Agriculture biologique et développement économique – BS 2011: intervention de Sophie Bringuy

Sophie BRINGUY, 8ème vice-présidente du Conseil Régional. Membre de la commission Aménagement du territoire - Environnement.Intervention sur le rapport d’orientation relatif au développement de l’agriculture biologique [Tome développement économique, prononcée par Sophie Bringuy, le 30 juin 2011, lors de la séance plénière du Conseil Régional des Pays de la Loire consacrée au Budget Supplémentaire 2011.

 

Texte issu d’un travail collectif, avec la contribution de Joëlle Remoissenet, Christophe Dougé, et Sophie Bringuy, et l’appui précieux de Julie Laernoes, collaboratrice du groupe.

 

Monsieur le président, Cher-e-s collègues,

 

    Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais d’habitude, nous soignons les interventions brèves dans le groupe Europe Écologie-Les Verts. Non par manque d’intérêt pour les thématiques abordées, mais par souci d’avoir toute votre attention par rapport à nos idées et nos convictions. Que serait une telle habitude si elle ne souffrait pas quelques exceptions ? Je vais donc prendre un peu de temps aujourd’hui pour parler agriculture, à l’occasion de la présentation du rapport d’orientation relatif au développement de l’agriculture biologique en Pays de la Loire. Un rapport issu d’un travail collectif, auquel le groupe Europe Écologie-Les Verts a activement participé. Je souhaiterais, avant de rentrer dans le vif du sujet, remercier les services qui ont été les chevilles ouvrières de la démarche, et Dominique Tremblay ainsi que Christophe Dougé qui l’ont pilotée avec efficacité.

 

    Pour commencer, une question : savez-vous combien d’argent public est dépensé aujourd’hui pour soutenir notre modèle agricole ? L’Union européenne y a consacré en 2010 près de 57 milliards d’euros, soit 44% de son budget. Un soutien massif pour une agriculture qui ne respecte ni le pacte social qui la lie aux paysans, ni le pacte environnemental qui la lie aux générations futures, ni même le pacte de santé publique qui la lie à nous tous. (1)

    En matière d’agriculture, nous marchons véritablement sur la tête. Nous gaspillons chaque jour nos ressources naturelles, nous polluons nos sols tout en puisant toujours plus profondément dans nos nappes phréatiques. Pour quel résultat ? Pour retrouver au bout de notre fourchette une alimentation avec sa dose de produits chimiques et de résidus médicamenteux ? Pour voir mourir à petit feu nos paysans ? Plus particulièrement ceux qui ont résisté à l’appât européen ?

    La PAC a donné une prime aux exploitations plus grandes, plus concentrées, incitant un élevage intensif, des animaux agglutinés les uns sur les autres, tombant malades et nécessitant des médicaments. Sans parler de leur nourriture importée, à base de maïs et de soja (fortement consommateur en eau et souvent OGM). Savez-vous combien d’argent est dépensé chaque année en terme de phytosanitaires ? Plus de 2 000 milliards d’euros sont annuellement déversés en pesticides sur nos terres, soit 6 700 euros par exploitation. (2)

    Malgré ces faits avérés, notre gouvernement continue de soutenir, en dépit de tout bon sens, une agriculture toujours plus dépendante en eau et en intrants. Il persiste à tenir à bout de bras un modèle agricole visiblement à bout de souffle et qui profite, avant tout, aux géants de l’agrochimie et l’agroalimentaire, et seulement en apparence aux consommateurs.

 

Deux décisions récentes du ministre de l’Agriculture et l’alimentation, Monsieur Bruno Lemaire, sont symptomatiques de ce parti pris pour les grands contre les petits, pour les financiers au détriment de notre santé :

    1) L’autorisation accordée à un pesticide, le Cruiser, qui a des effets nocifs avérés sur nos abeilles, et plus largement sur les pollinisateurs déjà menacés. Soutien aux lobbies chimistes plutôt qu’à la protection d’une profession en danger et aux abeilles en voie de disparition, pourtant essentielles à notre survie. Vous connaissez tous la citation d’Einstein à ce sujet.

    2) Le plan sécheresse proposé au début du mois de juin. Il ne constitue qu’une nouvelle preuve que le gouvernement est résolu à tourner le dos aux plus petits exploitants, faisant une fois de plus, la part belle aux grandes exploitations.

 

    Retour dans notre région, où le secteur agricole constitue une véritable pierre angulaire :

      – l’agriculture est cruciale pour notre territoire,

      – pour notre économie,

      – pour notre environnement,

      – cruciale pour notre alimentation et de facto notre santé

      – et, pour toutes ces raisons, particulièrement importante aux yeux des écologistes.

Chez nous aussi, l’agriculture conventionnelle reste largement majoritaire. Mais les idées progressent. L’INRA, institut national de la recherche agricole (pas particulièrement réputé proche des écologistes) a ainsi calculé qu’il revenait plus cher aux agriculteurs de continuer à polluer plutôt que de suivre un mode de production vertueux pour l’environnement. En bref : l’agriculture conventionnelle n’est pas rentable.

Arrêtons d’hypothéquer notre avenir et préservons notre souveraineté alimentaire. Comment ? En revenant progressivement à des méthodes perdues et en réorientant nos budgets « recherche » pour innover et affiner nos connaissances en agronomie. Je pense notamment aux rotations et associations de cultures, pour lesquels nous en sommes aux balbutiements, ou encore la question des sols, qui restent fondamentalement mystérieux.

 

    Le rapport d’orientation relatif au développement de l’agriculture biologique contient des pistes intéressantes dans ce sens.

   Notre région dispose de leviers qui doivent être optimisés et se consacrer pleinement à la transformation écologique et sociale de notre agriculture. Cette mutation ne doit plus attendre, elle doit être engagée dès à présent : pour ancrer l’emploi durablement sur nos territoires, pour produire une alimentation saine et adaptée à notre climat, régénérer nos sols au lieu de les appauvrir, valoriser la ressource en eau au lieu de la piller, de la dégrader à coups de pesticides et de fertilisants, et proposer des solutions alternatives et durables face aux crises qui touchent de plus en plus sévèrement nos agriculteurs. Car contrairement aux idées reçues, l’agriculture bio pourra produire assez pour nourrir le monde (3). Le bio ne constitue pas un retour à la bougie mais bel et bien un bon en avant et innovant !

 

    D’importantes étapes et jalons ont été posés dans ce domaine au précédent mandat, notamment par notre collègue Jacques Cochy. La Région a doublé ses surfaces en bio, signé la charte de Florence devenant une des premières région Non-OGM.

    D’importants engagements ont également été pris par la nouvelle majorité : doublement des surfaces, développement des circuits courts, objectif de 100% d’approvisionnement de nos cantines scolaires auprès des filières inscrites dans le développement durable, amélioration de la qualité de l’eau des bassins versants.

 

    Ce rapport nous oriente vers la concrétisation de ces objectifs. En tant qu’écologistes, il nous semble important de le souligner :

 

    Le rapport d’orientation qui nous est présenté aujourd’hui a le mérite d’aborder une question souvent restée inexplorée : celle de l’approvisionnement. Autrement dit : l’organisation et l’équilibre entre l’offre et la demande. Pour reprendre une expression de la FNAB (fédération nationale de l’agriculture biologique), nous sommes confrontés au « paradoxe du sablier » : d’un côté les consommateurs n’arrivent pas à se procurer les produits désirés et, de l’autre, les filières bio ont parfois du mal à écouler leur production. Un véritable goulot d’étranglement entre l’offre et la demande, dû principalement à la faiblesse de la transformation et de la distribution en produits biologiques.

Plusieurs études démontrent aujourd’hui que la demande sociétale a énormément évolué ces dernières années. Quelques chiffres à l’appui :

    – La consommation du bio a plus que doublé depuis 2005.

    – Les parents seraient aujourd’hui prêt à payer plus cher pour que leur enfants mangent du bio dans les cantines.

    – 1 français sur 2 consomme au moins 1 fois par mois un produit bio.

    – Plus d’un quart d’entre nous mange bio au moins 1 fois par semaine. (4)

    Nous devons privilégier la qualité par rapport à l’esthétique : peu importe que la tomate ne soit pas bien ronde, le concombre pas bien droit ou la carotte pas assez orange. Notre préoccupation première doit être l’impact de notre alimentation sur notre santé : le lien entre les résidus chimiques et l’épidémie de cancers à laquelle notre société fait face est aujourd’hui indéniable.

 

    Nous rappelons cependant qu’il ne s’agit pas de laisser la demande guider de manière autoritaire la production. Le travail fructueux engagé avec les producteurs, notamment, à travers les GAB ou la CAB, doit rester déterminant pour le développement de l’agriculture biologique dans notre région. L’ajustement entre l’offre et la demande ne doit pas se faire aux dépends d’une rémunération juste et équitable pour nos producteurs.

    En ce sens, nous pensons que le nouvel observatoire de l’agriculture biologique aura un rôle important à jouer, que nous devons préciser collectivement. Il conviendra également de s’appuyer sur la consultation et le travail en réseau en incitant les coopératives et tous les réseaux de distribution à participer à la démarche : ils ont trop souvent laissé leur siège vacant au sein d’Interbio, plateforme essentielle pour le développement du bio. Tout ceci devrait nous permettre d’ajuster nos politiques publiques de manière plus efficiente.

Le rapport réaffirme aussi nos objectifs en termes de doublement de surface bio.

Europe Ecologie Les Verts, par le biais de José Bové, s’est battu et continue d’œuvrer pour que la PAC rémunère enfin les petits exploitants, et prenne en compte les critères environnementaux dans la bonification des aides. Et ses efforts sont en partie récompensés : dans la dernière version proposée, l’environnement, les petits producteurs et la cohésion territoriale prennent une place plus importante.

En complément de ces avancées, notre action régionale doit être stratégique, avec des dispositifs précurseurs de ceux que l’Europe votera demain : mettre en place des mesures régionales concrètes, ayant un effet levier, comme par exemples les aides complémentaires à l’installation en bio, le conseil technique ou l’accompagnement personnalisé ou collectif des agriculteurs. Une attention particulière doit être consacrée aux zones concernées par les captages d’eau potable dans certains bassins versants et aux terres déjà converties.

 

    Le rapport met aussi en avant la recherche et l’expérimentation agricole, ainsi que le soutien à l’autonomie protéique.

    La recherche doit être résolument réorientée vers des méthodes alternatives à l’agriculture productiviste. Nous saluons le pas effectué ici qui fixe à au moins 20%, la part des projets concernant la bio. La recherche dans les semences paysannes est aussi pour nous une priorité absolue. Il s’agit d’avoir des cultures adaptées à nos sols et notre environnement pour limiter, notamment, l’utilisation des pesticides et herbicides ainsi que la ponction de la ressource en eau. Il s’agit également de libérer nos paysans de la main mise des grands semenciers. Ceci va main dans la main avec l’élaboration d’un soutien à l’autonomie protéique.

 

    Enfin, et dernier point qui nous semble essentiel, ce rapport met en avant l’attention particulière que nous devons porter à la gestion du foncier, là encore une lacune de la politique agricole nationale.

    Nous avons eu l’occasion de le souligner à maintes reprises. L’accès au foncier et le maintien des exploitations bio en bio sont des challenges non négligeables sur lesquels la Région ne peut pas agir seule. Aussi, nous continuerons de consolider notre partenariat avec Terres de liens, et d’accompagner les collectivités prêtes à se lancer dans l’acquisition foncière, afin d’installer des agriculteurs bio sur leur territoire pour satisfaire leurs besoins alimentaires.

En conclusion, nous appelons de nos vœux une agriculture durable, rémunératrice pour les exploitants, protectrice de l’environnement, porteuse d’emplois et fournisseuse de produits de qualités pour toutes et tous. Avec la mise en œuvre rigoureuse de ce rapport d’orientation, nous faisons un pas, certes modeste, mais un pas tout de même, dans la bonne direction. Car même si la Région ne dispose pas de tous les leviers, il est de sa responsabilité de tout faire dans une démarche transversale entre les commissions Economie-recherche, Environnement-aménagement du territoire, et Education pour « remettre les champs dans les sillons du bon sens paysan.

 

 

(1) Le livre noir de l’agriculture, d’Isabelle Saporta.

(2) Chiffres fournis par le Réseau d’information comptable agricole.

(3) Rapport de la FAO food and agriculture organisation de mai 2007 intitulé « organic agriculture and food security »

(4)Articles futuribles sur l’évolution de la consommation

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