La «Passerelle de Doha» sur la route de Paris 2015

Par Ronan Dantec, sénateur EELV de Loire-Atlantique, porte-parole de réseaux mondiaux de collectivités locales dans la négociation climatique

Ni fiasco, ni évidemment succès, les décisions prises à Doha étaient un passage obligé, une « passerelle » pour reprendre les termes du président de la conférence, le vice-premier ministre qatari, Abdullah Al-Attiyah. La route est donc encore très longue pour amener la communauté internationale vers la négociation de 2015, qui décidera ou non de réellement limiter les émissions planétaires de gaz à effet de serre.

Passons rapidement sur les conditions de la négociation elle-même de cette conférence annuelle (la COP 18) : depuis Kyoto, la tradition est de terminer par un marathon diplomatique d’au moins 36 heures, une tragi-comédie fondée sur quelques coups de théâtre, énervements surjoués et appels à la responsabilité historique, faux suspens sur un accord final dont les grandes lignes étaient globalement connues avant d’arriver au Qatar.

Dans ce cas, on peut évidemment toujours douter de l’intérêt de ces grandes conférences, au coût non négligeable. Mais, outre le fait qu’elles sont l’occasion de multiples réunions techniques, dont les décisions ne sont pas sans implications, elles disent aussi clairement que la négociation multilatérale reste la seule voie possible et 190 pays ne négocieront jamais ensemble par vidéoconférence. Je retiendrai ainsi, comme symbole de cette négociation de Doha, la présence d’une délégation palestinienne ne siégeant plus comme simple observateur, mais bien comme Etat observateur. Le combat qu’ils ont mené pour avoir le droit de s’assoir à cette table commune des Nations devrait donner à réfléchir à ceux qui entonnent par trop rapidement le chant convenu et démagogique de l’inutilité de ces grands sommets mondiaux. S’ils illustrent les extrêmes difficultés de la régulation mondiale, ils n’en sont pas la cause et demeurent nécessaires à la bonne marche du monde.

En grande partie prévisibles, les résultats de Doha doivent cependant être analysés au vu des échéances à venir. Premier enjeu, la reconduction du protocole de Kyoto ne faisait guère de doute. Sans les Etats-Unis, qui n’y ont jamais participé, le mécanisme est préservé par l’Europe et l’Australie, mais avec des objectifs tellement faibles (-20% en 2020 pour l’Union européenne) que son impact sera très limité, on sauve l’outil mais on ne s’en sert guère. Point à retenir, la décision d’une révision des objectifs en 2014 (après le prochain rapport du Giec), laisse ouverte la possibilité d’un renforcement de l’ambition, et donne à la France, qui a défendu ce calendrier, l’opportunité d’un signal positif vers les pays du Sud avant la grande conférence de 2015.

Je passerai ici sur le temps perdu pendant la conférence à tenter de résoudre le problème des surplus de la première période d’engagement, l’avenir de ces « crédits CO2 » que possèdent les pays de l’ancien bloc de l’Est, dont les émissions se sont effondrées au même rythme que leur industrie lourde. Ainsi, le temps perdu à Doha en palabres européennes sur le cas polonais pose clairement la question de la capacité des 27 à se mettre d’accord avant d’arriver sur le lieu-même de la conférence… même si un compromis interne à l’Union européenne a finalement été trouvé.

S’agissant des Russes, en revanche, c’est avec une dureté assez inhabituelle dans ce genre de conférences que le président qatari les a laissés avec leur « air chaud » sur les bras, en faisant voter les textes du « Paquet de Doha » sans même tenir compte de leur demande de prise de parole. Ainsi « éjectés » par l’ensemble des pays, notamment par les Chinois, les Russes sont les grands perdants de la COP 18, et il faudrait suivre avec attention leur réaction. En tout cas, au Qatar, la communauté internationale leur a dit sa lassitude de leurs blocages permanents.

Autre absent de cette deuxième période d’engagement, le Japon. Encore sous le coup du traumatisme de Fukushima, et en pleine transition énergétique, il aurait peut-être mérité plus d’attention…ce n’est pas un « adversaire » de l’accord climatique global, il devra être associé aux réflexions à venir.

A Doha, c’est déjà à 2015 que réfléchissaient les négociateurs et personne n’a abattu ses cartes, se contentant de surveiller son voisin. Ce fut particulièrement vrai de la question des financements, l’autre élément clé de cette négociation. Dans la période de crise budgétaire actuelle, les Européens n’avaient guère les moyens de grandes promesses, mais leur prudence est sans nul doute aussi liée à leur volonté de faire évoluer le débat vers des financements innovants (comme les taxes sur les carburants de « soutes » des bateaux et des avions), qui engageraient aussi les grands pays émergents. Sur ce point, il est peu probable qu’il y ait des évolutions majeures avant le « deal global » de 2015. Cette absence de confirmation des engagements des pays développés, pour faire évoluer progressivement leurs contributions, entre le « Fast start » de Copenhague, et ses 30 milliards de dollars jusqu’en 2012, et les 100 milliards promis à horizon 2020, n’était pas de nature à restaurer cette fameuse « confiance », mot clé du vocabulaire de l’ONU climat.

Mais, en l’absence d’engagements financiers précis, les pays en développement ont néanmoins obtenu l’ouverture d’une négociation sur un nouveau mécanisme sur les « pertes et préjudices ». C’est une avancée intéressante, qui a aussi permis d’aider à l’adoption du paquet final de cette conférence. Cela signifie que, demain, les fonds d’adaptation promis par les pays développés pourraient être distribués, au moins en partie, selon des règles précises, et pas seulement de manière discrétionnaire, au gré des relations bilatérales entre Etats. La réflexion sur ce mécanisme devrait aussi déboucher sur une meilleure appréhension des coûts de l’adaptation pour les pays du Sud, c’est un enjeu considérable.

La route de 2015 est encore loin d’être dégagée, c’est une évidence, mais au moins connaît-on maintenant la destination : ce sera Paris. Bien sûr, le choix ne sera officiellement validé qu’en 2014, mais la disponibilité de la France pour l’accueil de la COP 21, confirmée par Laurent Fabius, qui a fait le voyage à Doha, vaut engagement. Aucun autre Etat européen ne devrait s’y opposer et, comme ce sera au tour de l’Europe de l’Ouest d’accueillir une COP, les choses sont quasiment faites. C’est une excellente nouvelle et un véritable défi pour la France, en termes diplomatiques… et logistiques. Il convient donc de s’y préparer dès à présent car, dans ce genre de négociations, le rôle de la présidence, exercée par le pays hôte, est primordial.

La négociation climat est une négociation globale et l’erreur est souvent de ne pas l’appréhender dans sa globalité, économique et géopolitique. Elle dit un monde où la coopération est nécessaire, car les mécanismes de compétition habituels ne permettent pas de résoudre le défi climatique. Il y a sur la table les changements de mode de vie et les mutations technologiques permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi la convergence des grandes économies, entre anciens pays développés et émergents, l’urgence d’un développement solidaire planétaire. Entre extrême technicité des mécanismes climat et perception des enjeux globaux, c’est toute la diplomatie française qu’il faut aujourd’hui activer, des réseaux qu’il faut mobiliser. Paris 2015 peut être un échec, ne le nions pas, mais cela peut aussi marquer une date importante.

Les crises financières, économiques et climatiques disent aujourd’hui l’impasse de cette mondialisation libérale, née notamment de la chute du mur de Berlin. Cette COP 21 à Paris pourrait réussir à dire un autre monde, où la régulation prend le dessus, où le développement humain compte plus que les profits du capitalisme financier, où la crise environnementale et la perception de la finitude de la planète ne sont pas des mots pour fins de discours, mais des enjeux intégrés des politiques publiques.

Si la France, puissance économique moyenne, a encore une capacité d’influence universelle, c’est ici qu’elle peut le démontrer, en se mobilisant pour créer les conditions de cet accord mondial, clôturant 25 ans de mondialisation libérale, ébauchant les règles de vie commune dont le XXIe siècle a besoin. François Hollande a eu raison de porter cette candidature cohérente avec les valeurs qui animent sa majorité gouvernementale. Nous devons dès aujourd’hui nous mettre collectivement en situation d’assurer la réussite de cette conférence vitale pour notre avenir à tous.

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