Appel pour la Vanoise : où en sommes-nous ?

27 décembre 2012

La Vanoise, sa centaine de sommets de plus de 3 000 mètres, ses glaciers sublimes, sa flore de l’extrême, sa faune étonnante ! Le « grand jardin des Français », selon Samivel…

La Vanoise est à nouveau menacée…

Le premier parc national français a été créé en 1963. Il fête en 2013 son cinquantenaire. Le gâteau d’anniversaire risque d’avoir mauvais goût. La cupidité des bétonneurs et la courte vue des conseillers municipaux des communes alentour, menacent de saper les principes de sa protection.

La loi de 2006, dite « Giran » (du nom du député qui l’a portée), exige de tous les parcs nationaux qu’ils rédigent une Charte où soient fixés les objectifs et les règles de l’aire protégée, composée désormais d’un « cœur de parc » (l’ancienne « zone centrale ») et d’une « zone optimale d’adhésion » (l’ex-« zone périphérique »). À cette Charte, doit être jointe une carte des vocations des territoires dans la zone d’adhésion.

Le Conseil d’Administration du parc a travaillé pendant plusieurs années à la réalisation de ce document. Il est parvenu à un compromis entre les divers groupes ou personnalités concernés. Le 28 mars 2012, il a décidé d’« arrêter » la Charte et sa carte en l’état, et de les soumettre à l’enquête publique.

Chacun des organismes concernés doit donner son « avis ». Nombre de structures (la Région Rhône-Alpes, etc.) ont répondu : « avis favorable ». Le Conseil général de la Savoie, présidé par Hervé Gaymard, a pondu un texte particulièrement ambigu et inquiétant. Tout a dérapé avec les conseils municipaux. Sur les vingt-neuf communes de Tarentaise et de Maurienne appelées à se prononcer, vingt-six ont rendu un « avis défavorable » (« non »), et seulement trois un « avis réservé » (« abstention ») …

Les conseillers municipaux n’ont toujours pas compris l’intérêt qu’ils ont à disposer gratuitement, dans leur commune, d’une merveille naturelle – d’un « monument naturel », comme disent les Américains. Aveuglés par la réussite financière de Courchevel ou de Val d’Isère, jaloux du fric qui y coule en avalanche et incapables de penser qu’il existe une autre façon de mener des activités touristiques que celle qui consiste à bétonner la montagne, ils affirment leur volonté de « rester maîtres chez eux ».

Europe-Écologie-les-Verts refuse de confondre « développement économique » et « saccage de la nature », « progrès » et « bétonnage », « tourisme » et « folie immobilière ».

Randonneurs, alpinistes, skieurs, naturalistes, paysans, défenseurs du patrimoine, bergers des alpages, amoureux de la splendeur des hautes terres et de l’intégrité d’un territoire béni par la géologie et l’évolution, mobilisons-nous ! Le parc national de la Vanoise a besoin de nos énergies. L’enquête d’utilité publique est ouverte jusqu’au 21 janvier. Chacun de nous doit prendre ses responsabilités, et aller consigner son avis sur l’un des registres ouverts dans les vingt-neuf communes de la zone d’adhésion, à la Préfecture de Chambéry, dans les Sous-préfectures de Saint-Jean-de-Maurienne et d’Albertville, au siège du parc national à Chambéry, etc.

La Vanoise appartient à ceux qui y vivent, mais pas seulement ! Elle constitue un parc international avec son jumeau italien, le Grand Paradis. Elle fait partie du patrimoine commun des Alpins, des Français, des Européens, des citoyens du monde, et avant tout des générations futures.

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Appel pour la Vanoise

30 septembre 2012

29 septembre 2012

Appel pour la Vanoise

La Vanoise, sa centaine de sommets de plus de 3 000 mètres, ses glaciers bleus sublimes (même s’ils régressent), sa flore de l’extrême, sa faune étonnante (bouquetins et chamois, lagopèdes et gypaètes, aigles et papillons apollons)… La Vanoise des merveilles ! La montagne de mes ancêtres, de mes balades et de mes rêves d’enfant ! Le « jardin vertical » (disait Samivel) des amoureux de la nature…

La Vanoise est à nouveau menacée…

Le premier parc national français a été créé en 1963. Il fêtera l’an prochain son cinquantenaire. Le gâteau d’anniversaire risque d’avoir mauvais goût… La cupidité des bétonneurs et la courte vue (que dis-je ? l’aveuglement !) des conseillers municipaux des communes alentour, sont en train de saper les principes de sa protection et de menacer ses richesses.

En 1963, j’avais dix-huit ans, je me suis battu pour que ce parc existe – derrière d’autres amoureux de la montagne : Samivel, Roger Frison-Roche, Pierre Tairraz, Jean Carlier, Pierre Pfeffer, Robert Hainard ou Jean Dorst… Une bagarre a opposé les promoteurs immobiliers et les aménageurs de stations de ski aux amis de la nature. Nous avons mobilisé.  Les citoyens ont gagné.

Un demi-siècle plus tard, devons-nous reprendre les « armes » ? J’ai l’impression d’avoir rajeuni de cinquante ans, mais sans aucun plaisir ! Je siège (sous ma casquette de conseiller régional Rhône-Alpes) au Conseil d’administration (et au bureau) du parc. Une loi nous demande de rédiger une Charte qui fixe les objectifs et les règles de l’aire protégée, composée désormais d’un « cœur de parc » (l’ancienne « zone  centrale ») et d’une « zone optimale d’adhésion » (l’ex-« zone périphérique »). À cette Charte, nous devons joindre une carte des vocations des territoires dans la zone d’adhésion.

Nous avons travaillé deux ans à la réalisation de ce document. Nous sommes parvenus à un compromis entre les divers groupes ou personnalités concernés : élus locaux (mais je suis aussi un élu local !), services de l’État, Conseil régional, Conseil général, Conseil scientifique, associations de protection de la nature, Conseil économique et social, personnels du parc, etc. ; le tout sous l’« œil » vigilant du préfet et de la sous-préfète. Le 28 mars 2012, notre Conseil d’administration a décidé d’« arrêter » la Charte et sa carte en l’état, et de les soumettre à l’enquête publique.

Chacun des organismes concernés doit d’abord donner son « avis ». Nombre de structures (la Région, etc.) ont répondu : « favorable ». Le Conseil général de la Savoie, présidé par Hervé Gaymard, a pondu un texte particulièrement ambigu et inquiétant.

Tout dérape avec les conseils municipaux.

Ou bien les délégués des maires au Conseil d’administration nous ont menés en bateau, ou bien ils ne représentent pas les édiles qui les ont envoyés, ou bien ils ne tiennent pas leurs troupes : sur la trentaine de communes appelées à se prononcer, plus de la moitié ont déjà rendu leur avis. À une exception près (« avis réservé »), toutes les réponses sont négatives. « Défavorable »…

Les conseillers municipaux n’ont toujours pas compris l’intérêt qu’ils ont à disposer gratuitement, dans leur commune, d’une merveille naturelle – d’un « monument naturel », comme disent les Américains. Aveuglés par la réussite financière de Courchevel ou de Val d’Isère, jaloux du fric qui y coule en avalanche et incapables de penser qu’il existe une autre façon de mener des activités touristiques que celle qui consiste à bétonner la montagne, à étendre au moindre vallon le domaine skiable et à élargir les pistes en autoroutes, ils affirment leur volonté de « rester maîtres chez eux ». À bas l’État, à bas les Parigots : comme il y a cinquante ans ! Telle qu’elle est rédigée la Charte ne leur impose pourtant pas plus de contraintes que celle d’un banal parc naturel régional : autrement dit, presque rien. Mais c’est encore trop. Alors que ni le texte, ni la cartographie ne leur seraient « opposables » dans les zones à vocation touristique (esquissées dans de vagues ellipses), les conseillers municipaux déchirent le document que leurs émissaires ont pourtant adopté…

Ces « responsables » si peu responsables rêvent de « développement économique », mais confondent « bétonnage » et « progrès », « projets immobiliers » et « tourisme durable ». Ils représentent les habitants de la montagne, mais ils n’aiment pas la montagne. Certains d’entre eux (les maires de Val d’Isère et de Bonneval-sur-Arc, par exemple) réclament encore et toujours qu’on ampute une partie du cœur du parc pour y construire des remontées mécaniques.

Amis (vrais amis !) du parc de la Vanoise, anciens ou nouveaux écolos, randonneurs, alpinistes, naturalistes, paysans, défenseurs du patrimoine, bergers des alpages, amoureux de la splendeur des hautes terres et de l’intégrité d’un territoire béni par la géologie et l’évolution, nous devons une fois encore nous mobiliser ! Le parc de la Vanoise a besoin de nos énergies. L’enquête d’utilité publique sera bientôt ouverte. Chacun devra prendre ses responsabilités – les élus (locaux, départementaux, nationaux, européens), la préfecture, la sous-préfecture, le ministère de l’Écologie, le Conseil d’État, le gouvernement, le chef de l’État devront s’exprimer. Ou devraient le faire !

Désirons-nous voir le parc national de la Vanoise prospérer et embellir, plutôt qu’être détricoté et dépérir ? Admettons-nous de voir ce chef d’œuvre remis en cause, grignoté, rongé, démembré par les décisions inopportunes de quelques chefs de village tout droit sortis de Clochemerle ?

Nous sommes nombreux à penser que la Vanoise appartient à ceux qui y vivent, comme moi-même ; mais pas uniquement ! Elle fait partie du patrimoine commun des Alpins, des Français, des Européens, des citoyens du monde, notamment de ceux qui sont encore à naître.

Nous exigeons que la Vanoise reste à jamais un symbole de la grandeur de l’Alpe, de la générosité de la vie, de la variété des  espèces, de la musique du vent, de la poésie des cimes.

Voilà pourquoi je vous demande de signer avec moi, sur ce Blog, ou sur tout autre support médiatique qui voudra bien s’en faire le relais, cet

 

Appel pour la Vanoise

Nous, citoyens de la Savoie, de la France, de l’Europe et du monde, conscients de l’irremplaçable valeur du parc national de la Vanoise ; soucieux de préserver sa splendeur et ses richesses géologiques, aquatiques, botaniques et zoologiques ; désireux de garder, au-delà du « cœur de parc », une « zone d’adhésion » vouée au développement d’un tourisme sage et durable, plutôt qu’au bétonnage et à la laideur…

         Nous, anciens ou nouveaux défenseurs du parc national de la Vanoise, appelons nos concitoyens à se mobiliser, à donner leur avis, à peser sur les autorités et les élus des municipalités, du département, de la région et de l’État, afin que le texte de la Charte et sa cartographie tels qu’ils ont été « arrêtés » par le Conseil d’administration, soient adoptés par toutes les parties.

         En attendant d’être améliorés dans le sens d’une meilleure protection des sites, des espèces sauvages et des richesses patrimoniales du territoire, c’est-à-dire de la préservation des beautés irremplaçables de la nature et de l’Histoire des hommes…

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Pendant la campagne électorale, les pesticides continuent de tuer

23 avril 2012


Marine Le Pen rêve de jeter à la mer six millions de mauvais Français. Nicolas Sarkozy fait des risettes au Front national et présente la principale mesure de son éventuel second quinquennat : faire passer le permis de conduire à l’école. François Bayrou plonge dans la piscine avec une grosse femme énervée par l’épisode. François Hollande esquive et « retient son humour » pour ne pas accabler le sortant. Jean-Luc Mélenchon se prend pour « le bruit et la fureur », mais peine à démontrer qu’il est le Jupiter de la « révolution par les urnes ». Les « petits » candidats attendent leur minute de parole à la télé, entre deux et cinq heures du matin.

Eva Joly traite des vrais problèmes, mais tout le monde regarde ses lunettes noires. Pendant ce temps, la situation globale évolue gentiment vers le désastre. Prenons les pesticides : tout le monde s’en moque, puisque le « bio » est réputé « bobo ». Or, ces produits chimiques sont conçus pour donner la mort – même si les firmes qui les vendent voudraient qu’on les nomme « phytosanitaires ». « Médicaments des plantes »… Les pesticides envoient en enfer (ou à ce qui en tient lieu pour les athées), non seulement les « mauvaises » herbes, les champignons « parasites » ou les insectes « nuisibles » (Marine Le Pen adore les trois adjectifs), mais les agriculteurs qui les répandent et les consommateurs qui les mangent. Sans oublier les abeilles, qui sont le symbole d’une planète riche de mille fleurs parfumées – mais qui disparaissent à une vitesse épouvantable.

Une équipe de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), dirigée par le Pr Mickaël Henry, vient de prouver ce que tout le monde savait, mais que les fabricants de « phytosanitaires » ont toujours farouchement nié : les pesticides constituent bel et bien la cause essentielle de l’effondrement des populations de butineuses. Même si les acariens varroas, les frelons asiatiques, le réchauffement climatique et d’autres facteurs jouent leur rôle…

En équipant les abeilles de puces électroniques miniaturisées, et en leur faisant absorber une dose (bien inférieure à la dose létale) des trop fameux pesticides Gaucho ou Cruiser, les scientifiques ont expliqué par quel mécanisme pervers ces poisons chimiques tuent les ouvrières : ils affectent leur cerveau et leur font perdre le sens de l’orientation. Les butineuses s’envolent, mais ne retrouvent pas leur ruche. Elles tombent au sol et meurent.

Si vous aimez les abeilles, les fleurs, les fruits, le miel et la gelée royale ; si vous préférez les équilibres écologiques aux mixtures de la chimie ; si vous en avez par-dessus la tête des engagements souffreteux d’au moins neuf candidats sur dix à la présidentielle, alors faites un saut chez votre libraire. Achetez le dernier Jean-Marie Pelt, intitulé Cessons de tuer la terre pour nourrir l’homme !, et sous-titré « Pour en finir avec les pesticides » (chez Fayard).

Vous y apprendrez pourquoi les pesticides sont néfastes pour les êtres vivants quels qu’ils soient, à commencer par les abeilles et nos enfants. Vous y lirez comment on pourrait, grâce à la science écologique, inventer une nouvelle agriculture aux rendements excellents. Vous y découvrirez que les plantes s’entraident et se respectent ; que les unes nourrissent les autres ; et qu’elles se défendent très bien toutes seules contre leurs ennemis. Vous aurez encore la surprise d’y découvrir que les végétaux ont une sensibilité ; et que, d’une certaine façon, les fleurs « écoutent » la musique du vent ou celle des hommes…

Jean-Marie Pelt incarne à la fois l’écologiste outré par la folie productiviste de notre société, et le savant capable de nous suggérer des solutions sensées, pour le coup vraiment durables. Nous n’avons nul besoin de pesticides. Nous avons besoin de Jean-Marie Pelt. C’est un sage et un homme bon. Un poète, aussi. Je suis fier d’être son ami, et de contribuer modestement, par ce billet, à faire connaître son dernier ouvrage. En s’y ébrouant, ceux qui vont voter pourront au moins butiner autre chose que les fleurs trop vite fanées des promesses électorales.

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Notre empreinte écologique n’est pas soluble dans la campagne électorale

23 avril 2012

Lorsqu’on veut calculer l’impact d’un individu, d’une famille, d’un pays, de l’humanité sur la planète, on se sert d’un indicateur perfectionné par le WWF (World Wildlife Fund) et qu’on appelle l’« empreinte écologique ». Le principe en est simple. Pour se nourrir, se vêtir, se loger, se déplacer, se divertir, se soigner, etc., chaque Homo sapiens consomme des ressources – de l’eau, de l’énergie, des aliments, des matières premières, de l’espace, etc. Et il produit des déchets. Il laisse une trace sur la planète.

Aussi longtemps que, collectivement, nous ne prélevons pas davantage que le globe ne peut fournir, et que nous ne polluons pas davantage que la Terre n’est capable d’épurer, notre aventure sur Gaïa se perpétue. Mais, avec 7 milliards (en 2011) d’humains à faire vivre, un colossal problème se pose. Nous occupons en masse les meilleurs biotopes de la planète : les continents (à l’exception des déserts chauds ou froids et de la haute montagne) ; et la partie peu profonde de l’océan (le plateau continental). Cela représente environ 210 millions de kilomètres carrés. Divisons par 7 milliards : la superficie disponible par habitant est, en moyenne, de 3 hectares. Laissons 1 hectare à l’indispensable nature sauvage (forêts, récifs, lagunes, etc.), sans laquelle l’eau, l’air et tout le reste se déglingue : restent 2 hectares par tête de pipe.

Cependant, la répartition de cette surface utile entre les hommes est scandaleusement inégalitaire. L’empreinte écologique de l’Américain du Nord avoisine 20 hectares, celle de l’Européen, 10. L’habitant de l’Afrique noire n’en a que 0,2. Selon ce calcul, l’Éthiopien ou le Malien « valent » cent fois moins que le Yankee. Un humain peut-il en « valoir » autant d’autres ? La science, la philosophie, la morale disent : « Non ! » De toute façon, la biosphère refuse de l’admettre.

En 2050, nous serons entre 9 et 10 milliards de Terriens. En moyenne, nous n’aurons guère plus d’un hectare par sujet. Dur, dur ! Le calcul ultime a été effectué : les humains réunis consomment aujourd’hui les ressources d’une planète et demie ! Si tous nos congénères bénéficiaient du mode de vie de l’Européen, il nous faudrait entre trois et quatre Terres. S’ils imitaient le Nord-Américain, nous en aurions besoin de six.

Notre empreinte écologique n’est pas soluble dans la campagne électorale. Mais qui s’en soucie sur les plateaux de télévision ou les estrades des meetings ? Osons donc poser la question bête et vitale que, parmi les prétendants à l’Élysée, seule Eva Joly a abordée : autour de quelle étoile tournent les cinq planètes qui nous manquent ?

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Stations de ski et réchauffement climatique

14 avril 2012

L’ours blanc, le manchot et le skieur

Même si nous en avons eu cette année, il tombe de moins en moins de neige sur nos montagnes. Partout, les glaciers reculent – les « glacières », comme on disait au XIXe siècle. C’est vrai dans les Alpes comme dans les Pyrénées, en Himalaya, dans la cordillère des Andes ou les Montagnes rocheuses. Tout comme au Groenland et en Antarctique…
Je me souviens de mes hivers d’enfance, en Savoie, au hameau de Tincave, dans la commune de Bozel, où je vis à nouveau. À 1 300 mètres d’altitude, à l’adret du mont Jovet – face à ce qui s’appelle aujourd’hui « Courchevel ». Courchevel la superbe ; la riche ; parfois la scandaleuse… Bien entendu, aussi, Courchevel la pourvoyeuse d’emplois directs ou indirects pour la vallée de Bozel, et au-delà…
Je me remémore mon enfance. Nous sommes en 1950, j’ai cinq ans, je viens d’entrer à l’école. Au matin, les hommes du village ont ouvert des chemins dans la neige : la couche est bien plus haute que mes trois pommes. L’institutrice nous propose ce qu’on appelle une « leçon de choses » : elle nous fait mesurer l’épaisseur cumulée sur le toit de la fromagerie. 1,80 mètre ! Jamais plus, à Tincave, je n’ai revu une telle quantité de poudreuse.
Je suis un esprit scientifique. Je me méfie de mes souvenirs et de mes impressions d’enfance. Hélas ! En matière d’enneigement, la mémoire ne me trahit guère. Concernant les glaciers, des mesures ont été faites. La régression est bel et bien là – de plus en plus marquée, de plus en plus rapide, de plus en plus inquiétante.
Il me revient en mémoire mes voyages en Arctique et la tragédie des ours polaires épuisés, affamés, sur une banquise rétrécie et amincie, qui se forme chaque automne un peu plus tard et fond chaque printemps un peu plus tôt… Parce qu’ils ne passent plus assez de temps sur la glace où vivent les phoques dont ils se nourrissent, les ours blancs du Grand Nord auront bientôt disparu.
Je me rappelle les missions que j’ai menées en Antarctique. Le destin des manchots n’est pas assuré. Ces oiseaux sont menacés parce que la banquise du Grand Sud se met à fondre et que le bouleversement des conditions écologiques locales tue les petites crevettes (le krill) qui constituent la base de leur alimentation.
Les ours blancs et les manchots sont les plus exposés sur le front du chaos climatique. Ils sont les premières victimes de l’effet de serre que nous provoquons en répandant dans l’atmosphère du gaz carbonique, du méthane, de l’ammoniac et bien d’autres déchets de nos industries, de nos chauffages, de nos transports et de notre agriculture.
Mais je sais, aujourd’hui, qu’un autre animal se trouve en première ligne dans cette guerre du climat : le montagnard. L’Homo montanensis, plus exactement sa variété des neiges, celui qui (de façon directe ou indirecte) tire sa subsistance des sports d’hiver…
La température moyenne de la Terre a augmenté de près de 1 degré Celsius depuis le début de l’ère industrielle, mais de 1 degré supplémentaire aux deux pôles… et sur les montagnes !
Nos glaciers ne seront bientôt qu’un souvenir. Lorsque j’écrivais mes premiers articles sur le changement climatique, voici près de 30 ans, les spécialistes imaginaient qu’il n’y aurait plus de grands glaciers dans les Alpes en 2100. Les prévisions actuelles sont qu’il n’y aura plus de grands glaciers dans les Alpes, mais pas en 2100 : en 2050. Dans moins de 40 ans…
Sans les glaciers, plus d’eau dans les torrents en été. Un déficit hydrique chronique dans les villages de montagne, comme dans les jardins et les champs des vallées… Imaginons le phénomène : aucun barrage ne se remplit plus, ni ceux destinés à l’hydroélectricité, ni ceux qui servent à la fabrication de la neige artificielle, ce « miracle » technologique qui n’en est pas un… Je rappelle qu’en France, la consommation d’eau pour la neige de culture équivaut à celle de la ville de Grenoble ; et que la consommation d’électricité pour cet usage avoisine celle de Lyon… Avec le réchauffement du climat, il nous faudra soit renoncer à la neige de culture, soit y ajouter des cristaux d’iodure d’argent et d’autres substances chimiques capables d’élever le point de congélation du liquide…
La neige tombera de moins en moins sur nos sommets. Nous aurons encore des hivers blancs, mais ce qui nous tombera sur la tête, ce seront surtout des pluies torrentielles, dont les eaux fileront vers les vallées en inondations destructrices… C’en sera peut-être fini des stations de ski de basse et de moyenne altitude. En France, nombre d’entre elles ont déjà fermé ou sont en difficulté, dans les Cévennes, les Vosges, les Pyrénées… Même dans les Alpes du Nord, certaines d’entre elles ont mis la clé sous la porte. Demain, ne resteront ouverts aux sports de neige que quelques complexes de haute altitude. Dans vingt ou trente ans, on peut en faire le triste pari, beaucoup de stations actuelles seront abandonnées, vestiges d’une ruée vers l’or blanc qui aura duré, au total, moins d’un siècle.
Sauf adaptation intelligente…
Sauf reconversion énergique…
Quant aux Pays de Savoie, les chiffres sont implacables : 50 pour 100 du produit intérieur brut y sont fournis par le tourisme. Là-dessus, 80 pour 100 par le tourisme d’hiver – le ski et ses annexes. Comment allons-nous gérer les prochaines décennies, sachant qu’en tendance, les Alpes du Nord perdent chaque année un centimètre de neige et une journée d’enneigement ? Et qu’en un demi-siècle, la limite pluie-neige est déjà remontée de 300 mètres ?
Quels investissements allons-nous décider pour les 30 ans qui viennent, si dans 30 ans nous avons une saison plus courte d’un mois – même à Val d’Isère, Méribel, Val Thorens ou Courchevel ? Allons-nous fermer les yeux et nous contenter de prières ? Le ciel semble un peu sourd, ces temps derniers…
Mieux vaut regarder la réalité en face. C’est maintenant qu’il nous faut imaginer des solutions alternatives : un tourisme aussi vert que blanc… Plus facile à dire qu’à faire. Mais indispensable. Urgent… Les responsables économiques et politiques doivent monter en première ligne de la lutte contre le chaos climatique. Je compte, pour ma part, y déployer toute l’énergie requise !
Il me serait plus simple, comme le font nombre de nos leaders politiques locaux ou nationaux, de regarder ailleurs. De cacher la vérité. De jouer à l’optimiste… Je préfère que nous ne pratiquions plus cette méthode – que j’assimile au comportement de l’autruche des montagnes. Vous savez ? Ce nouveau Dahu qui se plante la tête dans ce qui reste de neige, afin de ne pas se rendre compte qu’il s’agit d’une substance merveilleuse, mais en voie de disparition…

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