La Bretagne sonne le glas de l’économie hors-sol

Doux, Gad, Marine Harvest… La Bretagne est balayée par un « tsunami social », une crise majeure de son industrie agroalimentaire. Des milliers d’emplois sont perdus ou menacés par les fermetures et les délocalisations. Un système économique s’effondre. Existe-t-il une alternative ?

Le maire de Carhaix, Christian Troadec, fustige les choix de l’entreprise Marine Harvest, leader mondial du saumon, qui se conduit comme un requin. Cette société « affiche des bénéfices et préfère investir en Pologne où les salaires sont moins chers ». [Source: Le Monde.fr]

Par ailleurs, sa commune a tout fait pour accueillir le chinois Synutra, qui a signé un accord d’approvisionnement en lait breton auprès de la coopérative Sodiaal et s’apprête à construire deux tours de séchage (pour la poudre de lait). Rappelons, ici en Auvergne, que Sodiaal est la coopérative laitière qui a choisi de fermer le site de Saint-Yorre (03) et de laisser près de 120 personnes sur le carreau. Sans oser dire que la zone de collecte régionale, montagneuse et étendue, n’est pas des plus compétitives pour de la poudre de lait… à vendre en Chine.

Face à la mondialisation et à son implacable logique de mise en concurrence des territoires, certains élus crient encore au manque de préparation et d’adaptation des économies locales; à commencer par les zones comme le Finistère.

Mais réalise-t-on bien de quoi l’on parle ?

A-t-on conscience de ce qu’impliquerait une telle « adaptation » ? De ce qu’elle signifierait en termes d’usines à lait, à saumons ou à poulets ? De conditions de travail et de rémunération pour les derniers employés ? De conditions environnementales et sanitaires pour les travailleurs, les résidents et les consommateurs ? D’alimentation animale, de protéines importées (d’OGM notamment), de produits phytosanitaires, de pathologies, d’antibiotiques et de souffrances pour les animaux… ?  

A -t-on conscience que ce que l’on réclame en guise d’adaptation n’est en fait autre chose que « l’amélioration » du système mis en oeuvre jusque-là ? Celui d’une économie typiquement hors-sol, à l’image de ses élevages sur caillebotis, si néfastes pour la teneur en nitrate des nappes et cours d’eau.

Faudra-t-il que les filières actuelles s’adaptent à leur propre logique et aillent faire produire du porc breton à des Baloutches sans papier dans des élevages climatisés du désert saoudien, et ce, afin d’inonder le marché chinois ? Au regard des exigences de ce genre d’industrie, une telle absurdité ne semble pas si lointaine.

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Mais au- delà des seules impasses du modèle agroalimentaire en train de s’effondrer, force est de constater l’échec tragique d’une économie hors-sol. Hors territoire.

Plus que jamais, l’heure est à l’économie territoriale ; à l’économie des ressources, dans tous les sens du terme.

Lorsque la stratégie de développement d’un territoire ne consiste qu’à faire des pieds et des mains en direction du capital circulant globalement, la survie économique de celui-ci est menacée à plus ou moins long terme; surtout en période de crise énergétique rendant plus criantes encore les inégalités territoriales (n’est-il d’ailleurs pas éclairant de voir les revendications bretonnes se concentrer sur le coût de l’écotaxe poids lourds qui viendrait alourdir la « compétitivité » du territoire breton ?)

Pour les écologistes, une stratégie de développement viable sur le moyen et long terme doit tenir compte de trois principes incontournables :

  • Investissement / Imagination / Innovation (dans tous les secteurs : financier, social, culturel…)
  • Mobilisation des ressources locales (durablement employées; et donc renouvelables)
  • Structuration en réseaux / Solidarités / Circuits courts.

Sous ce triple éclairage, on quitterait l’agroalimentaire pour passer à l’alimentation ; la production de profits privés pour l’investissement dans un bien commun territorial, la nourriture. On passerait de l’économie hors-sol à l’économie locale tournée vers la production et la préservation de biens communs essentiels à la vie locale : l’eau, le sol, l’énergie, le patrimoine immatériel…

Production agricole de proximité, autosuffisance alimentaire, préservation des ressources locales, vitales et capacités d’adaptation aux crises (alimentaire, économique, énergétique, climatique…) : tels sont les ressorts d’une économie en symbiose avec son territoire. Intensive en emplois, diversifiée et riche en innovations de toutes sortes, elle est la clef d’un renouveau des territoires à tous les points de vue, économique, industriel, social…

La situation bretonne n’est qu’une caricature tragique d’un modèle parvenu à son terme et

– négligeant les ressources locales au profit du grand « déménagement du monde » (importations d’intrants, exportations de produits)

– négligeant ses impacts sur la région (tant en termes humains, sociaux qu’économiques et environnementaux) au point d’en exploiter toutes les ressources et de les souiller en en faisant payer le prix à la collectivité.

– négligeant toutes les dimensions de l’investissement en ne visant que les seuls gains de productivité.

Face aux défis guettant nos territoires, pareille myopie est criminelle. Le projet métropolitain du Grand Clermont y échappe-t-il tout à fait ? Rien n’est certain. A charge pour nous, écologistes, de formuler les grands axes d’un projet alternatif.

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