Loi Travail, motions de censure et 49-3
Intervention en séance jeudi 12 mai
Monsieur le premier Ministre, vous avez engagé la responsabilité du gouvernement avec le déclenchement du 49.3 sur la loi dite « Travail » avant hier.
Il n’y aura pas de débat parlementaire, et ce n’est pas une bonne nouvelle.
Après des semaines de travail sur ce projet de loi, après de très nombreuses auditions en amont et dans le cadre de la commission des affaires sociales saisie sur le fond, après des heures de discussions entre les collègues députés les plus impliqués dans l’examen du texte, et alors que celui-ci avait déjà beaucoup évolué, nous nous préparions à poursuivre ce travail dans l’hémicycle.
Car en effet, ce projet de loi, qui traite entre autre de dialogue social et de négociation collective, a levé de fortes inquiétudes qui demandaient des modifications ou des précisions sur certaines de ses parties… Nous sommes désormais privés de cette possibilité.
Nous sommes victimes, et c’est regrettable, d’injonctions contradictoires : pour la droite ce texte est trop protecteur pour les salariés, pour la gauche radicale, il serait trop favorable aux «patrons».
Pour ma part j’étais dans une démarche volontaire, constructive, la plus mesurée et équilibrée possible afin que ce texte apporte de nouveaux droits et de nouvelles protections aux uns et aux autres.
Car si, avec le salariat, il y a bien une relation de subordination entre employés et employeurs, il y en a également une, et non des moindres, pour les petites et moyennes entreprises, et donc pour leurs dirigeants, face aux entreprises donneurs d’ordre et à la finance mondiale.
Nous avons participé à la redéfinition du licenciement économique.
Nous voulions mieux encadrer la méthode et les règles d’élaboration ou de conclusion des accords d’entreprises pour impulser et sécuriser une nouvelle culture du dialogue social en France. Pour des négociations loyales et équilibrées.
Nous voulions réaffirmer le rôle des branches professionnelles pour contrer le dumping social ou la concurrence déloyale dans un même secteur d’activité.
Nous nous félicitons de la création du compte personnel d‘activité et des règles de son ouverture aux fonctionnaires, aux demandeurs d’emploi, aux professions libérales, aux agents des chambres consulaires et aux retraités. L’augmentation des heures prévues pour la formation des salariés en reconversion ou des personnes en recherche d’emploi est un enjeu majeur pour lutter contre le chômage et pour favoriser la transition énergétique et écologique.
A l’heure du numérique et des mutations économiques qui lui sont liées, il faut de nouvelles protections pour les salariés, tel que le droit à la déconnexion et l’encadrement du télétravail.
Pour revenir sur l’essence du texte, oui les écologistes sont favorables au dialogue social, à la démocratie sociale, et à la négociation au plus près des spécificités de la production et de l’organisation du travail, au plus près des acteurs concernés. Les écologistes souhaitent favoriser et renforcer la possible participation des salariés dans les entreprises. C’est pour cela qu’ils sont porteurs du modèle de l’économie sociale, ou un homme, une femme, égal une voix.
Force est de constater que certains de nos collègues députés ne voulaient pas ouvrir ce débat-là et ont préféré se réfugier dans une opposition de principe. Des centaines d’amendements de suppression des articles ont été déposés, bloquant la discussion de fond sur des points essentiels de la loi.
De son côté, le gouvernement a commis des erreurs dès la rédaction du texte en omettant la discussion et la négociation avec les partenaires sociaux, en laissant fuiter un texte portant à confusion, en le retirant, pour le remettre ensuite en débat une fois modifié.
Mais le coup était parti et la vague de protestation populaire, aux motifs parfois sans rapport avec le texte lui-même, a pu influencer une partie de la représentation nationale, qui y a vu là une opportunité de déstabiliser le gouvernement, à un an de l’élection présidentielle.
Si le rapporteur du texte, Christophe Sirugue, s’est fortement impliqué pour trouver un nouvel équilibre, c’était trop tard, l’opinion « de tous contre tous » avait pesé sur les députés à un an des élections législatives.
Quant à la dictature des sondages, ils se contredisent tellement que la pression qu’ils exercent n’est pas rationnelle.
70% des français seraient contre cette loi, alors même que 66% d’entre eux se disent favorables à la proposition de Juppé de négocier le temps de travail entre 35h et 39h au niveau de l’entreprise.
Les échanges dans l’hémicycle en ce début de semaine sont très vite devenus caricaturaux, un vrai cirque pour lequel les responsabilités sont partagées.
Pourtant dehors, à Nuit debout, au-delà de la loi « Travail », d’autres chantiers s’ouvraient déjà, avec la création de commissions « démocratie » ou «écologie». Les débats fondamentaux étaient ailleurs, et il y a dans ce mouvement là l’opportunité de réfléchir aux dysfonctionnements de notre république.
Car en effet, notre démocratie est malade, nos institutions sont essoufflées. Et le chantier que nous devrions ouvrir en priorité, c’est celui de l’évolution nécessaire de ces institutions, c’est le chantier de la VIème République.
Trop de français sont désormais dans «l’élu bashing», sans pour autant apporter de solutions démocratiques satisfaisantes. L’invective remplace le débat, les menaces remplacent les échanges d’arguments. Les réseaux sociaux amplifient la haine et la violence, certains usant de leur clavier comme d’un défouloir à un ensemble de frustrations qui se mêlent et se confondent.
Nous en arrivons à une situation de blocage.
Ces phénomènes peuvent inquiéter au moment où l’extrême droite choisi une stratégie de communication absurde et récupératrice, soi-disant fondée sur «l’apaisement », alors même que leur fond de commerce consiste à alimenter et à manipuler les colères. Mais que se passe-t-il en Pologne, en Autriche et ailleurs ? Voyons-nous bien ou l’expression de nos espoirs déçus va nous conduire ?
Oui il faut renouveler la démocratie, sociale, institutionnelle, économique. Il faut renforcer le parlementarisme, contraindre la finance mondiale, inventer des outils de démocratie directe, poursuivre la décentralisation, intégrer la participation citoyenne dans les politiques publiques, soutenir le développement de l’économie sociale et solidaire. Mais attention !
Si vouloir plus de démocratie, c’est aussi vouloir une représentation à la proportionnelle intégrale, celle-ci demande une vraie culture de compromis, une culture de la négociation, une capacité et des outils pour négocier, sinon elle amènera le chaos. Or ces débats sont ceux qui ont été ouverts avec la loi « Travail » ….
Et si nous ne les menons pas à leur terme, la faute en est très collectivement partagée, entre les tenants de l’avant-garde éclairée, les jacobins, les ultra-libéraux, et un exécutif national qui semble déstabilisé et qui se déchire.
Nous voilà donc rendu au point de la caricature. Il faut dire que, pour une fois, au-delà du traditionnel petit jeu de l’obstruction par amendements d’opposition, dont le dépôt précipité le dernier jour a même fait capoter le système informatique, au-delà donc d’un jeu d’opposition qui cherche la confrontation plutôt que l’échange, une partie de la majorité elle-même a fini par trouver pratique de ne pas avoir à se prononcer sur un texte pour lequel elle subit une pression médiatique, physique, morale.
Combien avons-nous reçu de mails depuis le début de la semaine ? Plusieurs centaines ! Si parmi eux certains sont remplis d’insultes et de menaces, plus nombreux encore sont ceux qui sont remplis d’inexactitudes ou de fausses informations.
Voilà le point d’absurdité de nos institutions où nous sommes arrivés ! L’assemblée travaille, fait évoluer le texte, elle cherche un compromis cohérent, écarte les dispositions intenables, celles-là même qui ont déclenché les premières oppositions.
Et à l’extérieur, une opposition se mobilise non plus contre le texte, mais contre ce qu’elle perçoit d’un système à bout de souffle. Contre des institutions usées, qui lentement mais sûrement nous amènent à l’impasse, bien loin du dialogue et du compromis démocratique.
Pourtant, pas un jour ne passe sans que de nouvelles solutions existent pour vivre mieux, pour construire une société hors de la violence économique ou politique. Voyez le succès d’un film comme Demain ! Ce documentaire à petit budget, qui, 5 mois après sa sortie, a réuni plus d’un million de spectateurs, et tourne encore dans 300 salles.
Oui, notre rôle de parlementaires c’est d’écouter, de chercher le compromis, de modifier et de faire évoluer les textes. Ce n’est pas juste de dénoncer ce qui nous paraît déséquilibré, c’est aussi de proposer et de convaincre !
Notre rôle n’est pas non plus de faire tomber un gouvernement sans autre alternative que la surenchère libérale dans laquelle la droite s’est lancée dans sa primaire, ou que l’extrême droite qui se frotte les mains devant ce spectacle.
Est-ce que pour autant cela vaut un blanc-seing ? Est-ce que pour autant cela vaut acceptation de tout ? Non, certainement pas.
J’assume que, depuis 2012, certains choix du gouvernement ne pouvaient être soutenus, j’ai parfois voté contre. Mais j’assume aussi que cette majorité avec laquelle il m’arrive d’être en désaccord propose des textes utiles, en accord avec mes valeurs : la loi sur l’économie sociale et solidaire, la loi santé, la loi sur la formation professionnelle, sur la biodiversité, sur la transition énergétique, le mariage pour tous et d’autres encore.
J’assume surtout ne pas avoir été mandaté en 2012 pour faire élire la droite ou l’extrême-droite, ni même l’extrême gauche !
C’est tellement plus facile d’en appeler à la révolution plutôt que de s’atteler à créer des solutions dans le dialogue. C’est tellement plus difficile d’inventer une nouvelle voie, plutôt que de se replier sur des idéologies qui ont fait maintes fois la preuve de leur faillite. Le capitalisme n’a jamais été autre chose que la domination des égoïsmes. Le nationalisme n’a jamais été autre chose que le refus de l’intelligence et l’exacerbation de la peur.
Et personne ne m’enfermera dans ces choix du passé. Je continuerai à chercher inlassablement les conditions d’une autre voie, celle de l’écologie politique, sans violence, sans terreur, pour réformer et avancer chaque fois que c’est possible vers une autre société, démocratique, écologiquement responsable, ouverte.
C’est pourquoi nous ne voterons pas cette motion de censure. Elle est une impasse. Le seul mérite de cette séquence aura été de nous rappeler que le véritable chantier est ailleurs, dans la réforme d’institutions déséquilibrées, usées, dépassées. Voilà où il faut mettre notre énergie en priorité pour les années à venir.