Un Corse répond à Manuel Valls
19 novembre 12 in environnement
M. Valls nous invite à parler. J’ai d’abord eu envie d’écrire que nous, on l’exhorte à la fermer. Et puis deux nuits et deux jours sont passés. Deux nuits et deux jours, seul avec ma conscience. Capu à capu. Avec ce poids trop lourd à porter. Trop pesant. Suffocant. Alors j’ai craqué, il fallait que je le fasse. Que je libère ma conscience, il fallait que je parle. Et je me suis trainé, haletant, hagard, épuisé par deux nuits et deux jours sans sommeil, je me suis trainé jusqu’au clavier pour lui confesser tout ce que je savais et que je ne pouvais plus garder pour moi. Il avait raison Valls, les Corses doivent coopérer si on veut sortir de cette spirale mortifère. On a tous une responsabilité dans la situation actuelle et si on se tait, on est complice. Car on sait tout. Ou presque. Valls l’a dit : – Si on sait, il faut parler, chacun doit prendre ses responsabilités. En Corse, on connaît les commanditaires, on sait, mais on ne parle pas. Alors j’ai pris mes responsabilités. Et j’ai balancé. D’abord hésitant. Presque honteux. Mais Valls l’a dit : sans les Corses pas de salut. Oui, moi, je sais !
Je sais ! Je les connais, je ne les connais que trop ! Ceux qui achètent et attendent. Ceux qui achètent puis déclassent, ou font déclasser, par centaines d’hectares des pans entiers de collines au dessus d’un golfe aux eaux limpides pour les rendre constructibles, les faisant passer de maquis pour les sangliers à lots à 2 millions d’euros. Je sais qu’il suffit d’un simple trait de crayon sur un zonage. Un simple trait de crayon, baguette magique transformant la terre en or. Un trait de crayon, des millions d’euros. Ceux qui montent des SCI pour y implanter de pharaoniques projets immobiliers. Ajoutant ainsi des millions d’euros aux millions d’euros. SCI dont l’évocation seule des noms des gérants fait frémir. Ceux qui construisent des villas qui ruissellent jusqu’au bord de l’eau, sur l’inaliénable domaine public. Ceux qui confisquent les plages. Ceux qui murdeberlinnisent et privatisent des criques. Ceux qui construisent des ports privés. Ceux qui tendent des câbles d’aciers pour empêcher quiconque d’accoster. Ceux qui font détourner les sentiers littoraux.
Ceux qui rampent à présent jusqu’à l’intérieur des terres. Il fallait que je me purge de cette lie. Comment ais-je pu me taire si longtemps ? Je connaissais les causes de cette fameuse dérive mafieuse, les rouages, comment se fabriquaient les profits colossaux, comment se lessivait l’argent sale, les noms. Et j’ai écrit, frénétiquement, en transe. Pour tout dire à M. Valls. Pour sauver ce qui restait à sauver.
Je vais dire, À M. Valls en personne, Parce qu’aux administrations responsables c’était déjà fait, Parce qu’aux différents préfets s’étant succédés sur l’ile, c’était fait, Aux différents ministres l’ayant précédé, c’était fait. Mais lui, lui, je sais que ce sera différent.
Pierre-Laurent Santelli