les gagnants des arbitrages.

« Le gouvernement a mis en place un (nouveau) comité « Action Publique 2022 » pour piloter la réforme de l’action publique et de la « norme pilotable » des dépenses publiques »

A ce stade, le gouvernement est peu clair sur les postes où seront réalisées les baisses de dépenses[5]. La masse salariale continue d’augmenter d’environ 2 %, moins de 1600 postes seraient supprimés, en retrait par rapport à l’objectif présidentiel. Certes, l’exécutif a le mérite de vouloir séparer la fraction des dépenses de l’État qu’il juge « pilotable » des dépenses fortement contraintes (notamment les retraites, le coût de la dette, le plan d’investissement de « 50  milliards » et, ce qui est une nouveauté, les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales).

Ses premières mesures traduisent une volonté d’équilibre des comptes publics : on réalise des coupes claires dans des missions de l’État où les dépenses sont réputées, sur la base de comparaison européenne, être excessives et, qui plus est peu efficaces (logement, travail) mais sans vraie réforme pour améliorer l’efficacité de la dépense publique. Aucune des pistes de réforme structurelle des aides au logement n’a été envisagée (proposition de Gabrielle Fack et alii, par exemple[6]), et la réduction du nombre de contrats aidés, pour des motifs surtout budgétaires en vérité. Ce mouvement précède la réforme de l’assurance-chômage et les nouvelles politiques de financement de la formation des chômeurs. Là encore le compromis social-libéral proposé pendant la campagne se déporte au détriment de la ligne telle qu’incarnée par l’économiste Pisani Ferry notamment[7].

Certes, le gouvernement a mis en place un (nouveau) comité « Action Publique 2022 » pour piloter la réforme de l’action publique, tant dans la quantité que dans la qualité des dépenses. On ne peut s’empêcher de rappeler que ses prédécesseurs, sous Nicolas Sarkozy et François Hollande, s’y sont également essayés et que, dès 2019, l’État s’engage à une maîtrise importante de la « norme pilotable » des dépenses publiques (-0,4% en 2019 puis -1% en 2020 contre +0,6% en 2018). Le tournant s’annonce donc difficile.

« La loi de programmation demande à l’État de contractualiser avec les 319 principales collectivités territoriales un objectif maximum de croissance des dépenses de fonctionnement et une croissance forte de l’autofinancement de leurs investissements  (art. 10 LPFP) »

Un nouveau contrat avec les collectivités, mais avec quels leviers ?

Cette maîtrise de la dépense publique s’étend logiquement aux administrations publiques locales et à celles de la Sécurité sociale. Sur les dépenses publiques locales, le gouvernement maintient le principe d’une programmation et d’un plafond national introduit par la précédente législature, mais il en modifie le mode de gouvernance. Pour remplacer la baisse centralisée des montants de dotation des collectivités (qui a abouti à la création de curiosités comme les dotations négatives et à l’inflation d’embauches en contrats aidés), la loi de programmation demande à l’État de contractualiser avec les 319 principales collectivités territoriales un objectif maximum de croissance des dépenses de fonctionnement (1,2 %) et une croissance forte de l’autofinancement de leurs investissements  (2,6 milliards d’euros par an, cumulatifs) (art. 10 LPFP), ce deuxième point apparaissant comme particulièrement contraignant. Cette contractualisation est soumise au débat démocratique local dans le cadre des débats d’orientation budgétaire : un rapport du représentant de l’État sera soumis pour avis  en cas de dépassement d’un ratio encours de la dette/CAF (art. 24 LPFP). La question des « malus » pour les collectivités ne s’associant pas à cette réforme ou ne respectant pas les objectifs négociés reste à définir.

Conclusion : vers un nouveau pacte européen ?

Les enjeux de ce PLF 2018 peuvent se lire à deux niveaux. Nationalement, inspiré par les réflexions d’économistes comme Philippe Aghion[8], le gouvernement espère que ces mesures budgétaires, ainsi que des mesures extra-budgétaires comme les ordonnances sur le Code du travail, augmenteront la croissance potentielle de l’économie française[9] (que la direction du Trésor a réévalué à la baisse, à 1,25 %) et, à terme, l’état des finances publiques. Politiquement, elles sont aussi le gage de la volonté de la France de respecter les traités européens actuels pour mieux les réformer : la question de la création d’un budget de la zone euro permettant de financer des programmes d’investissement européen ou de corriger des chocs exogènes sur la zone monétaire unique était au cœur de la campagne d’Emmanuel Macron et reste importante dans les discours du président.

Ces deux paris, également risqués, ne pourront fonctionner qu’avec le soutien d’une fraction de la population plus importante que celle qui a voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle. A ce jour, il n’est pas facile de trouver dans ce PLF 2018 beaucoup de réponses à la question de l’élargissement de la base sociale du « progressisme » présidentiel.

 

LES COLLECTIVITÉS CONVALESCENTES MAIS RÉSILIENTES

Elles ont augmenté leur épargne brute en 2017 (+ 2,2 %) en raison d’un rythme d’évolution des recettes de fonctionnement (+ 1,6 %) en lien avec la reprise de la fiscalité sur les entreprises et immobilière. C’est un rythme un peu supérieur à celui des dépenses de fonctionnement (+ 1,5 %). Cette tendance de reconstitution des marges de manœuvre financières s’observerait pour tous les niveaux de collectivités.

Une reprise des dépenses d’investissement des collectivités territoriales (+ 3,7 % en 2017, après trois années de recul représentant -10,6 milliards d’euros), surtout portée par le bloc communal mais les volumes restent faibles, inférieurs à 50 milliards d’euros.

Des investissements autofinancés et un faible recours à l’endettement (+ 0,3 % en 2017) dans un contexte de faible taux d’intérêt.

Sources : CDC, LBP

 

LEXIQUE

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Déficit public

Les déficits publics désignent le solde négatif (dépenses supérieures aux recettes) du budget de l’Etat, des collectivités locales et de la Sécurité sociale. Dans ce cas, les administrations publiques se trouvent en situation de besoin de financement.

Epargne brute et capacité de désendettement

Cet indicateur correspond au solde des opérations réelles de la section de fonctionnement (recettes réelles de fonctionnement – dépenses réelles de fonctionnement y compris les intérêts de la dette) des collectivités. L’épargne brute constitue la ressource interne dont dispose la collectivité pour financer ses investissements de l’exercice. Cet agrégat est souvent rapporté à la dette de la collectivité pour calculer sa capacité théorique de désendettement exprimée en nombre d’années. La Loi de Finances en fixerait une cible : 11 à 13 années pour les communes.

NOTES

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[1] Audition de Pierre Moscovici par la commission des Affaires européennes et la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le 4 octobre 2017

[2]Les recettes liées à l’augmentation de la fiscalité environnementale sur le quinquennat sont évaluées à 12,5 milliards d’euros à l’horizon 2022 (direction du Trésor).

[3]Rapport de la direction du Trésor sur la PLPF et le PLF 2018, évaluation par l’OFCE du programme présidentiel.

[4]Les chiffres du programme présidentiel sont tous repris du site du candidat.

[5]Le caractère peu documenté des baisses de dépenses a été relevé par l’institut COE-REXECODE en mars 2017 et par l’OFCE en juillet 2017.

[6]BOZIO, FACK, GRENET, Les allocations logement, comment les réformer, Opuscule n°38 Cepremap, édition Ens Rue d’Ulm

[7]D’autant plus que ces baisses devraient affecter les transferts sociaux, et impacter à la baisse le revenu disponible des ménages.

[8]AGHION, CETTE, COHEN, Changer de modèle, éditions Odile Jacob

[9]L’OFCE s’est essayée par exemple à une évaluation de la croissance potentielle induite par le projet Macron sur la formation. Bruno Ducodré l’estime entre +0,16% et +0,31% sur 5 ans.

 

Note : David Chollet. Relectures : Jean-Marc Pasquet et Jérome Kerambrun. Corrections, édition : Benjamin Bibas.

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