[BP2015] Intervention de Matthieu Orphelin sur les suites des attentats de Paris et sur les réponses politiques
Chères collèges, cher collègues,
Je veux revenir sur les suites des attentats et sur les réponses politiques que nous devons y apporter.
Ne cédons pas aux certitudes, à l’urgence, aux solutions miracles, aux réponses toutes faites. Si les symboles sont importants, ils ne suffiront pas. Je vous le dis avec sincérité et sans volonté polémique : je ne suis pas sûr que des drapeaux tricolores à l’entrée des lycées et des CFA et l’affichage de la devise républicaine –c’est d’ailleurs une obligation depuis la Loi Peillon- changeront grandement les choses. Les valeurs ne s’imposent pas d’en haut, elles s’élaborent ensemble. La laïcité ne s’apprend pas comme une leçon d’il y a un siècle, mais en la faisant vivre par une construction collective avec un rôle actif des jeunes à partir des réalités de ce qu’ils vivent chaque jour.
Il nous faut donc faire beaucoup plus.
Ecoutons les paroles et les silences. Accordons autant d’importance aux établissements où des mots qu’on n’aurait pas voulu entendre ont été prononcés, qu’à ceux où les élèves ont préféré les taire, qu’à ceux où la mobilisation des jeunes a été exemplaire et ils sont nombreux. Ecoutons les idées et les réflexions des pédagogues, des jeunes, des sociologues.
Misons sur nos actions éducatives. Nous ne partons pas de rien. Le programme d’actions éducatives de la Région et du rectorat est un outil solide. Amplifions l’action existante « mieux connaître les religions pour mieux vivre ensemble » pour la rendre accessible à un plus grand nombre de jeunes et notamment les lycéens professionnels et les apprentis, mais aussi mieux la connecter aux réalités vécues par les jeunes. Complétons-la par une action nouvelle sur « le vivre ensemble dans le respect de nos origines et de nos différences culturelles », mise en œuvre avec des associations locales.
Redonnons l’initiative aux équipes pédagogiques, à leurs partenaires, aux élèves, aux mouvements d’éducation populaire et aux associations. De l’initiative, de l’envie, du plaisir, du sens, des échanges et de la collaboration, voilà ce que nous devons accompagner. Une de nos propositions (lancer un nouvel appel à projets sur les thèmes de la laïcité et du vivre-ensemble) a été retenue et je m’en réjouis. Mais nous en avions fait d’autres, par exemple sur l’usage des réseaux sociaux, sur l’éducation aux médias et sur la liberté d’expression, dont nous ne comprenons pas qu’elles n’aient pas été jugées prioritaires.
Misons aussi, encore plus qu’aujourd’hui, sur la culture et le lien social. Un metteur en scène de la Région, Philippe Piau, a rédigé il y a quelques jours un beau texte nous rappelant l’expérience de la ville de Medellin en Colombie. J’invite chacun d’entre vous à le lire et à y trouver source d’inspiration. Il nous rappelle comment Medellin, connue autrefois pour être la ville la plus meurtrière du monde, a misé sur l’éducation à la culture, sur l’accès très large aux pratiques artistiques, sur le vivre-ensemble, sur l’animation des quartiers, sur le développement social. Tout cela, de façon massive et concertée, en impliquant tous les acteurs à tous les niveaux. Les résultats sont remarquables. Oui, nous devons miser sur la culture, comme sur le lien social, notamment par le développement des missions des éducateurs de rue, des éducateurs de prévention et des médiateurs au moment où certains voudraient au contraire les réduire.
Enfin, réapprenons à réfléchir ensemble. J’ai fait une proposition concrète qui n’est pour l’instant pas retenue, je la renouvelle donc ici : organiser, à partir de 2015, un cycle de quatre grands dialogues par an, chacun sur un thème fondateur : la laïcité, le vivre-ensemble, la lutte contre les discriminations… Ces conférences seraient en priorité destinées aux jeunes, dont les lycéens et apprentis de la Région, mais ouvertes à tous via Internet et se feraient sous forme d’un « dialogue » entre un grand témoin (par exemple : Cynthia FLEURY, Régis DEBRAY, Fréderic LENOIR, Olivier BOBINEAU, Edgar MORIN, François DURPAIRE… Certains d’entre eux m’ont déjà donné leur accord) et des jeunes (avec un travail préparatoire en amont et en aval sous forme de forums par exemple). Dans ces débats, pas d’intervention politique, ni-même en introduction, tant pour être conforme au code électoral à l’approche des prochaines élections que pour remettre les politiques, plus habitués à lire des discours -parfois même écrits par d’autres-, dans un rôle qu’ils oublient trop souvent: écouter !
En retenant les propositions que je viens de renouveler, le Conseil Régional pourrait apporter sa contribution à une réponse qui doit être globale, transversale, à la hauteur de l’enjeu : réapprendre à vivre ensemble. C’est ce qui fait société.
Je vous remercie