Eric Alauzet aux Rencontres parlementaires sur la fiscalité comportementale

Eric Alauzet a participé en juin dernier aux premières Rencontres parlementaires sur la fiscalité comportementale. Face à l’état des finances publiques, faut-il envisager de nouvelles pistes qui pourraient passer par des impôts comportementaux. N’y a-t-il pas un risque de voir ce type de fiscalité devenir un impôt punition ? Existe-t-il des exemples, notamment en matière écologique ? Ce sont les principales questions qui ont été abordées lors de ces rencontres réunissant des sénateurs et députés mais aussi des cadres d’entreprises, des économistes, des universitaires.

 

Qu’est-ce que la fiscalité comportementale ?

La fiscalité environnementale vise à intégrer, dans les coûts supportés par les acteurs économiques (entreprises, ménages, secteur public…) le coût des dommages environnementaux causés par leurs activités.

Elle représente ainsi un moyen économiquement efficace pour modifier le comportement des acteurs, conformément au principe de « pollueur-payeur » qui figure dans la Charte de l’environnement, partie intégrante du bloc constitutionnel depuis 2005.

Les taxes environnementales peuvent être distinguées en fonction de la problématique environnementale à laquelle elles s’appliquent : consommation de ressources (ressources biotiques, ressources en eau, matières premières énergétiques et minérales), changement climatique (émissions de gaz à effet de serre) et pollutions (pollution de l’air, de l’eau et gestion des déchets).

En France, la fiscalité environnementale reste majoritairement assise sur les consommations énergétiques, principalement les énergies fossiles. Les systèmes de malus perçus sur l’achat et la détention des véhicules les plus émetteurs de CO2 ou la taxe générale sur les activités polluantes constituent quant à elles des exemples de fiscalité relative aux problématiques de changement climatique et de pollution.

 

L’intervention d’Eric Alauzet

Le député du Doubs est intervenu sur l’utilisation de la fiscalité comportementale dans d’autres pays. La présentation était « croisée » avec Nicolas Bouzou, économiste, directeur et fondateur d’Asterès (cabinet de conseil économique).

Les plus novateurs en l’espèce sont  les pays nordiques, avec une approche qui pourrait éclairer les débats français actuels, notamment en termes d’affectation des recettes issues de la fiscalité environnementale.

 

Eric Alauzet « En tant qu’écologiste, j’estime que lorsque nous taxons les ressources naturelles qui s’épuisent, les fonds ainsi collectés devraient être dirigés vers le financement d’actions vertueuses pour l’environnement. Mais la contrainte des comptes publics rend difficile l’instauration de nouvelles taxes. Un autre choix a été fait dans les pays d’Europe du Nord, réputés en avance sur l’écologie. La restitution se dirige vers le financement de la protection sociale et du travail, ce qui contribue à la compétitivité économique. Cet exemple répond à l’objection souvent faite aux taxes écologiques, accusées d’aller à l’encontre de la croissance économique. En Europe du Nord, c’est le contraire.

En France, le débat est vif. La mise en place du CICE oriente le débat, en tout cas pour les premiers milliards qui seront récoltés à travers ces taxes écologiques. Nous espérons qu’elles monteront en puissance et pourront aussi contribuer à des incitations.

Finalement, nous aimerions avoir un signal à la dépense et à la recette. Avec le système anglo-saxon et celui qui se profile en France, l’incitation s’effectue uniquement au moment où la taxe est prélevée et pas à travers l’affectation des recettes. Pour fonctionner, ce système doit éviter les exonérations. Cela n’a pas été le cas notamment en Allemagne où un certain nombre d’exemptions ralentissent l’efficacité de la taxe. »

 

Nicolas Bouzou « Une taxe comportementale, qu’elle soit écologique ou nutritionnelle, ne doit pas contribuer au redressement des comptes publics, par définition. Son objectif est de modifier les comportements de manière à assécher la base fiscale. Si l’État gagne de l’argent, ces taxes ne fonctionnent pas.

Sur les questions écologiques et nutritionnelles, la réflexion fiscale est commune à tous les grands pays développés qui réfléchissent à la manière de mieux réguler les dépenses de santé. Dans quelques années, elles auront dépassé les budgets consacrés aux retraites et la complexité du sujet est diabolique. La fiscalité comportementale peut-elle contribuer à lutter contre les maladies chroniques qui sont celles qui coûtent le plus cher ?

D’après le consensus international, la fiscalité nutritionnelle est astucieuse intellectuellement mais son défaut est qu’elle ne fonctionne pas en pratique. Elle est astucieuse pour les économistes car elle internalise des externalités. Lorsqu’un individu fume, il cause des dommages à lui-même et aux comptes de l’assurance maladie et la taxe permet de faire payer aux fumeurs une partie des coûts qu’il engendre pour la société. La même logique serait valable pour des personnes qui se nourriraient exclusivement de sucres et de charcuterie : leur comportement déséquilibre le système d’assurance maladie auquel tous contribuent. Cette notion est ancienne, elle date de la fin du XIXe siècle, avec l’apparition de l’État providence.

J’ai entendu les intervenants dire que, parfois, ceux qui mettent en place la fiscalité en maîtrisent mal les effets. C’est vrai dans 97 % des cas, surtout en ce qui concerne la fiscalité nutritionnelle car la fiscalité écologique est plus simple. Bien souvent, la fiscalité nutritionnelle engendre les effets contraires à ceux recherchés. Aux États-Unis, par exemple, pays confronté à un problème d’obésité, les études ont montré que la mise en place d’une taxe sur des produits alimentaires conduisait les consommateurs à se tourner vers les mêmes produits mais à coût plus faible et de qualité moindre dont les effets sont encore plus nocifs pour la santé. C’est la raison pour laquelle la fiscalité nutritionnelle se développe peu à l’étranger. Il en va tout autrement pour la fiscalité écologique, qui se développe beaucoup, notamment dans certains pays scandinaves où elle représente 3 à 4 % du PIB. Le consensus scientifique est partagé et il est possible de taxer des bases fiscales plus larges. En revanche, la fiscalité nutritionnelle repose sur des assiettes plus fines et il existe des effets contraires plus importants. »

 

Eric Alauzet « Parfois, la taxe comportementale peut contribuer à équilibrer les comptes publics ; c’est le choix qu’ont fait les pays nordiques. Dans le cas des énergies, l’objectif d’une fiscalité sur le carbone vise la fin de la dépendance vis-à-vis de ces énergies mais la priorité est de moins consommer d’énergie, donc nous risquons d’être obligés de taxer les énergies renouvelables. La source ne s’assèche pas forcément.

Dans le cas des déchets, la redevance incitative frappe l’incinération alors que les déchets recyclables nécessitent du transport et un traitement particulier et pourraient être également taxés à terme. Là non plus, la source ne s’assèche pas.

Sur les aspects sanitaires, l’effet des taxes est discutable et les Danois ont abandonné leur taxe sur les graisses saturées qui coûtait cher en gestion et n’était pas efficace ; de plus, le consommateur ne percevait pas le signal prix envoyé par la taxe. Sur le tabac la baisse est réelle, pour l’alcool et les sodas, il n’est pas sûr que la consommation diminue. En revanche, la probabilité que ces produits nuisent à la santé est forte et le fait que cette taxe finance la lutte contre les maladies liées à ces produits n’est pas illogique. »

 

Nicolas Bouzou « La « taxe sodas » a été répercutée seulement à moitié dans les prix à la consommation par le jeu de la concurrence et du marché. Une petite baisse de la consommation a été constatée mais des études sont en cours pour vérifier s’il n’y a pas d’effets pervers majeurs : les personnes aux plus faibles revenus auraient tenté de maintenir leur consommation au péril de leur pouvoir d’achat.

L’équilibre des secteurs doit être préservé : les marges de l’industrie agro-alimentaire ont beaucoup baissé, l’emploi dans ce secteur se fait plus rare. Ces éléments doivent être pris en compte, d’autant plus que les besoins d’investissement de l’agro-alimentaire sont très importants.

Ce recours est à réserver aux produits qui le nécessitent. Si une taxe quadruple le prix, l’effet sera mécanique, le produit, le marché et l’emploi disparaîtront, mais je ne connais pas d’expérience réussie en matière de régulation par la taxe de la consommation de certains produits.

 

Débats

Julien Bluteau, rédacteur, AMC Le Conseil constitutionnel français fait échec aux mesures de fiscalité comportementale : qu’en est-il des autres pays ? Une révision constitutionnelle n’est-elle pas envisagée pour éviter ce problème ?

Eric Alauzet En matière de santé, il y a beaucoup de controverses,  la morbidité et les pathologies sont souvent multifactorielles. C’est la raison pour laquelle ces taxes au niveau sanitaire sont fragiles. En ce qui concerne la taxe carbone, l’échec était lié aux exemptions et au manque d’équité.

Tom Taylor, président, Faaddhed Ne pensez-vous pas que la fiscalité comportementale pose en réalité la question de l’harmonisation de la fiscalité en Europe ?

Nicolas Bouzou En effet, l’un des éléments qui a conduit le Danemark à retirer sa taxe était dû à des achats massifs de produits hors des frontières du pays. Malheureusement, l’harmonisation, qui est un beau concept en théorie, ne sera pas réalisée.

Eric Alauzet Les pays du nord qui ont le plus eu recours à la fiscalité écologique sont aujourd’hui les plus compétitifs, même si le transfert des charges pensant sur le coût du travail vers le coûts de l’énergie n’est pas le seul facteur. Ces outils ne les ont pas empêchés de se développer et les ont peut-être aidés à devenir plus compétitifs. Il suffit de décider que l’on fasse payer plus l’énergie fossile que l’énergie humaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

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