Besançon : abri de nuit et migrants en détresse
Eric ALAUZET est allé dernièrement à l’Abri de nuit de St Jacques et a rencontré des familles kosovares en attente d’expulsion à Besançon.
Le journaliste JP TENOUX était présent. Article paru dans l’Est Républicain :
Besançon : abri de nuit et migrants en détresse
Besançon. Ce soir-là, Eric Alauzet arrive à vélo à l’abri de nuit installé dans les anciens locaux de la maternité de l’hôpital Saint-Jacques, à Besançon. Le temps de déposer l’engin dans le couloir, de le verrouiller avec une grosse chaîne – on n’est jamais trop prudent quand on est cycliste, malgré les deux vigiles qui le regardent faire, étonnés – et le député EELV du Doubs gravit l’escalier. A l’étage, la directrice, Catherine Gaboreau, a fait savoir que l’homme ne venait « pas pour une expulsion », ce qu’auraient pu laisser accroire la mine sévère de l’élu et la présence à cette heure inhabituelle de cadres administratifs. Cela n’empêche pas un résident, à qui Eric Alauzet demande poliment s’il va bien, de répliquer aussitôt : « Je suis en règle ! ».
« Comme des esclaves ! »
La trentaine de couples ou familles hébergés a de quoi se méfier. A une ou deux exceptions près, tous devront quitter le territoire. Sans savoir à quel moment cette mesure de reconduite à la frontière sera appliquée. Certains déboutés du droit d’asile, qui les ont précédés ici, ont préféré « disparaître dans la nature » pour l’éviter, explique Catherine Gaboreau. Mais d’autres attendent avec résignation qu’on vienne les chercher. Quelques-uns l’espèrent avec une sorte de « soulagement » paradoxal, car ils ont compris que l’aventure était pour eux sans espoir. La plupart sont suivis par des associations militantes, humanitaires ou plus politisées, selon les cas. Ce sont elles qui ont alerté le parlementaire sur la situation. Eric Alauzet a voulu se rendre compte.
Certes, le bâtiment vieillit. Il fermera d’ailleurs bientôt. Il est loin, pourtant, d’être insalubre. Il n’y a pas si longtemps, des femmes y accouchaient. Au détour d’un couloir, les jours de pluies, on pose une bassine. La plus vindicative des familles kosovares rencontrées par le député l’a photographiée et lui montre le cliché en proclamant que l’endroit est insalubre. Sauf que les chambres qui lui sont dévolues sont loin de ces infiltrations. Alors, c’est devant la bonde d’évacuation sous le lavabo qu’on le traîne. « On est traités comme des esclaves ! », s’emporte un ado qui doit avoir une connaissance assez relative de la traite négrière. Sur le mur, il est écrit : « Les rêves, les désirs et les espoirs sont les étoiles de nos vies ». C’est joli. La citation a été apposée le matin par l’un des cinq enfants, le dernier né en France, en prévision de la visite du parlementaire, apprend-on.
Eric Alauzet note des similitudes dans les récits. Qu’il s’agisse des motifs pour lesquels le retour au pays serait « impossible » ou des maladies, par exemple. Certaines sont graves, d’autres bénignes. Le député, médecin de métier, n’est pas dupe. L’un des migrants est au CHU Minjoz avec un cancer en phase avancée, lui précise sa femme. Ils sont venus en France pour qu’il soit soigné. L’élu se tait. Le climat national, il le sait, n’est guère à la tolérance à ce sujet. « Les passeurs vendent à la fois un voyage et une histoire… », précise Catherine Gaboreau. Ali et Clovis, les médiateurs, confient qu’il leur faut faire face à des comportements violents, que des maris ont dû être séparés de leurs épouses et progénitures. L’un d’eux dort dans une voiture. L’abri a ses règles. La plus coercitive, c’est qu’il faut le quitter chaque jour à 8 h et qu’il est interdit d’y rentrer avant 20 h. Entre temps, les migrants sont livrés à eux-mêmes. A l’exception des enfants, scolarisés.
Affres du déracinement
Eric Alauzet pose les questions transmises par les associations. Il inspecte les frigos, s’inquiète des prises électriques, s’enquiert de l’état des sanitaires. Entourée de ses gamins, une mère dit qu’elle a obtenu un titre de séjour mais préfère l’abri de nuit, à Besançon, plutôt que de rejoindre l’appartement proposé à Sochaux. « Pour que les enfants restent avec leurs camarades de classe », insiste-t-elle. C’est un instant heureux, malgré les affres du déracinement. En repartant, le député a ses réponses. Mais pas de solutions. La politique migratoire du gouvernement s’est durcie concernant les pays de l’Est. Aujourd’hui, la « priorité » politique va aux arrivants d’Irak, d’Afghanistan, de Syrie, de Libye, du Soudan et d’Érythrée. Les misères aussi sont mondialisées et en concurrence.
Jean-Pierre TENOUX