Stations de ski et réchauffement climatique

14 avril 2012

L’ours blanc, le manchot et le skieur

Même si nous en avons eu cette année, il tombe de moins en moins de neige sur nos montagnes. Partout, les glaciers reculent – les « glacières », comme on disait au XIXe siècle. C’est vrai dans les Alpes comme dans les Pyrénées, en Himalaya, dans la cordillère des Andes ou les Montagnes rocheuses. Tout comme au Groenland et en Antarctique…
Je me souviens de mes hivers d’enfance, en Savoie, au hameau de Tincave, dans la commune de Bozel, où je vis à nouveau. À 1 300 mètres d’altitude, à l’adret du mont Jovet – face à ce qui s’appelle aujourd’hui « Courchevel ». Courchevel la superbe ; la riche ; parfois la scandaleuse… Bien entendu, aussi, Courchevel la pourvoyeuse d’emplois directs ou indirects pour la vallée de Bozel, et au-delà…
Je me remémore mon enfance. Nous sommes en 1950, j’ai cinq ans, je viens d’entrer à l’école. Au matin, les hommes du village ont ouvert des chemins dans la neige : la couche est bien plus haute que mes trois pommes. L’institutrice nous propose ce qu’on appelle une « leçon de choses » : elle nous fait mesurer l’épaisseur cumulée sur le toit de la fromagerie. 1,80 mètre ! Jamais plus, à Tincave, je n’ai revu une telle quantité de poudreuse.
Je suis un esprit scientifique. Je me méfie de mes souvenirs et de mes impressions d’enfance. Hélas ! En matière d’enneigement, la mémoire ne me trahit guère. Concernant les glaciers, des mesures ont été faites. La régression est bel et bien là – de plus en plus marquée, de plus en plus rapide, de plus en plus inquiétante.
Il me revient en mémoire mes voyages en Arctique et la tragédie des ours polaires épuisés, affamés, sur une banquise rétrécie et amincie, qui se forme chaque automne un peu plus tard et fond chaque printemps un peu plus tôt… Parce qu’ils ne passent plus assez de temps sur la glace où vivent les phoques dont ils se nourrissent, les ours blancs du Grand Nord auront bientôt disparu.
Je me rappelle les missions que j’ai menées en Antarctique. Le destin des manchots n’est pas assuré. Ces oiseaux sont menacés parce que la banquise du Grand Sud se met à fondre et que le bouleversement des conditions écologiques locales tue les petites crevettes (le krill) qui constituent la base de leur alimentation.
Les ours blancs et les manchots sont les plus exposés sur le front du chaos climatique. Ils sont les premières victimes de l’effet de serre que nous provoquons en répandant dans l’atmosphère du gaz carbonique, du méthane, de l’ammoniac et bien d’autres déchets de nos industries, de nos chauffages, de nos transports et de notre agriculture.
Mais je sais, aujourd’hui, qu’un autre animal se trouve en première ligne dans cette guerre du climat : le montagnard. L’Homo montanensis, plus exactement sa variété des neiges, celui qui (de façon directe ou indirecte) tire sa subsistance des sports d’hiver…
La température moyenne de la Terre a augmenté de près de 1 degré Celsius depuis le début de l’ère industrielle, mais de 1 degré supplémentaire aux deux pôles… et sur les montagnes !
Nos glaciers ne seront bientôt qu’un souvenir. Lorsque j’écrivais mes premiers articles sur le changement climatique, voici près de 30 ans, les spécialistes imaginaient qu’il n’y aurait plus de grands glaciers dans les Alpes en 2100. Les prévisions actuelles sont qu’il n’y aura plus de grands glaciers dans les Alpes, mais pas en 2100 : en 2050. Dans moins de 40 ans…
Sans les glaciers, plus d’eau dans les torrents en été. Un déficit hydrique chronique dans les villages de montagne, comme dans les jardins et les champs des vallées… Imaginons le phénomène : aucun barrage ne se remplit plus, ni ceux destinés à l’hydroélectricité, ni ceux qui servent à la fabrication de la neige artificielle, ce « miracle » technologique qui n’en est pas un… Je rappelle qu’en France, la consommation d’eau pour la neige de culture équivaut à celle de la ville de Grenoble ; et que la consommation d’électricité pour cet usage avoisine celle de Lyon… Avec le réchauffement du climat, il nous faudra soit renoncer à la neige de culture, soit y ajouter des cristaux d’iodure d’argent et d’autres substances chimiques capables d’élever le point de congélation du liquide…
La neige tombera de moins en moins sur nos sommets. Nous aurons encore des hivers blancs, mais ce qui nous tombera sur la tête, ce seront surtout des pluies torrentielles, dont les eaux fileront vers les vallées en inondations destructrices… C’en sera peut-être fini des stations de ski de basse et de moyenne altitude. En France, nombre d’entre elles ont déjà fermé ou sont en difficulté, dans les Cévennes, les Vosges, les Pyrénées… Même dans les Alpes du Nord, certaines d’entre elles ont mis la clé sous la porte. Demain, ne resteront ouverts aux sports de neige que quelques complexes de haute altitude. Dans vingt ou trente ans, on peut en faire le triste pari, beaucoup de stations actuelles seront abandonnées, vestiges d’une ruée vers l’or blanc qui aura duré, au total, moins d’un siècle.
Sauf adaptation intelligente…
Sauf reconversion énergique…
Quant aux Pays de Savoie, les chiffres sont implacables : 50 pour 100 du produit intérieur brut y sont fournis par le tourisme. Là-dessus, 80 pour 100 par le tourisme d’hiver – le ski et ses annexes. Comment allons-nous gérer les prochaines décennies, sachant qu’en tendance, les Alpes du Nord perdent chaque année un centimètre de neige et une journée d’enneigement ? Et qu’en un demi-siècle, la limite pluie-neige est déjà remontée de 300 mètres ?
Quels investissements allons-nous décider pour les 30 ans qui viennent, si dans 30 ans nous avons une saison plus courte d’un mois – même à Val d’Isère, Méribel, Val Thorens ou Courchevel ? Allons-nous fermer les yeux et nous contenter de prières ? Le ciel semble un peu sourd, ces temps derniers…
Mieux vaut regarder la réalité en face. C’est maintenant qu’il nous faut imaginer des solutions alternatives : un tourisme aussi vert que blanc… Plus facile à dire qu’à faire. Mais indispensable. Urgent… Les responsables économiques et politiques doivent monter en première ligne de la lutte contre le chaos climatique. Je compte, pour ma part, y déployer toute l’énergie requise !
Il me serait plus simple, comme le font nombre de nos leaders politiques locaux ou nationaux, de regarder ailleurs. De cacher la vérité. De jouer à l’optimiste… Je préfère que nous ne pratiquions plus cette méthode – que j’assimile au comportement de l’autruche des montagnes. Vous savez ? Ce nouveau Dahu qui se plante la tête dans ce qui reste de neige, afin de ne pas se rendre compte qu’il s’agit d’une substance merveilleuse, mais en voie de disparition…

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