[BP2015] Intervention générale de Jean-Philippe Magnen

jpm

Monsieur le Président, chers collègues,

L’assassinat de dessinateurs et chroniqueurs de Charlie Hebdo, de policiers dans l’exercice de leurs fonctions, de citoyens français juifs nous a tous bouleversés. Les violences à l’encontre des citoyens français musulmans qui s’en sont suivies, les dégradations de lieux de cultes, les appels à la haine sont inacceptables. C’est le système de valeurs de notre pays qui s’en trouve menacé.

Lors des événements des 7, 8 et 9 janvier, rarement notre société contemporaine n’avait connu un tel choc et de telles réactions de toutes les franges de la population. La loi de 1881 sur la liberté de la presse doit être en France l’une des rares à faire autant consensus. Toutes tendances politiques confondues.

« Je peux être en désaccord, mais je me battrai pour que tu aies le droit d’exprimer ce que tu penses, à condition que cela ne constitue pas un discours de haine ». Voilà pourquoi beaucoup se sont levés pour Charlie. L’émulation collective qui a fait vibrer le pays, sur toutes les places de la République, jusque dans l’hémicycle du Parlement est belle. Vraie. Elle transcende les clivages, les particularismes, les couleurs politiques ou les croyances. Elle est un formidable hommage à un certain esprit français – quand il se fait universel – qu’on a voulu assassiner. C’est le sens de l’initiative collective et politique de l’ensemble des groupes de cette collectivité en début de session, à laquelle se sont évidemment joints les écologistes. C’est aussi l’origine de notre volonté de continuer à agir au sein de cette institution de la République.

L’émotion doit aujourd’hui laisser place au temps de l’analyse et de la réflexion partagée, mais aussi à celui des réponses politiques pour soigner les maux de notre société et préparer l’avenir. Oui, nous devons nous attaquer au « mal » mais surtout aux causes du « mal » qui résident principalement dans une pauvreté économique et sociale accrue, notamment dans les quartiers d’habitat social. Car si on peut se réjouir de la mobilisation historique suite aux attentats, le constat de la faible présence d’habitants de ces « zones » dans les marches est révélateur. J’ai été très marqué par les propos de Mohammed Tria, cadre d’entreprise et président du club de foot de la Duchère à Lyon. Il s’alarme des fractures de la société française et constate que de plus en plus de gens vivent non plus avec nous mais à côté de nous. Constat cinglant… Lutter contre les fractures et les inégalités, contre les préjugés et les amalgames : les chantiers sont vastes mais impératifs. Et les actions à mettre en œuvre concernent autant notre quotidien de citoyen impliqué que notre rôle d’élu au sein de cette assemblée.

Je laisserai mon collègue Matthieu Orphelin détailler les propositions que nous souhaitons porter dans les mois qui viennent dans cet esprit.

Ce dernier budget primitif de la mandature s’inscrit donc dans un contexte social et politique très particulier, mais également dans un contexte économique sensible, lié à une diminution des dotations de fonctionnement de l’Etat de l’ordre de 22 millions par rapport à 2014. Malgré ces choix que nous réprouvons, nous gardons la même ambition pour préparer l’avenir. La décision de porter notre capacité de désendettement de quatre à six ans va dans le sens d’un maintien d’un haut niveau d’investissement. Des investissements ciblés qui doivent générer des créations d’emplois durables mais aussi au cœur de la transition, notamment énergétique, de notre région. Car la transition énergétique possède un potentiel d’emplois important, près de 700 000 à l’échelle nationale d’ici 2030, si nous maintenons des investissements publics ambitieux.

Parce que si nous vivons une période de crise, nous sommes aussi dans une période de transformation, de mutation, il est urgent de tout faire pour redonner une fiscalité économique et dynamique adaptée. Le Premier ministre l’a promis au Sénat en octobre dernier. Nous attendons le prolongement de ces prises de paroles par des actes forts, en matière de décentralisation et donc de transferts clairs de compétences ! La loi NOTRe est actuellement en discussion au Parlement : l’adoption de l’amendement sur la régionalisation du service public d’accompagnement vers l’emploi est un bon signal, mais nous attendons une clarification sur l’ensemble des futures compétences régionales… et ça passera par un débat parlementaire offensif qui fasse en sorte que cette loi soit bien la nôtre !!!!

Dans ce cadre mouvant, ce budget renforce le volet économie sociale et solidaire et prépare l’avenir de notre région et de ses habitants en pariant sur la formation, l’emploi, la recherche ou l’innovation, avec encore cette année malgré le contexte, des mesures nouvelles qui vont dans ce sens.

Ce budget met en œuvre la stratégie régionale de transition énergétique et propose un développement solidaire, durable et équilibré du territoire avec le soutien aux mobilités alternatives. Près de 450M€ qui lui sont consacrés : 395,5 pour le rail ; 54,5 pour le Grand Port Maritime. Ce maintien de l’effort sur le ferroviaire (ce qui est loin d’être le cas dans toutes les régions) et le soutien accru au Grand Port Maritime, nous le soulignons. Mais nous craignons cependant que ces efforts ne soient ruinés par la politique incohérente du gouvernement sur les questions de mobilité : augmentation de la TVA pour les transports publics, abandon de l’éco-taxe, libéralisation du voyage en car, multiplication des grandes infrastructures coûteuses et peu utiles voire inutiles.

Enfin, j’évoquerai le Schéma Régional de Cohérence Environnementale (SRCE) pour une nouvelle conception de l’aménagement du territoire. Fort du consensus du Grenelle de l’environnement. Il est un cadre cohérent et homogène pour faciliter la prise en compte de la Trame verte et bleue à une échelle plus fine, il porte les enjeux environnementaux au même niveau que les enjeux économiques.

Sur le SRCE, Monsieur le Président, vous avez souligné le travail remarquable des écologistes et notamment de ma collègue Sophie Bringuy, nous vous en remercions. Et nous notons avec satisfaction votre engagement et votre questionnement exprimé au Préfet quant aux « fortes inquiétudes et oppositions qui se sont faites jour de la part des acteurs économiques et élus du territoire ». Sur ce sujet comme sur tant d’autres, « le temps du dialogue, de la confrontation et de la pédagogie » est nécessaire.

C’est pourquoi nous espérons qu’en 2015 le Conseil régional adoptera son Schéma Régional de Cohérence Environnementale, c’est crucial.

Deux textes importants pour l’animation du territoire et le projet à long terme du Conseil Régional vont être proposés au vote lors de cette session : le Contrat de Projets Etat Région (CPER) et le volet « Patrimoines et services » de notre Plan Climat Energie Territoriale (PCET).

Sur le CPER, nous nous abstiendrons et ceci est particulièrement lié au volet mobilité. Mon collègue Michel Perrier en expliquera les raisons précises, mais c’est avec un esprit constructif que le groupe a opté pour cette position. Constructif, car nous formulons des propositions alternatives pour une utilisation raisonnée des fonds dédiées aux projets qui nous opposent. Nos propositions pour préparer durablement l’avenir des Pays de la Loire concernent autant la sécurisation et la modernisation de l’axe routier départemental vendéen, l’optimisation de l’aéroport de Nantes Atlantique, qu’un investissement beaucoup plus offensif pour l’amélioration de la liaison ferrée Nantes Bordeaux, synonyme d’une ambition forte pour un arc ferroviaire atlantique. Un arc interrégional qui permettrait de lutter contre l’abandon progressif de territoires comme le sud Vendée ou la Charente.

Le second document structurant, le PCET, viendra compléter le volet territorial de la Stratégie Régionale de Transition Énergétique (SRTE) adoptée l’an dernier. Il sera présenté par Emmanuelle Bouchaud. Notre PCET constituera l’axe directeur de la politique énergétique régionale, dans la continuité des actions initiés depuis plusieurs années par le Conseil Régional pour réduire les émissions de gaz à effet de serre grâce, par exemple, aux dispositifs d’aides à la rénovation thermique pour les particuliers et les collectivités. Afin de rendre la Région toujours plus exemplaire dans son rôle d’animateur de la transition énergétique, ce volet interne du PCET reposera sur onze actions concrètes comme l’amélioration de la performance environnementale de notre service de transport régional. Une nouvelle preuve que l’urgence de la transition énergétique est un constat désormais partagé.

Et si cette idée de la transition est partagée, elle doit également s’étendre au politique. Le discours politique doit entrer dans une ère de vérité et de langage adulte vis-à-vis des citoyens. Il faut arrêter de mentir sur les causes de la crise comme sur les solutions pour en sortir. Aujourd’hui, et les écologistes ne sont plus seuls à le dire, il nous faudrait trois planètes comme la Terre pour assumer durablement le mode de vie des occidentaux… tandis que 2 milliards de personnes vivent avec moins de deux dollars par jour. C’est l’échec d’un modèle, le modèle capitaliste qui détruit à la fois le droit ou la possibilité du bonheur de la majorité des hommes et des femmes de ce monde et l’essentiel des ressources naturelles de cette planète. Alors, à celui qui est au bout du rouleau – et il y en a de plus en plus parmi nos concitoyens – il faut avoir le courage de dire que ça ne peut plus continuer comme ça.

Depuis des décennies, on lui promet de « retrouver la croissance économique car ça va créer de l’emploi et il retrouvera ainsi du boulot, un salaire et donc du pouvoir d’achat ». C’est faux et il le constate lui-même tous les jours. Face à cela :

Nous faisons le choix d’une écologie obligatoirement subversive, une écologie qui met en question l’imaginaire capitaliste – celui qui domine la planète – et en récuse le motif central selon lequel notre destin est d’augmenter sans cesse la production et la consommation. Une écologie qui montre l’impact catastrophique de la logique capitaliste sur l’environnement naturel et sur la vie des êtres humains.

Le changement de modèle prendra du temps, et dire qu’on va trouver une solution ici et maintenant serait mentir. Par contre, continuer sur la même voie, la même route, serait nous condamner à coup sûr.

L’utopie n’est pas un rêve, c’est un chemin et un chemin du quotidien. Un chemin qui peut être réaliste si on le choisit. On le voit aujourd’hui avec les nombreux mouvements à travers le monde qui se déploient pour revendiquer un autre système, une autre façon d’être et d’agir (Syrisas et Podemos).

Nous-mêmes pouvons agir en ce sens ici et maintenant. Au moment où nous débattons sur nos choix d’investissements pour l’avenir, j’ai une proposition concrète à vous faire. Je viens de finir un rapport ministériel sur les monnaies locales complémentaires où j’affirme que « le développement des nouvelles monnaies ou systèmes d’échange ne sera durable et efficace que s’il s’appuie sur un processus participatif et citoyen qui articule initiatives monétaires et audit des richesses ». Lancer une expérimentation de monnaie régionale (comme l’envisagent d’autres régions en France et comme je l’ai évoqué devant le bureau du CESER il y a quelques semaines) couplée à un audit des richesses dans la continuité des travaux lancés sur les nouveaux indicateurs des richesses permettrait :

– De délibérer sur  » ce qui doit être compté « , sur ce que l’on considère comme richesse réelle, comme activité bénéfique ou comme nuisance pour le bien-être de tous, dans une vision centrée sur la valeur ajoutée écologique et sociale.

– De définir l’ensemble des ressources et richesses disponibles sur un territoire.

– De se réapproprier la compréhension de ce qu’est la monnaie et des mécanismes monétaires, et de (re)prendre le contrôle démocratique de la création monétaire pour l’inscrire dans une perspective de développement humain soutenable ».

– De favoriser la création d’un circuit monétaire économique pour un territoire, puissant levier politique et « protectionniste » pour préserver le tissu économique et renforcer la politique sociale en maintenant des emplois.

Cette démarche pragmatique et concrète s’inscrirait dans l’idée de construire un nouveau modèle à l’échelle de notre territoire, démarche qui impliquerait bien sur toutes les parties prenantes.

Pour clore cette intervention générale si particulière à bien des égards, et notamment parce qu’elle est ma dernière lors d’un budget primitif régional, l’une des dernières de mon « passage de vie » en politique, je souhaite citer Martin Luther King il y a un siècle, des propos encore d’actualité dans lesquels je me reconnais pleinement :

« Je vous le répète aujourd’hui, je continue de m’en tenir à la non-violence. Et je suis encore convaincu que c’est l’arme la plus puissante que possède l’homme de couleur dans sa lutte pour la justice dans notre pays. D’un autre côté, je me soucie également de rendre le monde meilleur. Je suis soucieux de justice. Je suis soucieux de fraternité. Je suis soucieux de vérité. Et qui se soucie de ces choses ne peut jamais prôner la violence.

Car par la violence, vous pouvez mettre à mort un meurtrier, vous ne pouvez tuer le meurtre.

Par la violence, vous pouvez mettre à mort un menteur, vous ne pouvez établir la vérité.

Par la violence, vous pouvez mettre à mort celui qui professe la haine, vous ne pouvez en finir avec la haine.

Les ténèbres ne peuvent venir à bout des ténèbres. Seule le peut la lumière. Et je vous le dis, j’ai également décidé de rester fidèle au principe d’amour car je sais que l’amour est la seule réponse aux problèmes de l’humanité. Et je vais continuer à en parler partout où j’irai. »

 

Je vous remercie

Un commentaire pour “[BP2015] Intervention générale de Jean-Philippe Magnen”

  1. bravo pour notre combat merci

Laissez un commentaire

Remonter