Qu’entend-on par là?
Il s’agit d’une somme, identique pour tous, versée à chaque individu quel que soit son âge , sa profession, son salaire ou ses « revenus ». Il est versé du fait que l’on est reconnu citoyen, non pour vivre mais parce que l’on est vivant .
Il remplace toute autre allocation, il est inaliènable.
Son montant reste variable selon les hypothèses prises en compte, et peut aller de la satisfaction totale des besoins dits élémentaires à une somme d’environ 350€. Mais le montant pose beaucoup moins de problèmes que le concept lui-même.
Le financement et la mise en oeuvre sont des problèmes techniques, d’experts. Beaucoup d’économistes ont déjà réfléchi à ces questions et ont apporté des réponses de faisabilité.
Sur quoi le fonder?
Tout d’abord, être citoyen d’un état suppose que l’on partage l’histoire économique, technologique, culturelle de cet état, simplement du fait de notre naissance. Cette masse de savoirs peut être considérée comme une rente, au même titre que les richesses du sous sol. En être privé peut être considéré comme une exclusion.
Ensuite, comment ne pas voir que nous nous acheminons progressivement vers la fin du travail, du moins dans sa conception actuelle. Jeremy Rifkin avait déjà écrit un best-seller à ce sujet en 1997! Quand des robots sont capables de réaliser des interventions chirurgicales, comment imaginer que nous allons longtemps encore avoir besoin d’êtres humains pour fabriquer des vêtements, assembler des voitures ou enregistrer des paperasseries. Nous touchons donc au terme du plein emploi pour tous tel que nous le concevons; il ne reste alors que 2 solutions: la semaine de 4 jours, voire de 3 et le revenu d’existence.(certains pourraient envisager une 3ème hypothèse: la suppression des inactifs!)
Les objections principales.
A-Mais enfin, il faut bien travailler!
Remarquons d’emblée que le mot “travail” est toujours corrélé à une notion de pénibilité, de douleur. Il dérive du nom d’un instrument de torture, se retrouve dans les douleurs de l’accouchement, on travaille du chapeau, on travaille la terre, on travaille quelqu’un au corps ; il n’y a rien de motivant là dedans, comparé à activité, œuvre et même emploi.
Cette part de douleur, de pénibilité liée à notre condition est confirmée par les écrits: « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front” et” Tu enfanteras dans la douleur ». Nous devons bien admettre que l’un des buts de la civilisation est de contester cet état. Toute notre histoire est jalonnée de tentatives souvent réussies d’alléger cette condition, voire de la supprimer.
Tout un chacun trouve normal et souhaitable de pouvoir accomplir le même travail avec moins d’efforts : personne ne remet en question la roue, la poulie, le moteur à explosion.
Les progrès de la technologie nous amènent à constater le remplacement progressif des travailleurs non spécialisés par des machines; et il est évident que le meilleur reste à venir.
Nous pouvons donc envisager à court terme une société dans laquelle les tâches répétitives, automatiques seront totalement gérées par des automates.
Peut-on regretter le temps des poinçonneurs du métro (fut ce celui des Lilas), des standardistes des PTT (même jouées par Simone Signoret) ou des ouvriers rivés à leur machine façon Les Temps Modernes.
Quelles peurs, quelles croyances se cachent derrière nos difficultés à envisager la suppression des caissières de supermarchés, des conducteurs de métro, des guichetiers de banque et autres fonctions aisément remplaçables par une machine?
D’aucuns parleront de convivialité ou de lien social; ils sont bien faibles dans le “Bonjour, Merci, Au revoir” obligé et tiennent bien peu compte de ce qui fait la spécificité humaine, à savoir la capacité à imaginer, à créer, à innover.
Je penserais volontiers que cette croyance du “Il faut bien travailler”, veut surtout dire “Il faut bien travailler, si l’on veut avoir un revenu”.
B- Pas de revenu sans travail.
Il faut, en effet, chercher du côté de l’équivalence implicite posée entre travail et revenu: pas de revenu sans travail.
Les partis de gauche défendent la notion de” droit au travail”, certains veulent le faire figurer dans les droits de l’homme et se sont insurgés lors des débats sur le texte de constitution européenne contre son remplacement par “le droit de travailler”.
La revendication du droit au travail ne serait-elle pas plutôt une revendication de garantie de salaire et donc de survie. Sinon que prétend-on? Que ce que nous appelons travail aide l’homme à s’épanouir, à exprimer sa personnalité, son essence? Que passer sa vie à la gagner est source de bien être, de plénitude, d’humanisation?
Osons regarder la réalité et voir autour de nous combien peu d’êtres humains approchant l’âge de la retraite souhaitent ralentir le temps ou en reprendre pour 10 ans! La très grande majorité aspire à s’arrêter, à profiter d’une retraite “bien gagnée”, pour, enfin, “faire ce qu’il me plait”.
Car, ce que nous appelons travail correspond trop rarement à ce qui nous plait.
Le travail, pour ceux qui semblent intoxiqués, ne sert bien souvent qu’à combler un vide existentiel, car, au moins là, on ne pense pas, on bosse, on se revalorise et on se réchauffe au contact des copains. C’est rassurant pour tous, les salariés, les patrons et les dirigeants politiques.
Pour les autres, c’est un moyen de gagner sa vie, un boulot à faire, bon gré, mal gré.
La revendication du droit au travail en lieu et place du droit à un revenu vient du fait que depuis les origines de l’humanité jusqu’à la fin du siècle dernier environ, il n’y avait pas d’autre solution envisageable. La production de richesses nécessitait l’investissement de chacun, et toute nouvelle richesse crée trouvait facilement preneur. Nous étions dans une société de pénurie. C’est parce que je participais à la création de cette richesse nationale qu’il était juste que j’en perçoive une partie. Mon effort augmentait la richesse globale.
C’est ce qui explique le mythe de la croissance en tant que solution aux malheurs du monde. Et il faut bien admettre que la croissance a entrainé une amélioration évidente des conditions de vie dans nos sociétés occidentales avant de nous entrainer dans la phase actuelle où elle devient plus un problème qu’une solution.
Le passage dans une société d’abondance nous oblige à modifier notre point de vue.
La production suffisante des biens nécessaires ne dépend plus de l’activité permanente de tous, mais simplement de l’activité de quelques uns.
Puisque ces quelques uns suffisent à produire ce dont tous ont besoin, nous devons bien admettre que certains n’ont plus besoin de participer à cette production là: il faut séparer travail et revenu.
C- Pas de travail= exclusion
Exercer un métier est, à l’évidence, une façon d’être intégré dans la société. Le “fait -néant” est méprisé parce qu’il ne participe pas à l’effort collectif dont nous parlions précédemment. Il doit donc être exclu en tant que parasite.
De même, le chômage est parfois le début d’une descente progressive vers l’exclusion. Mais là encore, est-ce le chômage qui exclue ou plutôt l’oisiveté, l’isolement, l’absence de reconnaissance et de valorisation?
Le travail n’est pas, en lui même, source d’intégration. Il permet simplement d’établir des relations, de se valoriser, d’être reconnu, d’exister. C’est une façon simple, obligée, d’avoir des liens, de rencontrer les autres, de se frotter à eux.
Mais tout cela peut se faire sans l’intermédiaire du travail. Le milieu associatif fourmille de rencontres et de liens avec l’autre. Le travail reste, pour l’instant, la solution de facilité.
D- Il n’est pas moral de payer quelqu’un à ne rien faire.
Pas de travail, pas de salaire.
Pourquoi payer quelqu’un à ne rien faire alors que les autres travaillent?
Le paradoxe pourrait être : « justement, pour qu’il puisse chercher ce qu’il a envie de faire », sans être contraint d’exercer n’importe quel boulot. Nous n’avons plus besoin de lui pour remplir nos magasins de produits jetables, dont l’obsolescence est volontairement programmée.
Par contre, nous avons besoin de lui pour écouler la production de produits de base, pour permettre l’existence d’une économie durable préservant l’homme et la nature.
DE plus, cette idée peut paraitre immorale, que dire de la réalité qui fait que certains meurent de faim (environ 20000 par jour) dans un monde manifestement gorgé d’argent et de produits?
E-Sans travail, c’est la porte ouverte à n’importe quoi.
“L’oisiveté est la mère de tous les vices.”
Voir à ce sujet le florilège des objections faites contre le projet des congés payés en 36.
A ce moment là aussi, il était trés difficile d’imaginer ce que le développement des vacances allait entrainer comme richesses nouvelles et potentialités de réalisation personnelle.
Nous devons nous remettre dans ce même état d’esprit et oser envisager la multitude d’activités que pourrait générer cette initiative.
Et comment ne pas se poser la question: “Un être humain peut-il rester sans rien faire et si oui, combien de temps ?” Il n’y a pas de réponse définie et sûre, cela dépend probablement de notre foi en l’être humain.
Il faut peut être ici admettre que la dialectique ne suffira pas à nous déterminer et qu’il s’agit en fait d’un pari à priori sur les capacités de l’être humain. Les spécialistes du cerveau sont unanimes à dire que nous utilisons une partie très réduite de celui-ci dans notre quotidien. Le cercle vicieux commence là: ne connaissant pas ce dont nous sommes capables, nous nous contentons de faire avec ce dont nous avons l’habitude, ce qui nous satisfait pour l’instant, ce qui nous comble. Et le consumérisme ambiant actuel favorise cet état de choses qui lui profite bien en nous cantonnant au” du pain et des jeux”.
Nous devons donc faire un effort pour sortir du schéma actuel , notre paradigme, pour imaginer ce que pourrait être une société d’humains éduqués dans une société de coopération plutôt que de compétition, de créativité plutôt que de productivité, d’imaginaire plutôt que d’efficacité. Certains en sont déjà à travailler sur une intelligence collective qui pourrait être bien différente de tout ce que nous connaissons.