Proposition de loi clarifiant l’accès au mariage des couples de personnes de même sexe

Proposition de loi déposée par Martine Billard, Yves Cochet et Noël Mamère, députés.

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

 

Mesdames, Messieurs,

Aucun des articles du code civil régissant le mariage (articles 144 et suivants) ne dispose explicitement que seuls les couples hétérosexuels peuvent contracter un mariage. Or, l’existence de couples homosexuels stables est une réalité. L’institution du mariage civil, telle que pratiquée aujourd’hui dans notre pays, est discriminatoire à l’égard des couples composés de personnes de même sexe. Pour les personnes homosexuelles voulant vivre en couple, l’égalité avec le reste de la société, normée sur le modèle de l’hétérosexualité, n’est pas assurée. Alors que les couples hétérosexuels ont le choix entre trois statuts (concubinage, PACS ou mariage), les couples lesbiens ou gays sont limités dans leur choix au concubinage ou au PACS. Cette discrimination se traduit en conséquence par une inégalité de traitement, contraire au principe constitutionnel d’égalité des droits, à divers moments importants de la vie : régime de la propriété des biens, régime de l’imposition, régime de la succession, régime des droits d’entrée et de séjour et de l’accès à la nationalité française, lorsqu’un des conjoints n’a pas la nationalité française ; ce qui menace parfois l’existence même du couple dans la durée, si le conjoint n’est pas citoyen de l’Union européenne. L’inégalité de traitement commence au moment même où sont actés ces deux types de contrats : célébration du mariage en mairies contre signature du PACS dans les tribunaux.

L’adoption de la loi 99-944 sur le Pacte civil de solidarité (PACS) a attesté de la prise en compte par la représentation nationale de l’évolution de la société sur la question de l’union civile entre deux personnes adultes (qu’elles soient de même sexe ou de sexe différent), dispositif plus souple que le contrat de mariage, tant en terme de droits que de devoirs. Les premières années écoulées depuis l’entrée en vigueur de la loi 99-944 du 15 novembre 1999 ont montré que le PACS n’a aucunement bouleversé les assises de notre société, contrairement à ce que certains membres de la représentation nationale avaient alors redouté. Le PACS a bel et bien répondu à une attente de la société, puisque, début 2004, plus de 104 900 pactes civils de solidarité avaient été signés. En outre, nous constatons l’acceptation dans la société française du principe d’unions homosexuelles qu’attestent les succès populaires rencontrés chaque année par les manifestations de revendication de l’égalité des droits. Le mariage civil est lui-même une institution ayant profondément évolué, depuis sa création en 1791, en tenant compte des évolutions de la société (passage d’une sujétion juridique de l’épouse à une totale égalité en droits et en devoirs des époux ; passage de la puissance paternelle à l’autorité parentale, pour ne citer que deux exemples). Alors qu’est célébré, en cette année 2004, le bicentenaire du code civil, il convient d’y lever toute ambiguïté et vide juridique en ce qui concerne le mariage.

Aussi, nous faut-il rappeler quels sont les principes régissant le mariage civil, à savoir une union à caractère familial entre deux personnes adultes, célébrée par un officier d’état civil. L’union matrimoniale a un caractère familial dès sa conclusion qui n’est pas subordonné à l’arrivée d’un autre membre, par procréation ou par adoption. La notion de famille commence ainsi dès la constitution du couple, protégé en tant que tel par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme qui garantit le droit de chaque citoyen au respect de la vie privée et familiale.

Le droit de contracter le mariage repose uniquement sur le principe du consentement des deux parties contractantes qu’atteste la procédure de vérification du libre choix, lors de sa célébration.

La vocation de l’union matrimoniale ne repose pas sur une quelconque finalité de procréation par le couple hétérosexuel, puisqu’il n’est à aucun moment exigé à un couple hétérosexuel désireux de contracter un mariage, de prouver comme condition préalable qu’il a l’intention de procréer ; sinon le mariage serait interdit aux femmes qui ne sont plus en âge de procréer. De même, il n’est jamais demandé à un couple hétérosexuel qui veut se marier de prouver par son acte qu’il entend en faire un geste d’utilité sociale propre à son caractère hétérosexuel, qui viendrait s’ajouter à la seule volonté réciproque de s’unir des deux personnes contractantes. Si, dans la perspective du droit canon, la procréation est essentielle au mariage, il n’en va pas de même dans le mariage civil, le seul ayant valeur légale, qui prévoit certes la répartition des charges relatives aux éventuels enfants, mais ne fait pas de l’absence de procréation une cause de nullité du mariage. De plus, il convient de préciser que le mariage n’est pas la seule institution qui garantit la sécurité de la filiation ; la filiation naturelle étant elle-même garantie par le code civil (voir notamment la loi 72-3 du 3 janvier 1971).

Plusieurs pays de l’Union européenne ont déjà ouvert le mariage aux couples homosexuels. La Belgique qui connaît la même tradition juridique que la France et où le code civil ne prévoyait nulle part explicitement que seules les personnes de sexe différent pouvaient contracter mariage, le législateur a jugé utile, par la loi du 13 février 2003 entrée en vigueur le 1er juin 2003, de préciser la possibilité pour des personnes de même sexe de se marier civilement. Ainsi le nouvel article 143 du code civil belge dispose : « Deux personnes de sexe différent ou de même sexe peuvent contracter mariage ».

Partant de cette même volonté de lever toute ambiguïté dans le code civil, et sans préjudice d’une légitime révision à la hausse des droits ouverts aux couples contractant un PACS (régime fiscal, régime de droits d’entrée et de séjour en France et d’acquisition de la nationalité, pension de réversion de retraites pour les conjoints survivants), la présente proposition de loi définit explicitement, à l’article 144 de notre code civil, le mariage comme une union pouvant être conclue par deux personnes adultes consentantes (deux femmes, deux hommes ou une femme et un homme), et étant célébrée par un officier d’état civil. Conformément à cette précision, le droit de contracter mariage est bien sûr ouvert à toute personne transsexuelle après changement légal de sexe comme à toute personne transgenre sans changement légal de sexe. Les droits acquis dans le mariage des personnes transsexuelles mariées, ayant changé de sexe dans le mariage ou après un divorce, ne sont pas remis en cause. En outre, il est prévu d’autoriser le mariage pour tout adulte, après dix-huit ans révolus, qu’il soit homme ou femme.

Loin de prévoir une disposition d’ordre catégoriel, la présente proposition de loi de clarification et de définition du mariage s’appuie sur le principe ayant valeur constitutionnelle de l’égalité des droits et de traitement, sans aucune distinction ou discrimination, qui est le fondement de la société française depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, rappelée dans le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.

Tel est le contenu de la proposition de loi qu’il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

pion1650

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