Quel avenir pour nos paysans, nos paysages et l’économie de nos pays de montagne.

Les déclarations d’intention des prétendants à un mandat d’élu dans les territoires ruraux mentionnent systématiquement qu’ils vont accompagner et soutenir les agriculteurs, travailler à la préservation de l’agriculture et des paysages. L’intention est louable, mais dans les faits, que constate-t-on en regardant l’évolution du nombre d’agriculteurs et celle de nos paysages?

Dans nos pays de Savoie, entre 1980 et 2010, le nombre d’agriculteurs a été divisé par 4. Entre 2000 et 2010, la baisse du nombre d’exploitations s’est accélérée par rapport à la décennie précédente pour atteindre 39 %. Entre 1989 et 2007, ce sont 1207 hectares de terres agricoles qui disparaissaient chaque année, soit 3,3 ha par jour, soit encore une surface correspondant à presque 5 terrains de foot [1]chaque jour. Ces surfaces sont vampirisées par l’urbanisme et la voierie, conquises par les friches et la forêt ou résultent de l’abandon des alpages[2]. Nos élus déplorent le mitage des campagnes en plaine et en moyenne montagne alors qu’ils ont la main sur les plans d’urbanisme. Chacun peut par ailleurs observer l’extension des friches et des broussailles, la fermeture des espaces ouverts ancestraux, prairies de moyenne montagne et alpages.

Les fermes sont englouties sous la pression urbanistique et les paysages qui constituaient hier l’attrait touristique de notre territoire disparaissent également. Alors que tourisme et agriculture, ville et campagne devraient être complémentaires, l’un dévore l’autre. Si l’on continue sur la même trajectoire, que restera-t-il de ce qui faisait l’originalité et la beauté de nos pays de montagne ? Que restera-t-il de la société paysanne de nos pays de Savoie ? Une banlieue continue d’Annecy jusqu’aux cols de nos montagnes, quelques fragments de territoire préservés servant de terrain de jeux et de parcs d’attraction ?

Tristes constats, tristes prémonitions !

Depuis une quinzaine d’années, nous découvrons que notre terre est finie, que nos ressources énergétiques, nos matières premières, sont finies, que l’eau deviendra de plus en plus rare, et que l’atmosphère ne peut supporter indéfiniment nos rejets pollués. Nous découvrons maintenant que nos paysages sont finis. Si les mêmes politiques se poursuivent, nous découvrirons dans 10 ou 20 ans sur le territoire de notre canton et les territoires adjacents que, plus loin que ces anciennes terres agricoles mitées ou saccagées, plus loin que ces prairies de moyenne montagne envahies de résidences secondaires vides la majeure partie de l’année, plus loin que ces alpages colonisés par des remontées mécaniques …Plus loin… Il n’y a rien.

Alors que faire pour que ce scénario déjà bien entamé ne se concrétise pas ?

Notons préalablement que la situation décrite ci-avant est bien connue des institutions de notre département. Il suffit de se rendre sur le site du Conseil Général de Haute-Savoie pour retrouver tous ces éléments mais sans que ces constats ne débouchent pour autant sur aucune mesure concrète ni proposition. On cherche même en vain une phrase déplorant ces constats et leurs conséquences.

 

[1] Dimensions FIFA : 105x68m2

[2] Chiffres et indications sur le site du Conseil Général 74, Observatoire 2007, activité économique.

 

 

Voici quelques unes de nos propositions :

  • Il faut reconnaître aux paysans leur rôle traditionnel d’entretien des espaces, valoriser et rémunérer ce rôle. Comment le rémunérer ? En dirigeant les aides publiques et notamment celles de la Communauté européenne non pas vers les exploitants industriels des plaines céréalières pratiquant une agriculture chimique dangereuse pour les hommes et la nature, mais vers ces petits exploitants de montagne ou de plaine qui entretiennent le patrimoine naturel que nous ont légué les générations précédentes.
  • Les paysans veulent vivre dignement et plutôt que des aides, ils demandent qu’une juste rémunération leur soit accordée pour les produits qu’ils proposent aux consommateurs. Des circuits courts de distribution permettant aux paysans d’éviter les fourches caudines de la grande distribution doivent être favorisés.
  • Des dispositifs de conseil technique et des aides à la création de petites unités de transformation des matières premières agricoles permettant aux paysans de vendre des produits transformés mieux valorisés doivent être mis en place. Les sous-produits de l’élevage (petit lait..) doivent être valorisés et permettre un recyclage des produits plutôt qu’alimenter la pollution des sources et des cours d’eau.
  • Des coopératives de producteurs gérant elles-mêmes la collecte et la distribution de leurs produits à l’image de la SCIC la Bio d’ici sur les pays de Savoie devront être encouragées financièrement.
  • Le futur Conseil Départemental devra travailler en concertation avec la Région Rhône-Alpes qui apporte des aides économiques via les Contrats de Développement Durables (CDDRA)
  • Les terrains agricoles se prêtant à l’activité de maraîchage (terrains de plaine notamment) doivent être sanctuarisés. Cette activité de maraîchage est notoirement insuffisante (1 % de la surface agricole utile du département en 2010 -source Agreste). Cette sanctuarisation doit se faire en incitant les communes à classer ces terres en zones agricoles et à acheter les terres pour installer des jeunes paysans. Le maraîchage nécessitant de faibles surfaces mais des ratios de main d’œuvre importants est générateur d’emplois.
  • Nos élus devront appeler et inciter à une solidarité entre les agriculteurs permettant la restauration d’activités telle que la production de miel mise à mal par les produits nocifs sur les cultures ou utilisés dans les élevages.
  • De manière générale, la politique foncière et l’urbanisme doivent être corrigés de telle sorte qu’ils intègrent prioritairement la préservation des terrains agricoles. Nous devrions largement nous inspirer des politiques menées par la Suisse et l’Autriche et les territoires des Alpes allemandes disposant d’un relief similaire à notre canton et qui ont su préserver leurs paysages, leurs paysans et leurs richesses naturelles.

 

Oui, nous pouvons agir pour que nous-mêmes et nos enfants puissions en 2030 nous émerveiller devant les paysages, les troupeaux, les alpages, randonner dans des paysages qui ne soient pas réduits à des parcs d’attraction.

Cette renaissance d’un monde agricole montagnard débute dans nos assiettes, par une exigence de produits locaux de qualité fournis par nos voisins paysans.

Elle se traduira par une augmentation des emplois dans l’agriculture et la petite industrie de transformation des produits, par la diminution de la consommation d’énergie liée aux circuits courts, une diminution de la pollution et une meilleure santé des populations.

 

Aller plus loin: Les politiques agricoles en France depuis 1950: la fin programmée des paysans.

   
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Jeannie Tremblay est conseillère régionale EELV, vice-présidente du parc naturel régional du Massif des Bauges, conseillère communautaire – Communauté de communes des pays de Faverges, ainsi que conseillère municipale à Faverges. Elle enseigne à l'école primaire de Doussard.

Michel Vignoud est ingénieur, dirigeant fondateur d’Alpes Contrôles, entreprise de 330 salariés, fonctionnant en démocratie participative. Il est ancien président d’Initiative Grand Annecy pour l’aide à la création et à la reprise d’entreprises. Il a co-écrit et édité deux livres sur l’agriculture biologique dans les pays de Savoie. Il est constructeur en Haute-Savoie de deux immeubles de bureaux à énergie positive (produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment).

Nadège Bufflier est étudiante à l'IUT Mesures physiques à Annecy-le-Vieux. Elle est membre de l'association Eco campus.

Jean-Philippe Guguen est responsable commercial immobilier et titulaire d'un Master 2 en développement durable. Il est passionné d’écologie et de permaculture.

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