Loi de finances 2014 – Interview d’Eric Alauzet
Le Budget de l’Etat est étudié par le Parlement en deux parties : une sur les recettes, l’autre sur les dépenses à travers trente et une missions thématiques.
Eric Alauzet est, avec Eva Sas, chef de file du groupe écologiste sur ces questions de finances. Après le vote de la partie concernant les recettes, l’examen de la deuxième partie de la loi de finances pour 2014 se poursuit durant les trois semaines à venir. Le député du Doubs répond à nos questions.
Eric Alauzet, quels sont les enjeux de ce budget 2014 ?
Le projet de loi de finances s’inscrit dans la poursuite du rétablissement des comptes publics et de la relance de l’activité économique.
Pour rétablir les comptes publics, il faut réduire la dette pour ne pas mettre notre pays, nos entreprises et les ménages en danger face au risque de dépendance financière et d’augmentation des taux d’intérêt.
Pour ce faire, le gouvernement a privilégié les économies sur la création de recettes nouvelles. Ainsi, le PLF (projet de loi de finances) confirme l’annonce de 15 Milliards d’euros d’économie (9 Mds d’économie de l’Etat et 6 Mds d’économie sur la sécurité sociale et les régimes de retraite). Les économies réalisées par l’Etat se répartissent en trois blocs : économies sur les dépenses de fonctionnement et de masse salariale ; maîtrise des concours financiers de l’Etat aux opérateurs, aux collectivités territoriales et à l’Europe ; économies sur les dépenses d’intervention et d’investissements.
Le budget est basé sur les nouvelles prévisions de croissance : +0,1% du PIB en 2013 et +0,9% du PIB en 2014 (1).
Parallèlement, ce budget vise à relancer l’activité économique en agissant sur deux leviers : renforcer la compétitivité des entreprises et améliorer le pouvoir d’achat des ménages. En ce qui concerne les entreprises, dans la suite du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) qui permettra de réduire les coûts du travail et de rendre nos entreprises plus compétitives, nous voterons dans le cadre de ce budget des aides aux petites et moyennes entreprises. Les ménages bénéficieront de l’instauration d’une TVA réduite sur la construction et la rénovation de logements publics ainsi que sur la rénovation des logements privés, ou encore de la décote sur l’impôt qui sera significativement augmentée. La décote est un système permettant de réduire l’impôt sur le revenu des ménages modestes et des classes moyennes. Ainsi plus de 7 millions de ménages bénéficieront de cette mesure.
Quelles sont les mesures principales du projet de loi ?
Les mesures essentielles sont :
– la revalorisation du barème de l’impôt en fonction de l’inflation, l’augmentation de la décote pour les plus modestes et le relèvement du revenu fiscal de référence qui fixe les plafonds pour accéder à divers dégrèvements (taxe d’habitation, taxe foncière, CSG, redevance audiovisuelle, etc.) ;
– l’abaissement du plafond du quotient familial qui profite principalement aux ménages aisés pour réduire la dette du régime famille de la sécurité sociale en préservant les allocations familiales (la réduction n’est pas financée par la baisse du quotient familial) ;
– la fiscalisation à l’impôt sur le revenu des majorations de retraites des personnes ayant eu plus de 3 enfants. C’est l’effort demandé aux retraités ayant élevé une famille nombreuse ;
– le meilleur contrôle fiscal des prix de transfert qui servent le fléau de l’évasion fiscale ;
– l’augmentation progressive de la TICPE (taxe sur les produits pétroliers et gaziers) sur la période 2014-2016 en fonction du contenu carbone des produits ;
– la baisse de la défiscalisation des agro-carburants en 2014 et 2015 et la fin de cette niche fiscale le 1er janvier 2016 (initialement prévue en 2015…).
– l’augmentation du malus auto et l’ajout d’un seuil bas à partir de 130 g de CO2 émis par km (au lieu de 135 g jusqu’à présent).
2014, année de transition vers une pause fiscale ?
Ce budget vise à instaurer plus de justice sociale et à apporter un soutien financier aux ménages les plus modestes. Néanmoins la revalorisation de la décote sur l’impôt sur le revenu reste limitée. Heureusement, nous avons pu maintenir la réduction d’impôt pour frais de scolarité.
La ré-indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’évolution de l’indice des prix hors tabacs permet une revalorisation de l’ensemble des tranches de 0,8% et une stabilisation de l’impôt pour les revenus qui auront progressé d’autant.
Si les taux de TVA augmentent au 1er janvier 2014 (décision en 2012 pour financer le CICE – Crédit d’impôt compétitivité emploi) deux baisses notables ont été adoptées par le Parlement : baisse de la TVA à 5,5% applicable aux entrées dans les salles de cinéma ainsi qu’à la construction et à la rénovation de logements sociaux, et à la rénovation thermique des logements, à laquelle les écologistes sont si attachés.
En fait, les nouvelles mesures fiscales décidées lors de la préparation de la loi de finances 2014 sont extrêmement limitées et se montent à 1 milliard d’Euros contre 20 milliards les deux années précédentes, notamment du fait des recettes supplémentaires de 2 milliards liées au renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale. Néanmoins, il est vrai que prendront effet en 2014 des mesures décidées il y un an, tel le passage du taux de TVA intermédiaire de 7 à 10% – sauf pour les secteurs du logement évoqués plus haut sur lesquels les parlementaires écologistes ont pesé fortement – ou encore les mesures d’équilibre des caisses de retraites.
Ce cheminement vers la pause fiscale, qui sera atteint complètement en 2015, explique la baisse de la dépense publique de 15 milliards programmée en 2014. C’est un peu moins brutal que les 20 milliards envisagés dans un premier temps suite à la négociation avec la commission européenne pour adoucir le rythme de réduction des déficits publics.
Ces mesures portent-elles sur les ménages et les entreprises ?
On peut noter l’instauration d’une taxe exceptionnelle de 50% sur la part des rémunérations dépassant 1 million d’€ et versées par les entreprises en 2013 et 2014, ainsi que le relèvement de la surtaxe de l’impôt pour les sociétés de 5% à 10,7% pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros.
Vous êtes un élu mobilisé sur la question de l’optimisation fiscale, qu’en est-il dans le projet de loi ?
Une série d’article vise à limiter ce qu’on appelle pudiquement l’« optimisation » fiscale au titre :
– des produits « hybrides » (des produits financiers complexes qui visent à créer un écran de fumée et à utiliser les faiblesses juridiques dans certains pays, y compris dans l’union européenne),
– de l’endettement artificiel (certains montages de groupes multinationaux consistent à créer artificiellement de l’endettement plutôt que d’utiliser leurs fonds propres afin de déduire les intérêts du résultat imposable de la filiale française),
– et des prix de « transferts » qui permettent aux entreprises de déplacer des profits dans les pays à fiscalité faible ou nulle sous couvert de factures surévaluées.
Dans le même objectif, pour éviter les fraudes à la TVA, une disposition impose aux entreprises détentrices du marché initial de régler la TVA de leurs sous-traitants – qu’ils devront récupérer auprès d’eux afin d’éviter qu’ils disparaissent parfois avec leurs dettes.
On a beaucoup évoqué durant ces derniers mois la « fiscalité écologique » qui remplacerait la fiscalité sur le travail, qu’en est-il ?
Pour la première fois en France une fiscalité liée aux émissions de carbone est mise en œuvre. C’est une véritable révolution, un changement de paradigme. Il faut également noter que le rattrapage diesel se fait très lentement grâce à l’assiette carbone dans la TICPE, en moyenne +0,50 cts/hl en 2016.
La TICPE sera augmentée sur les carburants et les énergies fossiles (gaz…) en fonction de leur contenu en carbone. L’évolution du prix de la tonne carbone sera de 7euros en 2014, 14,5 euros en 2015 et 22 euros en 2016. Recettes prévues : 340 Millions en 2014, 2,5 Milliards en 2015 et 4 Milliards en 2016. En 2014, seulement trois produits sont concernés : gaz naturel, fuel lourd et charbon. Les secteurs exonérés de TICPE (avions privés, pêcheurs, certains secteurs agricoles, grandes entreprises soumises à ETS (Emission Trading Scheme : système communautaire d’échange de quotas d’émission) – etc…) ne seront pas impactés par cette contribution.
D’autre part, de nouvelles substances seront assujetties à la TGAP air (plomb, zinc, chrome, cuivre, nickel, cadmium et vanadium).
Le mécanisme est enclenché, il faudra l’accélérer si l’on veut que réellement, on puisse substituer à la fiscalité du travail et de l’énergie humaine, celle de l’énergie fossile, pour moderniser l’économie. La cohérence recommandera de mettre progressivement fin aux niches fiscales anti-écologiques, quitte à soutenir financièrement les secteurs économiques en difficulté et en mutation.
Quels étaient les principaux amendements du groupe écologiste que vous avez défendus en commission ?
Pour l’impôt sur le revenu, nous préconisions la mise en œuvre d’une réforme fiscale fondée sur la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Dans l’attente de cette réforme, nous proposons également la création d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu et l’annulation de la suppression de la réduction d’impôt pour frais de scolarité, qui a été actée. En ce qui concerne la TVA, nous souhaitions la diminution du taux de TVA applicable aux secteurs de la transition écologique, qui sont impactés par l’augmentation du taux intermédiaire de TVA : baisse de la TVA sur la rénovation thermique des logements (qui a également été votée), ainsi que la baisse ciblée de la TVA sur les transports urbains et la gestion des déchets correspondant à l’économie circulaire (recyclage).
En matière de fiscalité écologique, nos amendements demandaient la suppression de niches anti-écologiques, la suppression du bonus automobile pour le diesel, la création d’un malus automobile pour les émissions de Nox (oxyde d’azote) et de particules fines fortement nuisibles à la santé et l’augmentation de la TVA sur les engrais azotés (les fameux nitrates qui polluent nos rivières).
Et finalement avez-vous pu faire évoluer le texte ou faire adopter des amendements ?
Des amendements issus de notre groupe ou votés par la majorité parlementaire ont pu être adoptés :
– le maintien de la réduction fiscale pour « enfants scolarisés » ;
– la TVA réduite pour la rénovation thermique des logements privés ;
– la TVA à taux normal pour les engrais du jardinage ;
– le durcissement de la taxe sur les véhicules de sociétés diesel et le durcissement du barème concernant les rejets polluants des automobiles.
En quoi les orientations budgétaires peuvent-elles influencer la vie de tous les jours, l’économie, l’écologie … ?
Ce budget comporte de nombreuses mesures ayant un impact sur l’économie ou l’environnement. Je ne prendrai que trois exemples :
1) Le soutien aux PME, avec la création d’un plan d’épargne action-PME qui doit permettre aux petites et moyennes entreprises d’accéder plus facilement à un financement issu de l’épargne des particuliers qui vont trouver là la possibilité d’utiliser leur épargne au bénéfice de l’économie,
2) La transition énergétique avec la contribution climat-énergie qui viendra se substituer à d’autres impôts pour favoriser les produits et les comportements moins consommateurs en énergie fossile,
3) Et la lutte contre l’optimisation fiscale en traquant les entreprises qui transfèrent fictivement leurs bénéfices dans les pays à faible fiscalité pour échapper à l’impôt.
Vous êtes le rapporteur du Budget sur la Sécurité alimentaire, en quoi cela consiste – t – il ?
Le programme 206 sur la sécurité alimentaire concerne le financement des actions visant à assurer la prévention des risques sanitaires et la qualité des produits que nous consommons quotidiennement. Ce budget peut être mobilisé à divers titres, notamment lorsqu’apparaissent des épidémies liées à des bactéries – comme Escherichia coli par exemple -, mais aussi pour réaliser des études sur les perturbateurs endocriniens, les boissons énergisantes, les ondes électromagnétiques issues des relais de téléphonie mobile, ou encore pour assurer le respect des normes vétérinaires, pour délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires, pour assurer les contrôles sanitaires et lutter contre la fraude économique des produits alimentaires (cf. viande de cheval chez Spanghero), etc.
Dans ce cadre, j’ai la responsabilité d’étudier et de présenter le budget proposé par le gouvernement en faveur de ces actions. Cette année, nous nous sommes concentrés sur la question de la crise de la viande de cheval, et de ce qu’elle montre la nécessité de disposer de moyens humains et techniques adaptés. Le programme consacré à la sécurité alimentaire est un programme bien géré et dont les actions assurent la sécurité sanitaire ; je suis mobilisé pour assurer la stabilité de ce budget inscrit au programme 206.
(1) Le budget est basé sur les nouvelles prévisions de croissance : +0,1% du PIB en 2013 et +0,9% du PIB en 2014 (1). Par conséquent, le déficit est estimé à 4,1% du PIB en 2013 et 3,6% du PIB pour 2014. Les recettes fiscales nettes seront en 2014 en baisse de 3,2Mds d’euros courants par rapport aux recettes prévues pour 2013, cette baisse est due à l’impact des mesures nouvelles. Les dépenses nettes du budget général hors dette et pensions sont en baisse -0,6Mds, mais ce calcul n’inclut pas le MES pour 3,3 Milliards, ni les investissements d’avenir pour 11 Milliards.