Tribune « Ne laissons pas le «foot business» vampiriser le sport qu’on aime »
Eric Alauzet, signe en ce début de semaine une tribune dans le journal Libération sur l’article 24 controversé du projet de loi de finances rectificative pour 2014 visant à «modifier le régime fiscal des organismes chargés de l’organisation en France d’une compétition sportive internationale».
Et ce jeudi, dans un article de Médiapart « Comment la France est devenue un paradis fiscal pour l’UEFA », Éric Alauzet s’interrogeait : « La France est en pleine injonction contradictoire : comment pouvons-nous déclarer que la lutte contre l’évasion fiscale est une priorité, et en même temps essayer d’attirer des acteurs sportifs qui se comportent comme des entreprises cherchant à éviter les impôts à tout prix ? On n’a plus aucune crédibilité pour critiquer le Luxembourg et ses accords fiscaux avec les multinationales ! ».
Tribune
Début décembre, les députés devront se prononcer, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2014, sur un article 24 visant à «modifier le régime fiscal des organismes chargés de l’organisation en France d’une compétition sportive internationale». En réalité, on nous propose de créer une sorte de «niche fiscale géante» au profit des sociétés organisatrices de l’Euro 2016 en France. Impôt sur les sociétés, impôts sur les bénéfices, taxe sur les salaires… tout y passe. Les discussions préalables à l’instauration de cette défiscalisation de grande ampleur ayant été maigres, nous avons décidé de lancer un débat en déposant un amendement supprimant cette défiscalisation. Pourquoi ?
Sommes-nous des «ennemis du sport» ? Sommes-nous ces réfractaires de la pratique sportive, ces opposants caricaturaux et fermés aux joies des amatrices et amateurs de football ? Pas du tout. Pour nous la pratique sportive populaire et ouverte à toutes et à tous, porteuse de valeurs d’effort, de respect mutuel et des règles, doit être soutenue avec vigueur. Aujourd’hui, le sport représente moins de 1% du budget de l’Etat et dans un contexte de marges budgétaires réduites, les financements doivent en priorité concerner la démocratisation du sport et non son appropriation par quelques sociétés organisatrices qui bénéficieraient d’avantages fiscaux injustifiés. Il est donc important de concentrer les dépenses de l’Etat sur le développement sportif en veillant à ce que cet argent public ne soit pas détourné au profit du «sport business» qui bénéficie déjà de subventions et aides fiscales considérables.
De plus, la France a déjà consenti un effort important pour l’organisation de l’Euro 2016: 2 milliards d’euros en tout, dont 1,6 milliard pour la construction et l’amélioration de stades et 400 millions dans les infrastructures spécialisées. Dans le cadre du budget pour 2015, l’Assemblée a déjà adopté la baisse de la TVA sur les billets d’entrée dans les stades. Il n’est pas raisonnable, dans la période actuelle, de réaliser un effort fiscal supplémentaire. Enfin, l’organisation qui bénéficierait majoritairement des dispositions du présent article est Euro 2016 SAS, une société détenue à 95% par l’UEFA et seulement à 5% par la FFF. Or, l’UEFA a son siège dans le canton de Vaud, en Suisse, où cette organisation a payé 405 euros d’impôts locaux en 2013 et 1 365 euros en 2012, une imposition très modeste pour une organisation dont les bénéfices sont estimés à près de 2 milliards d’euros par an. Mettre en place un tel système de défiscalisation apparaîtrait contradictoire et choquant au regard de la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale, et même tout simplement des efforts considérables demandés ces deux dernières années à l’ensemble des contribuables.
Ces avantages résulteraient des engagements pris par le précédent gouvernement afin d’obtenir l’organisation de l’Euro 2016 en France. Pourtant, la situation économique de notre pays impose au gouvernement actuel de ne pas aggraver les déficits de l’Etat. Mais surtout, la création d’une niche fiscale ne peut devenir la condition sine qua non pour organiser un événement sportif européen de grande ampleur car une telle obligation irait à l’encontre des objectifs du «fair-play financier» adopté par l’UEFA en 2011 visant à «améliorer la santé financière générale» du football européen.
En proposant ce débat nous défendons donc le développement d’un sport populaire, démocratique et ouvert à toutes et à tous. Ne laissons pas le «foot business» accaparer les fonds publics en s’exonérant de ses obligations fiscales envers la France!
Éric ALAUZET membre de la commission des finances de l’Assemblée nationale
Barbara POMPILI députée de la Somme, co-présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale,