Discours d'Antoinette Gillet, Vice-Présidente de l'enseignement supérieur, à l'ouverture du congrès des professeurs de physique et chimie.
Au nom du Président Raymond Forni, je vous souhaite la bienvenue en Franche-Comté. Je pourrais consacrer mon discours à en célébrer les charmes et les atouts trop souvent méconnus, mais il sera question dans mon propos, et particulièrement parce que je m’adresse à des enseignants, de la Physique et de la Chimie comme sciences humaines. Cela ressemble à un paradoxe : on a tellement pris l’habitude d’opposer sciences humaines et sciences de la nature, sciences dures et sciences molles, que l’on ne voit plus à quel point certaines sciences dites humaines sont plus froides , plus dures, plus abstraites d’humanité que la plus abstraite des théories physiques et qu’en revanche, il y a plus d’humanité dans la théorie des cordes que dans certaines théories économiques ; parce qu’ elle unit toutes les puissances de l’esprit, l’imagination créatrice , la capacité d’abstraction et la raison mathématique et surtout l’insatiable désir de connaître et de comprendre le Monde, caractéristique majeure de notre espèce.
Il est vrai que les Sciences de la matière, la Physique, la Chimie, fascinent, à cause essentiellement de l’emprise qu’elle nous assurent sur le monde, et des réussites spectaculaires de leurs techniques dérivées ; mais à force de s’hypnotiser sur l’objet , on en oublie le sujet ; on ne se rappelle pas assez que les sciences de la nature sont faites par des hommes, dans un contexte humain et trop humain, et trop souvent idéalisé, ce qui est encore une façon subtile de banaliser.
Je voudrais souligner ici à quel point le vocabulaire nous abuse avec un mot comme celui de « découverte », comme si la connaissance des phénomènes était logée en leur cœur et qu’il suffisait de lever le voile, pour la « révéler ». Non, les sciences sont des constructions, et des constructions humaines, ce que l’on appelle une « découverte » s’appuie sur le travail séculaire de ceux qui se sont évertués dans le même paradigme, y compris le travail de celui qui le bouleverse : que serait Einstein sans Galilée, Planck et Maxwell ? sans aussi, mais on l’oublie, sa première femme. La Science n’est pas un donné mais un construit, un chantier en construction qui s’édifie au fil des générations, au risque, parce qu’elle s’édifie justement, par un effort collectif, , AU RISQUE DE LA TRANSMISSION.
Nous sommes des enseignants , ceux qui, à travers la mission de transmettre, participent éminemment de cet effort collectif et trans générationnel qu’est la construction de la science. Que seraient les sciences sans le soutien de l’infanterie légère des professeurs de sciences ? Encore faut-il bien définir ce qui est à transmettre : il faut bien des programmes ; sans doute, les contraintes de la transmission, comme celles de l’apprentissage d’ailleurs, imposent-elles, quoi qu’on en ait, des contenus, c’est à dire une mise en forme pétrifiée des connaissances, il nous revient de faire en sorte que cette forme ne soit pas pétrifiante dans l’esprit de nos élèves ; c’est le risque de dogmatisation qu’évoquait Bachelard dans la formation de l’esprit scientifique.
En effet, science humaine, la Physique et la chimie émanent d’ une motivation humaine essentielle, explorer le monde et lui trouver du sens, en lui posant quelques bonnes questions ; mais les questions viennent de nous et la science part du principe que le monde peut répondre parce qu’il est intelligible, transcriptible dans des théories rationnelles. La physique peut tirer d’elle-même sa propre philosophie, qui n’est plus inspirée de la métaphysique ni a fortiori de la religion à quoi voudrait l’asservir le créationnisme dit du Grand Dessein. A ce titre elle rentre de plain pied dans les débats que suscitent les interrogations philosophiques et les turbulences idéologiques et religieuses contemporaines, elle n’en est pas l’arbitre, elle n’a pas à leur opposer des contenus « vrais », ce qui serait tomber dans le scientisme, mais elle délimite les territoires de l’esprit en affirmant celui de la Raison : la prise de distance avec les évidences reçues, la rigueur dans la définition des problématiques, l’exigence d’attendus contrôlables dans l’administration de la preuve, la relance continue des questions, et aussi, rien n’étant définitivement acquis, une certaine forme d’humilité. C’est surtout cela qu’un jeune lycéen doit trouver à l’arrière-plan d’un enseignement scientifique ; car c’est là qu’est le sens de ce que nous devons transmettre et qui doit transparaître à travers et au delà des contenus d’un programme.
Science humaine, la Physique et la chimie sont donc historiques, ce sont des sciences historiques en ce sens premier évident qu’elles se construisent dans le temps et s’inscrivent dans l’époque et dans le développement de nos sociétés.
Je citerai ici pour mémoire les précurseurs Francs-Comtois que furent Pasteur qui établit les principes de la stéréochimie (structure spatiales des molécules)
et Pierre Vernier originaire d’Ornans inventeur de l’instrument de métrologie qui porte son nom et qui permet des mesures de dimension avec une grande précision.
L’état actuel d’une question scientifique n’est qu’un arrêt sur image mais il est pris en réalité dans le film continu de l’interrogation et de la recherche, il n’a de sens que rapporté à l’histoire qui l’a acheminé à ce stade, rapporté à la transformation dans la manière de poser ou de reposer les questions ; mais cet arrêt sur image que sont nos programmes d’enseignement engendre l’illusion dogmatique. Dans l’esprit d’un lycéen, c’est un savoir solide, solidifié, la clé de problèmes scolaires, un savoir monnayable en note pour l’entré en Prépa. Ce n’est plus un problème scientifique parce que l’on a perdu la profondeur de champ :
pourquoi on en est venu à se poser telle question ?
qu ‘est-ce que les uns et les autres en ont fait ?
Quelles impasses et quelles réussites ?
Quelles relances de la question ? et quels renouvellement.
Une didactique plus historique passant par le problème et l’histoire des problèmes permet sans doute de dépasser la pétrification des savoirs bachotés .
Science humaine enfin, la Physique l’est par son ambivalence.
Je ne retiendrai parmi toutes les ambiguïtés qui sont les nôtres à tous, mais que l’on transfert sur la Science, je n’en retiendrai qu’une seule ; la physique est à la fois source de connaissance et source de puissance. La tentation est forte aujourd’hui de la tirer vers la puissance : c’est la commande politique et la demande sociale , ce n’est pas sa fonction première, peut-être aussi revient-il aux professeurs de physique en première ligne de faire reconnaître la gratuité - mot qui hérisse certains économistes - la gratuité essentielle de la connaissance.
Cela me fait penser à la réponse que fit l’hymalayiste anglais Mallory à un interlocuteur sceptique :
« pourquoi monter sur ces montagnes ? »
« parce qu’elles sont là ! ».
« Pourquoi vous donner tant de mal pour expliquer le monde ? » :
« parce qu’il est là »
03 novembre 2006
LA PHYSIQUE ? UNE SCIENCE HUMAINE.
Publié par Les Conseillers Régionaux Europe Ecologie-Les Verts à 13:41
Sujets : Antoinette GILLET, Divers
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire