Question au gouvernement d’Eric Alauzet : Quel rôle va jouer la France dans les négociations sur l’avenir du climat ?
Les négociations climatiques (COP19) s’ouvrent à Varsovie, au moment même où le typhon Haiyan a déjà causé, selon un bilan encore provisoire, des milliers de victimes et des centaines de milliers de sans-abri aux Philippines.
Cette actualité a été l’occasion pour Eric Alauzet de poser une question au gouvernement lors de la séance publique de ce mardi.
Conférence de Varsovie sur le climat
Question d’Eric Alauzet
M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.
M. Éric Alauzet. Le groupe écologiste s’associe à toutes celles et tous ceux qui appellent nos concitoyens à l’apaisement et les groupes politiques au sang-froid.
Monsieur le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, on le sait, les périls sont devenus multiples : il y a quelques jours, le typhon Haiyan tuait des dizaines de milliers de personnes et dévastait tout sur son passage. La situation appelle, d’abord, notre soutien à toute initiative que prendra le Gouvernement pour aider les Philippines et ses habitants.
Cette catastrophe confirme malheureusement l’impact du changement climatique, auquel aucun continent ni personne n’échappera. Rien d’étonnant pour les scientifiques : alors que la couche supérieure de l’océan se réchauffe inexorablement, une étude de l’université de Floride a démontré qu’une augmentation d’un degré de la température de l’eau accroît la vitesse des 10 % de cyclones les plus puissants de 6,5 mètres par seconde.
En d’autres termes, si nous ne maîtrisons pas l’augmentation de la température, les risques cycloniques vont croître. À celles et ceux qui conservent une approche étriquée de l’économie, au mépris de la condition sociale et de la protection de l’environnement, je rappelle le rapport de Nicholas Stern, publié en 2006, qui précise qu’en cas d’inaction d’ici 2050, le changement climatique coûterait entre 5 et 20 % du produit mondial brut. L’ajustement de ses prévisions nous conduit plutôt vers le haut de la fourchette.
L’écologie n’est pas seulement une chance pour l’économie, elle en est la planche de salut. Depuis hier, à Varsovie, 192 pays ont entamé des négociations en vue d’aboutir en 2015 à un accord sur la réduction des gaz à effet de serre engageant l’ensemble des pays.
La France a une responsabilité historique puisqu’elle accueillera, à Paris, en 2015, la conférence sur le climat.
Monsieur le ministre, quel rôle la France jouera-t-elle à la conférence de Varsovie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le président, monsieur le député, mesdames, messieurs les députés, je veux tout d’abord exprimer l’émotion du Gouvernement et la solidarité de la nation – et je pense refléter les sentiments de l’ensemble de la représentation nationale – à l’égard des victimes du typhon Haiyan, aux Philippines, au Vietnam et en Chine. (Applaudissements sur tous les bancs).
Monsieur le député, ce qui s’est passé ce week-end est, une fois encore, l’illustration que les chiffres des experts du GIEC sont confirmés par des dérèglements climatiques répétés. Il n’est plus temps de tergiverser mais d’agir. Avec Laurent Fabius, Pascal Canfin et des membres de la représentation nationale, nous nous rendrons à Varsovie pour dire la détermination de la France à agir. À cet effet, mesdames, messieurs les députés, nous devons restaurer la confiance des pays en développement, qui doutent, parfois, de la sincérité des pays riches à traiter cette question comme il se doit. Pour cela, nous devons lancer la dynamique qui conduira au sommet de Paris 2015, pour parvenir à un accord enfin universel et contraignant. Dès Varsovie, mesdames et messieurs les députés, l’Union européenne doit créer les conditions pour que tous les pays s’engagent sur des objectifs ambitieux de lutte contre le changement climatique. Nous le devons aux victimes du typhon Haiyan. Nous le devons aux générations futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste, RRDP et UDI.)
Communiqué d’EELV
Plutôt, Europe Ecologie Les Verts rappelait dans un communiqué que le dernier rapport du GIEC (http://leclimatchange.fr/) confirmait sans appel l’origine humaine du changement climatique : « Si nous n’agissons pas, nous risquons une augmentation des températures de plus de 4 degrés d’ici 2100, entraînant de plus en plus d’évènements météorologiques extrêmes et une hausse de leur intensité : sécheresses, canicules, tempêtes… Et leurs conséquences sur l’agriculture, la sécurité alimentaire, la biodiversité, les conditions de vie et le déplacement de millions de réfugiés à travers le monde ».
« La réalité des faits les plus graves est désormais établie. Elle appelle à des décisions responsables. La conférence de Varsovie, après la spirale de lourdes difficultés des dernières discussions climatiques, doit permettre d’ouvrir une nouvelle étape. La volonté politique de toutes les parties, et en particulier des pays « émetteurs historiques », doit enfin être clairement affirmée ».
« Europe Ecologie Les Verts attend de la France, qui accueillera en 2015 les négociations climatiques, qu’elle porte avec fermeté et clarté cette volonté. Elle est une exigence nécessaire, si la communauté internationale veut de tenir ses engagements, pris à Durban en 2011, de parvenir à un accord contraignant et ambitieux de réduction des gaz à effet de serre en 2015 à Paris ».
Comment un ministre de l’environnement qui devrait être au fait de ces questions peut-il dire que le typhon en cause est lié au réchauffement climatique, alors que les climatologues avouent ne pas savoir s’il existe un lien et que l’OMM (Organisation météorologique mondiale) déclare dans un communiqué de presse daté du 7 février 2013 : « Le Comité des typhons se penche sur les incidences du changement climatique. Selon une nouvelle analyse de la région du monde la plus active en cyclones tropicaux, l’influence du changement climatique sur l’activité cyclonique dans le nord-ouest du Pacifique demeure incertaine et il faudra poursuivre les recherches pour comprendre les contributions relatives des variations naturelle et du changement climatique d’origine anthropique »? Elle précise en outre que: « compte tenu des importantes variations interannuelles et interdécennales de l’activité cyclonique dans le bassin du Pacifique Nord-Ouest, il est impossible de déterminer avec certitude qu’il y a eu une influence humaine détectable sur la fréquence des cyclones tropicaux, sur leur intensité, sur les précipitations, les trajectoires ou sur tout autre paramètre agrégé connexe de l’activité cyclonique dans le bassin. » Ce n’est pas sérieux et l’emballement politico-médiatique auquel vous participez ne l’est pas non plus. Il ne sert pas la cause des « défenseurs du climat » mais permet de douter fortement des bases « scientifiques » fondant leurs déclamations!
La communauté du GIEC (plus de 3000 chercheurs) confirme et amplifie à chacune de ses communications, non seulement la réalité du réchauffement climatique, mais aussi la responsabilité de l’activité humaine et l’aggravation des phénomènes climatiques qu’ils ont annoncés depuis longtemps.
S’il est impossible d’affirmer le lien absolu d’un évènement climatique avec le réchauffement, il est en revanche certain que leur fréquence et leur intensité s’aggravent et s’aggraveront encore.
Concernant les phénomnes de tyhon, on sait qu’il prennent naissance dans le Pacifique autour d’une température de 24°C. Plus la température s’élèvera plus ils seront fréquents. Mais leur intensité progressera également. Une étude de l’Université de Floride a démontré que sur les 10% de cyclone les plus forts, une augmentation de 1°C de la température de l’eau augmente leur vitesse de 6,5 m/s. Et leur défladration d’autant…
« Depuis trop longtemps on a permis que les événements météorologiques extrêmes aléatoires structurent le débat sur le climat » Lennart Bengtsson, climatologue suédois, un des créateur du GIEC.
C’est curieux de voir que la mise en cause du lien entre réchauffement climatique et des événements climatiques ou avec des aléas météorologiques extrêmes tels que le super typhon Haiyan puisse être perçue comme une mise en cause du réchauffement lui-même. …
Je vous signale que dans ses rapports le GIEC lui-même, avec ses 3000 chercheurs (mais pas 3000 spécialistes des typhons!) estime qu’au vu des données disponibles, l’hypothèse selon laquelle on assisterait au début du XXIème siècle à un accroissement de l’activité des typhons n’a qu’un «degré de confiance faible »
La question n’était pas de savoir s’il y a ou non réchauffement climatique mais le lien que l’on peut ou non constater entre un tel réchauffement et la fréquence et l’intensité des typhons, plus précisément encore: existe-t-il une relation entre la tendance à l’élévation de la température de surface de l’eau des océans (SST) au cours des dernières décennies et une tendance à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des typhons comme il est posé et présupposé dans les interventions d’Eric Aulazet et du ministre ? Cette question renvoie à une autre plus fondamentale : existe-t-il une tendance à une augmentation de la fréquence et de l’intensité des cyclones et notamment des cyclones majeurs ? L’OMM répond clairement non pour les typhons et l’OMM n’est pas une officine climato-sceptique!
Mes références sont précises tandis que la question orale et le commentaire n°2 mentionnent sans précision une étude de l’Université de Floride. Permettez-moi donc de vous demander son auteur principal, la date de publication, la revue,date, n°.
En ce qui me concerne, parmi les nombreux articles publiés dans des revues scientifiques spécialisées sur une question qui fut sujet à controverse, j’en citerai deux récents qui permettent de comprendre la prudence des experts, prudence qui contraste avec les affirmations sans nuance des activistes du Réseau Action Climat comme de nombreux politiques. Je citerai également le dernier rapport du GIEC.
Tout d’abord l’article de Klotzbach P.J. (2006), Trends in global tropical cyclone activity over the past twenty years (1986–2005), Geoph. Res. Lett., 33, doi 10.1029/2006GL025881 qui montre que la variable SST n’est sans doute pas la plus fondamentale pour rendre compte de l’intensité des cyclones. « Il y a une corrélation statistiquement significative entre SSTs (températures de surface) et ACE, aussi bien qu’entre SSTs et le nombre de cyclones de catégorie 4 – 5 pour les bassins Nord-Atlantique et Pacifique Nord-Est. Cependant pour les quatre autres bassins cycloniques, ces corrélations sont en réalité légèrement négatives. Même pour le Nord Atlantic et le Pacifique Nord-Est, ces corrélations expliquent seulement entre 25 – 30% de la variance (…) À l’évidence, en dehors de SSTs chaudes, d’autres facteurs atmosphériques et océaniques tels qu’un cisaillement vertical des vents, une instabilité atmosphérique, etc. jouent un rôle critique sur le développement et l’intensification d’un cyclone tropical (traduit par moi JFD) » Pour l’auteur le facteur décisif est le cisaillement vertical des vents «On a montré que le cisaillement vertical des vents est un facteur plus fondamental (que la SST) pour le développement et le maintien des cyclones majeurs » Il cite Gray and Klotzbach ( 2005), Summary of 2005 Atlantic tropical cyclone activity and verification of author’s seasonal and monthly forecasts, report, 48 pp., Dep. of Atmos. Sci., Colorado State Univ., Fort Collins, Colorado. Il remarque que « Ces résultats indiquent qu’il y a eu très peu de tendance dans l’activité cyclonique des vingt dernières années et qu’une large partie de l’augmentation importante trouvée par Emanuel (2005) ou Webster (2005) est probablement due à la qualité médiocre des bases de données avant le milieu des années 1980 (trad. JFD) » En effet, les résultats contradictoires obtenus s’expliquent par la qualité inégale des mesures notamment des mesures de la vitesse des vents de surface et des changements dans les méthodes d’enregistrement et d’évaluation.
D’où l’importance du travail de J. P. Kossin et col. qui ont réalisé une nouvelle base de données sur l’ensemble des bassins océaniques tropicaux du globe, homogénéisée à partir d’observations satellitaires. Cette base regroupe 23 années d’observations s’étendant de juillet 1983 à décembre 2005 « to remove sources of time-dependent biases ». Elle contient 169.000 enregistrements de plus de 2000 tempêtes tropicales. Toutes ont été traitées avec le même algorithme et les résultats ne montrent pas d’augmentation ni en fréquence, ni en intensité des cyclones durant cette période où pourtant la SST a augmentée : « En utilisant des données homogènes, nous n’avons pas été capables de corroborer l’existence d’une tendance à la hausse de l’intensité des cyclones au cours des deux dernières décennies dans tous les bassins, l’Atlantique excepté. Dans la mesure où le bassin Atlantique représente moins de 15 % de l’activité cyclonique globale, ce résultat constitue un défi pour l’hypothèse qui relie directement l’élévation globale des températures de surface (SST) de l’océan tropical à l’augmentation en moyenne sur le long terme de l’intensité globale des ouragans. (trad. JFD)» « A globally consistent reanalysis of hurricane variability and trends » J. P. Kossin, K. R. Knapp, D. J. Vimont, R. J. Murnane and B. A. Harper, Geophys. Res. Lett., 2007, 34, L04815, doi:10.1029/2006GL028836, (traduit par moi, JFD)
Bref, le lien entre une tendance au réchauffement global manifesté par une tendance à l’élévation du des températures de surface de l’océan tropical et une tendance au renforcement de la fréquence et de l’intensité des typhons n’est pas établie. Bien plus il semble que cette dernière n’existe pas pour les décennies étudiées. Selon le dernier rapport du GIEC de 2013 (Chapitre 2, p. 62) cela se confirmerait aussi pour les décennies suivantes au vu des bases de données existantes et des estimations récentes qui ne montrent aucune tendance significative dans la fréquence des cyclones tropicaux durant le siècle dernier. Quant à l’intensité exceptionnelle d’un événement singulier, elle n’a pas de signification climatique.
Utiliser des événements extrêmes comme le typhon Haiyan pour influer sur les négociations de la COP de Varsovie et pour aiguillonner le gouvernement Français afin qu’il pèse de tout son poids pour obtenir un accord contraignant sur la limitation des rejets de GES peut sembler de bonne guerre mais reste dans l’émotionnel manipulatoire et ne peut fonctionner que grâce à l’ignorance d’une population mal informée. Percé à jour, ce sensationnalisme catastrophiste se retournera contre la cause qu’il prétend promouvoir. Invoquer de façon pour le moins discutable le GIEC à la rescousse d’assertions aussi peu solides du point de vue de la Science du climat ne peut qu’écorner encore un peu plus son crédit. C’est lui rendre un bien mauvais service.