Les parlementaires écologistes écrivent au Conseil constitutionnel pour lui demander de censurer l’article CIGEO de la loi Macron
Les 28 parlementaires écologistes nationaux ont adressé ce jour un courrier au Conseil constitutionnel pour lui demander de censurer l’article Cigéo de la loi Macron.
Le Conseil constitutionnel ayant été saisi d’un recours sur l’ensemble de la loi, les parlementaires écologistes ont souhaité par cette lettre attirer l’attention sur l’article 201, qui concerne le projet de centre de stockage de déchets radioactifs, ajouté en ultime lecture et adopté via le 49-3.
Dans ce courrier, les parlementaires développent 8 arguments :
– Cet article est un cavalier législatif (absence de lien entre l’article 201 et les dispositions qui figuraient dans le projet de loi),
– Cet article n’a jamais fait l’objet d’un débat sur le fond,
– Cet article a été adopté sans avis préalable du Conseil d’Etat prévu par l’article 39 de la Constitution et sans étude d’impact prévue par la loi organique du 15 avril 2009,
– Cet article ne respecte pas le droit des générations futures, constitutionnalisé par la Charte de l’environnement,
– Cet article ne respecte pas les compétences spécifiques de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN),
– Cet article a été adopté sans évaluation des coûts de CIGEO,
– Cet article ne respecte pas le principe constitutionnel de participation du public, inscrit dans la Charte de l’environnement,
– Le texte adopté est inapplicable car il ne précise pas quelle est l’instance de décision à l’issue de la phase pilote.
Pour Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée nationale, à l’initiative de cette démarche, « la filière nucléaire est comme un appartement qui aurait été construit sans toilettes. Mais la question des déchets nucléaires est un sujet trop important pour être décidé à la va-vite sans débat et sans vote. Nous avons bon espoir que le Conseil constitutionnel constate comme nous que cet article n’a pas sa place dans la loi Macron. Cela permettra d’avoir enfin un vrai débat sur le nucléaire et ses déchets».
Éric Alauzet est signataire du courrier.
Monsieur le Président,
Vous avez été saisi d’un recours sur le « projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », adopté à l’issue de l’engagement de responsabilité du Gouvernement suivant la procédure de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution le 10 juillet 2015. Nous souhaitons attirer votre attention sur l’article 201 de ce texte qui modifie des dispositions de la loi n° 2006-739 et du code de l’environnement, introduit par voie d’amendement en nouvelle lecture au Sénat et en lecture définitive à l’Assemblée nationale.
En effet, tant sur le fonds que sur la procédure, cet article nous parait devoir faire l’objet d’un examen particulier.
- Absence de lien entre l’article 201 et les dispositions qui figuraient dans le projet de loi (cavalier législatif)
L’article 201 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques constitue un « cavalier législatif ». Un cavalier législatif est une disposition introduite par voie d’amendement, « qui ne présente pas de lien avec les dispositions qui figuraient dans le projet de loi ». La jurisprudence du Conseil constitutionnel sanctionne les cavaliers législatifs. Depuis trois décisions de 1985, le Conseil vérifie que les amendements ne sont pas dépourvus de tout lien avec les dispositions figurant dans le projet de loi initial (décisions n° 85-191 DC du 10 juillet 1985, cons. 2 ; n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, cons. 4 et n°85-199 DC du 28 décembre 1985 ; plus récemment : CC, décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014, Loi relative à la géolocalisation).
L’exposé des motifs de l’amendement n°98, adopté en lecture définitive indique que l’amendement a pour objet de trouver « une solution pérenne de gestion des déchets hautement radioactifs, sans quoi nous hypothéquerions l’avenir des générations futures » et indique que « cet amendement constituera une nouvelle base de dialogue pour l’avenir du projet. ». Cette dispositionne figurait pas dans le projet de loi initial présenté par le gouvernement.
Au demeurant, le président Brottes a pu déclarer en commission spéciale de l’Assemblée nationale, lors de sa réunion du 9 juillet 2015 :
« Au début de l’examen du texte, il n’était pas du tout prévu de traiter de cet enjeu (…)».
Force est de constater que cet article 201 est sans rapport avec l’objet du projet de loi tel que défini dans l’exposé introductif du projet de loi, ni avec aucune des mesures que ce dernier comportait.
L’exposé introductif du projet de loi précise ce texte a été présenté au parlement pour contribuer à la croissance de l’économie française, principalement grâce à une simplification des règles de droit censées freiner l’emploi et la consommation :
« Pour renouer avec une croissance durable, l’économie française doit être modernisée et les freins à l’activité levés. Pour atteindre ces objectifs, la loi pour l’activité et la croissance vise à assurer la confiance, à simplifier les règles qui entravent l’activité économique et à renforcer les capacités de créer, d’innover et de produire des Français et en particulier de la jeunesse. »
L’article 201 n’a pas davantage de rapport avec les « trois grandes réformes » que comporte le projet de loi :
« Cette loi porte trois grandes réformes :
– Libérer les activités contraintes
– stimuler l’investissement
– développer l’emploi et le dialogue social »
La création d’un centre industriel de stockage souterrain de déchets radioactifs n’a, a priori, pas de lien avec la libéralisation des professions réglementées, les investissements économiques ou le droit du travail.
Au regard de la jurisprudence passée du Conseil constitutionnel, tous les critères de qualification de « cavalier législatif » sont réunis. Au demeurant, le Gouvernement a en certainement conscience car c’est au sein du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte qu’il avait tout d’abord souhaité intégrer le contenu de cet amendement.
II – Cet article n’a jamais fait l’objet d’un débat sur le fond
L’Assemblée nationale n’a jamais eu l’opportunité de débattre, ligne par ligne, des dispositions contenues dans cet amendement. Lors de la première lecture, en séance, l’Assemblée nationale a rejeté globalement un amendement proposant l’inscription du projet Cigéo dans le projet de loi. Lors de la nouvelle lecture, la Commission spéciale de l’Assemblée nationale a adopté un amendement global de suppression d’un possible article sur le centre de stockage de déchets radioactifs « Cigéo ». Dans les deux cas, le rejet de l’inscription d’un article « Cigeo » dans le texte avait fait l’objet d’un avis favorable du rapporteur et du gouvernement. En conséquence, l’Assemblée n’a donc pas eu l’opportunité d’examiner l’article dans le détail lors de ces deux lectures.
Lors de son examen en lecture définitive, la procédure ne permettant que de le retenir ou de le rejeter en bloc, il n’a pas non plus été possible de discuter sur le fonds de l’amendement n° 98. Au surplus, le recours à la procédure engageant la responsabilité du Gouvernement (Art 49-3) a rendu impossible pour l’Assemblée nationale de discuter et amender cette proposition.
La loi du 28 juin 2006 relative à « la gestion durable des matières et déchets radioactifs » avait pourtant conféré au Parlement la compétence de définir la réversibilité. Force est de constater qu’à aucun moment l’Assemblée nationale n’a été à même d’en débattre le contenu, le champ, les modalités, le calendrier, etc. et donc de remplir le rôle que le législateur lui avait conféré par la loi de 2006.
III. Absence d’avis préalable du Conseil d’Etat prévu par l’article 39 de la Constitution et d’une étude d’impact prévue par la loi organique du 15 avril 2009
L’article 12 de la loi relative « à la gestion durable des matières et déchets radioactifs du 28 juin 2006 », codifié à l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement stipule que « le Gouvernement présente ensuite un projet de loi fixant les conditions de réversibilité. Après promulgation de cette loi, l’autorisation de création du centre peut être délivrée par décret en Conseil d’Etat, pris après enquête publique ». Force est de constater que la loi de 2006 n’est pas respectée, puisque c’est par un amendement parlementaire introduit dans un texte sans rapport, et en ultime lecture, et non par un projet de loi spécifique, qu’ont été définies les conditions de la réversibilité.
En spécifiant dans la loi de 2006 que c’est au gouvernement de présenter un projet de loi, le législateur avait tenu à ce que la saisine du parlement soit nécessairement assortie de garanties juridiques et techniques, que n’apporte pas un simple amendement parlementaire.
En effet, en sus d’un avis obligatoire du Conseil d’Etat conformément à l’article 39 de la Constitution, chaque projet de loi fait l’objet d’une étude d’impact en vertu de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.
Cette étude d’impact est nécessaire à l’étude sereine et éclairée du Parlement sur un sujet aussi complexe. Un simple amendement parlementaire ne répond pas à ces exigences, et donc ne permet pas aux députés de se prononcer en toute connaissance de cause.
Dans son article 6, la Charte de l’environnement précise que « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »
L’absence d’étude d’impact préalable à l’adoption de cet amendement, de même que l’absence de débat sur le fond, n’ont pas permis à la représentation nationale de s’assurer de la conciliation entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, et le développement économique et le progrès social dans la façon dont le projet serait mis en œuvre et dont la réversibilité serait garantie.
Par ailleurs, en prévoyant que c’est bien au Parlement de définir la réversibilité, le législateur affirmait clairement sa volonté qu’un débat éclairé puisse la définir. En rendant impossible pour les députés d’en discuter sur le fond, l’adoption de l’article 201 de la loi pour la « croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », est donc aussi contraire tant à l’esprit qu’à la lettre de la loi de 2006.
IV – Violation du droit constitutionnel des générations futures
L’adoption de cet amendement est non conforme à la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.
L’article 201 est contraire au septième considérant de la Charte de l’environnement.
La Charte de l’environnement, adossée à la Constitution par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, dispose :
« Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, »
En France, c’est sans doute le droit nucléaire qui a été le premier confronté à la problématique de la conciliation entre le droit des générations futures et l’activité de stockage de déchets radioactifs. S’agissant de cette activité, la question se pose donc de savoir si cette activité est conforme aux droits des générations futures ou si, à l’inverse, ce projet revient à leur imposer une contrainte – le financement et la prise en charge des risques liés à ces déchets – pour les besoins d’une production d’électricité dont profite uniquement la génération actuelle.
Force est de constater que le stockage souterrain de déchets radioactifs est en effet de nature à « compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins » en raison des risques et le coût de ce stockage.
Sur le lien entre le droit des générations futures et l’article 201 de la loi pour la croissance l’activité et l’égalité des chances économiques
L’article 1er de la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, dispose :
« La gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue doit être assurée dans le respect de la protection de la nature, de l’environnement et de la santé, en prenant en considération les droits des générations futures. »
Cet article démontre que le législateur a déjà considéré qu’il lui était nécessaire de démontrer le respect du droit des générations futures. Pour ce faire, le droit nucléaire prévoit pour l’heure de « prendre en considération » les « droits des générations futures » sans préciser ce que cela suppose exactement.
L’amendement n°98 défendu à l’Assemblée nationale par le président François Brottes démontre à son tour que les auteurs du futur article 201 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ont conscience de ce que ces dispositions doivent être conformes au droit des générations futures.
L’exposé des motifs de cet amendement indique en effet :
« La responsabilité de la Nation est de trouver une solution pérenne de gestion des déchets hautement radioactifs, sans quoi nous hypothéquerions l’avenir des générations futures ».
La question de la conformité de l’article 201 précité au droit des générations futures consacré par la Charte de l’environnement est donc posée par l’exposé des motifs de l’amendement n°98 lui-même.
Sur l’incompétence négative du législateur
A l’évidence, l’article 201 méconnaît ici la Charte de l’environnement et ce, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, le législateur, refusant d’exercer complètement sa compétence, délègue en réalité au pouvoir réglementaire le soin de donner un contenu et de préserver le droit des générations futures. Il le fait en confiant le soin au pouvoir réglementaire de définir les conditions exactes de la réversibilité du stockage des déchets radioactifs. Or, cette réversibilité est précisément conçue en droit nucléaire comme la condition du respect du droit des générations futures.
En effet, après avoir précisé au sein de l’article L.541-10-2 du code de l’environnement ainsi modifié que « la réversibilité est la capacité des générations successives, à revenir sur des décisions prises lors de la mise en œuvre progressive d’un système de stockage », le législateur refuse d’exercer complètement sa compétence.
De première part, la réversibilité est réduite à la possibilité de récupération des colis de déchets « pendant une période donnée ». Le législateur ne définissant pas la durée de cette période, il appartiendra au pouvoir réglementaire de le faire.
De deuxième part, le législateur confie le soin à l’administration de s’assurer du caractère réversible d’une installation qui aura pourtant déjà bénéficié d’une autorisation de création. En d’autres termes, le législateur permet à l’administration de ne pas appliquer le principe de réversibilité qu’il vient pourtant de dégager. En effet, c’est une « phase industrielle pilote » qui doit permettre de vérifier si la récupération des colis est possible. Or, cette phase industrielle pilote sera organisée après autorisation de création. Ce qui signifie qu’au moment de l’autorisation, l’administration n’est pas tenue de vérifier la conformité du procédé au principe de réversibilité.
Ce n’est donc pas le législateur mais l’administration qui décidera ou non d’appliquer le principe de réversibilité.
Sur la définition de la réversibilité du stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde
La définition, à l’article L.541-10-2 du code de l’environnement modifié, réduit la réversibilité du stockage à la seule possibilité de récupération des colis « pendant une période donnée ».
En d’autres termes, la réversibilité ne s’applique pas à l’existence même du centre de stockage, laquelle ne pourra jamais être remise en cause mais à ses seules conditions de fonctionnement.
Cette analyse est confirmée par la lecture de l’article 201 lui-même qui précise, au sein de l’article L.541-10-2 que la réversibilité ne pourra, éventuellement, mener qu’à « adapter l’installation initialement conçue en fonction de choix futurs ».
Ce qui signifie, s’agissant d’une installation destinée à fonctionner pour des milliers d’années, que le législateur interdit aux générations futures de remettre en cause l’existence même de ce centre de stockage. Seule une adaptation et non une fermeture de l’installation est envisagée.
Il s’agit d’une violation évidente du droit des générations futures à opérer leurs propres choix.
V – Non-respect des compétences spécifiques de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
La définition de la réversibilité du stockage des déchets radioactifs, par ses impacts sur les générations actuelles comme futures et ses impacts potentiels sur la santé et l’environnement est au moins autant technique qu’éthique. L’Autorité de Sûreté Nucléaire a annoncé, par la voix de son Président, le 15 avril 2015 devant les parlementaires de l’Office Parlementaire d’Evaluation Scientifique et Technologique (OPECST) devant lequel il rend compte, que l’Autorité rendrait un avis sur la définition de la réversibilité du stockage en 2015 « en donnant un certain nombre d’éléments de doctrine, sur ce que nous entendons par le terme réversibilité et sur ce que cela implique techniquement comme choix ».
Cette Autorité indépendante, garante du principe et de l’application de la sûreté nucléaire en France, ne s’est donc pas encore prononcée. Adopter une définition de la réversibilité par simple amendement parlementaire sans débat, sans attendre cet avis de l’ASN, remet non seulement en cause la loi de 2006 mais peut également avoir de fait pour conséquence de restreindre le pouvoir d’appréciation de l’ASN – et donc son indépendance garante de la sûreté – sur ce que doit être la réversibilité.
La procédure d’adoption de cet amendement est donc contraire à la Loi n° 2006-686 du 13 juin2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
VI – Absence d’évaluation des coûts de CIGEO
La loi de 2006 précitée prévoit dans son article 14 que le gouvernement rende publics « les coûts afférents à la mise en œuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue selon leur nature ». Cette obligation n’est aujourd’hui pas remplie, et l’évaluation n’est toujours pas connue à ce jour.
Ainsi le rapport Baupin-Brottes de la commission d’enquête parlementaire « relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim », en date du 5 juin 2014, pointe la persistance d’écarts importants entre les évaluations respectives des différents acteurs, allant de 14,4 milliards d’euros à 35,9 milliards d’euros, allant donc du simple au double.
Contrairement à ce que prévoit la loi de 2006, la représentation nationale n’a pas été préalablement éclairée, au moment de l’adoption de l’article 201 de la loi pour la « croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », sur le coût prévisionnel qu’engendrait une telle décision.
VII. Violation du principe constitutionnel de participation du public
Le principe de participation suppose, d’une part, l’exercice effectif d’un droit d’accès du public à l’information, d’autre part une association du public à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement.
Le Conseil constitutionnel a d’ores et déjà déclaré inconstitutionnelles plusieurs dispositions législatives du code de l’environnement (cf par ex : Décision n°2012-262 QPC du 13 juillet 2012, Association France Nature Environnement ; Décision n° 2012-269 QPC du 27 juillet 2012, Union Départementale pour la Sauvegarde de la Vie, de la Nature et de l’Environnement et autres)
A titre liminaire, il ne fait nul doute que l’autorisation de création d’une installation nucléaire de stockage de déchets radioactifs et l’ensemble des décisions suivantes, relatives à son fonctionnement, répondent à la qualification de décision publique ayant une incidence sur l’environnement.
- Non-respect de l’obligation de la tenue d’un débat public préalable au vote du Parlement sincère et transparent
L’article L542-10-1 du Code de l’environnement spécifie que la fixation des conditions de réversibilité doit être précédée par un débat public « au sens de l’art L121-1 du Code de l’environnement ».
Ce débat public a été mené par la Commission nationale du débat public (CNDP) du 15 mai au 15 décembre 2013. Comme l’a indiqué la CNDP dans les conclusions de ce débat public, et comme elle l’a indiqué à la commission d’enquête évoquée plus haut sur les coûts du nucléaire, l’absence de chiffrage préalable du projet a rendu impossible un débat public sincère et transparent. Certains des contributeurs ont d’ailleurs réclamé un nouveau débat public une fois ces éléments connus, mettant en doute la qualité d’un débat public dans lequel ces chiffres sont absents.
Lors de l’audition de Christian Leyrit, Président de la Commission nationale du débat public par la Commission d’enquête sur les coûts du nucléaire le 7 mai 2014, ce dernier a déclaré :
« Il est également indispensable d’apporter au public des informations sur les financements et les coûts, en intégrant les coûts relatifs à la réversibilité. Je rappelle que, le 6 février 2013, la CNDP avait considéré que le dossier établi par le maître d’ouvrage était suffisamment complet pour être soumis au débat public, « sous réserve que soient explicitées à l’occasion du débat les questions financières et l’adaptabilité du projet aux évolutions de la politique nucléaire ». La Cour des comptes, dressant le bilan des divers coûts du projet, avait également souhaité que des éléments précis soient fournis à l’occasion du débat public. Sur ce point, force est de constater qu’aucune information supplémentaire n’a été apportée par la suite.
Si nous souhaitons que les citoyens fassent à nouveau confiance aux institutions et à la parole publique, il est indispensable de ne lancer de débat public que si l’opinion n’a pas le sentiment qu’une décision est déjà prise, et que si le maître d’ouvrage apporte tous les éléments d’information permettant de porter un jugement. En l’espèce, l’information sur les coûts, absente, a réellement manqué au public. Certains experts, il est vrai plutôt opposés au projet, ont même demandé qu’un nouveau débat se tienne quand les informations attendues seraient disponibles.
Dans son avis, le panel de citoyens indique : « Ce financement sera fait par “le contribuable et le consommateur”, dixit la Cour des comptes, et les producteurs de déchets EDF, AREVA et CEA, qui ajusteront leurs provisions en fonction de la nouvelle estimation de l’ANDRA. Ces provisions seront réévaluées à hauteur de 5 % (taux d’inflation estimatif), le chiffrage est rendu compliqué du fait de l’échelle de temps (sources : Cour des comptes, ANDRA).
« De plus, l’incertitude demeure du fait de l’inventaire des déchets non évalués à ce jour. Il en résulte une grande difficulté pour chacun des acteurs de présenter un chiffrage global conforme à la réalité.
« Le panel ne peut émettre d’avis faute d’information.
« Toutefois : quel que soit le chiffrage final du coût, il ne faut pas brader la sécurité au nom du profit. L’ANDRA a chiffré les différents risques “scénarisables” dans Cigéo mais n’a pas intégré le coût d’une catastrophe majeure. Ce coût potentiel devrait faire l’objet d’un chiffrage avant tout engagement. »
L’absence de débat public tenu dans les conditions prévues par le code de l’environnement, c’est-à-dire préalablement au vote du Parlement sur les conditions de la réversibilité, n’a pas permis que cette adoption soit conforme à la consultation préalable du public prévue.
- Non-respect de l’article 7 de la Charte de l’Environnement
En outre, l’article 201 est contraire à l’article 7 de la Charte de l’environnement.
L’article 7 de la Charte de l’environnement dispose :
« Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »
En premier lieu, l’article 201 de la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » rend inutile l’organisation d’un nouveau débat public par la commission nationale du débat public.
Il modifie en effet l’article L.541-10-2 du code de l’environnement de manière à ne pas imposer de débat public en cas d’autorisation nouvelle (rendue nécessaire par une modification notable par exemple). Dans le même sens, il permet à l’enquête publique d’être organisée non plus cinq ans comme c’est la règle pour toutes les autres activités industrielles mais dix ans après la tenue du débat public.
Alors même que les conditions de la réversibilité du stockage ne seront connues qu’après organisation d’une phase pilote et pourront conduire à des modifications notables de l’installation, aucune participation du public ne sera organisée. Par ailleurs, ces modifications révèleront a posteriori l’irrégularité du débat public organisé en 2014, lequel n’aura pas été organisé sur le fondement d’une information suffisante sur la réversibilité.
En deuxième lieu, l’article 201 précité soumet la création du centre de stockage à une procédure assez originale.
En effet, la lecture du compte rendu des débats de la réunion du 9 juillet 2015 de la commission spéciale de l’Assemblée nationale révèle que des données importantes comme le coût du stockage des déchets sont encore manquantes.
Ainsi le président Brottes a pu déclarer : « En d’autres termes, nous prévoyons une phase industrielle pilote afin de progresser par étapes et exigeons la possibilité de récupérer les déchets par cycles de dix ans. Nous proposons ainsi une sorte de cahier des charges qui nous permettra d’évaluer le coût de ce stockage. Si, après le travail de l’ASN, cette approche s’avère ne pas être la bonne, la phase pilote nous permettra de trancher. »
Or, une fois terminée la phase industrielle pilote, le centre sera déjà autorisé de telle sorte que le public ne sera pas consulté de nouveau.
Lors de la réunion du 9 juillet 2015, le président Brottes a également pu déclarer :
« Par ailleurs, ils prévoient une phase industrielle pilote qui permettra de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation. Il s’agit donc bien d’une démarche progressive, qui se nourrira des observations de l’ASN. Nous ne prétendons pas avoir trouvé le Graal. Nous définissons un cadre, l’exigence de récupération de colis – qui a des conséquences sur le coût de la phase pilote –, et une phase pilote destinée à en mesurer les effets réels en matière de sûreté et de coût. Il s’agit donc de franchir une étape dans une démarche pragmatique, et non de prendre une décision définitive ».
Il est donc acquis que ce n’est qu’après création du centre et après organisation d’une phase industrielle pilote que les « les effets réels en matière de sûreté et de coût » seront connus.
L’information délivrée au public lors de l’enquête publique préalable à l’autorisation de création du centre sera donc nécessairement lacunaire et fondée sur des hypothèses invérifiables.
Ce qui n’apparaît pas conforme aux exigences de participation du public définies à l’article 7 de la Charte de l’environnement, notamment en termes d’information préalable.
L’article 201 est donc nécessairement contraire à l’article 7 de la Charte de l’environnement
VIII. Absence, dans le texte adopté, d’instance de décision à l’issue de la phase pilote
La rédaction de l’article 201 du projet de loi « pour la Croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » est inopérante.
En effet, le texte de l’article L. 542-10-1 ainsi modifié crée, à l’issue de la « phase industrielle pilote », une « autorisation de mise en service complète de l’installation ». Le texte précise que cette autorisation est précédée d’un avis de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et que cette autorisation doit être conforme à la loi (le Parlement n’étant saisi que « des conditions d’exercice de la réversibilité » mais nullement de la décision finale d’autorisation), mais le texte ne spécifie en aucune façon non seulement les conditions de calendrier de délivrance de cette autorisation, mais surtout l’instance qui est habilitée à la délivrer.
Tel que modifié par l’article 201, l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement régissant Cigéo est donc juridiquement inapplicable, ne garantit pas le respect d’une participation du public compatible avec les exigences de la charte de l’Environnement et ne peut donc être validé.
Aussi, pour toutes ces raisons, eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous estimons que l’article 201 du projet de loi pour la « croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » doit être déclaré contraire à la constitution.
Les signataires :
Les députés
Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée Nationale; Barbara Pompili, co-présidente du groupe écologiste à l’Assemblée Nationale; François de Rugy, co-président du groupe écologiste à l’Assemblée Nationale; Laurence Abeille; Éric Alauzet; Brigitte Allain; Isabelle Attard; Danielle Auroi; Michèle Bonneton; Christophe Cavard; Sergio Coronado; Cécile Duflot; François-Michel Lambert; Noël Mamère; Véronique Massonneau; Paul Molac; Jean-Louis Roumegas; Eva Sas.
Les sénateurs
Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste au Sénat; Leila Aïchi; Aline Archimbaud; Esther Benbassa; Marie-Christine Blandin; Corinne Bouchoux; Ronan Dantec; Jean Desessard; André Gattolin; Joël Labbé.