Une agriculture bretonne à terre !
Nous constatons chaque jour l’agonie de la terre bretonne sous les effets de l’agriculture intensive, des mauvais traitements infligés à ses sols et à ses cours d’eau. Ces dix dernières années, le monde agricole et l’industrie agro-alimentaire de l’Ouest ont perdu près de 30% de leurs emplois. Cet immense plan social, qui n’a jamais dit son nom, a vidé les campagnes aussi sûrement qu’il a accentué le chômage, la précarité des emplois, parfois la misère, toujours le sentiment d’abandon et de désillusion démocratique. La faute à une logique économique infernale qui a transformé certaines fermes « usines » en entreprises d’import/export, qui pousse à produire plus tout en vendant chaque fois moins cher, qui transforme le paysan en manœuvre de ses fournisseurs/clients auquel il est lié par des contrats léonins. La malbouffe commence aussi dans nos fermes ! Paradoxe dans un pays où la demande des consommateurs pour une agriculture de proximité produisant des produits sains ne fait que croître ! Paradoxe dans un pays où le succès du modèle agricole fondé sur la durabilité ne cesse de s’amplifier.
Un système à bout de souffle qui récupère les bonnets rouges
Cette demande toujours croissante d’une alimentation de qualité et respectueuse de l’environnement est ignorée par une minorité d’agro-industriels puissants, car considérée comme contraire à leurs intérêts financiers. Est également sacrifié l’enjeu des salaires et des emplois : le système agro-industriel breton repose sur des emplois peu qualifiés, qui bénéficient d’exonérations de charges sur les bas salaires. Ce système interdit toute évolution professionnelle, entretient une précarité sociale et ne favorise ni l’avenir de cette filière essentielle ni le développement socio-économique de la Bretagne. Hélas, certains cadres aux salaires exorbitants pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois, ont donc intérêt à poursuivre cette fuite en avant.
Ce modèle économique à bout de souffle a été voulu par les gouvernements successifs depuis 30 ans, soutenu par la majorité des élus bretons, construit par et pour les géants de l’agro-alimentaire breton , Glon, Doux, Gad, Cooperl, Tilly et quelques autres. Ceux-là même qui, avec le soutien du MEDEF et de la FNSEA, ont su utiliser le débat sur la taxe poids lourds et le bonnet rouge des combats populaires bretons, pour cacher leur responsabilité écrasante dans la crise actuelle et attiser les braises d’un feu qu’ils avaient eux-mêmes allumé au fil des ans et de leurs profits.
Loin d’être spontanées, les mobilisations contre les portiques routiers ont été orchestrées à grand renfort de communication, de pressions, avec le support d’organisations très structurées qui se gardent bien d’apparaître en première ligne. Ces manœuvres d’instrumentalisation de la colère légitime des salariés, d’intimidations spectaculaires et violentes, ont suffi à faire plier un gouvernement déjà très à l’écoute du lobby agro-alimentaire. Jouant la carte du dumping social et environnemental, participant d’une mondialisation sans éthique, ils se sont même permis de revendiquer une identité bretonne alors qu’ils orchestrent à l’échelle mondiale la destruction massive de toute identité agricole et alimentaire ! Nous sommes régionalistes, et nous défendons un véritable modèle de développement durable valorisant l’autonomie et la diversité agricole, énergétique, sociale et culturelle. Nous dénonçons ce régionalisme démagogique et populiste qui se construit contre les autres, uniquement par contestation et dérogation des règles communes, nationales ou européennes, pour finalement mieux pérenniser le système et l’oligarchie en place.
Détournement de Fonds !
Face aux lobbys agro-alimentaires, le gouvernement se refuse à engager la transition du système agricole mortifère et détourne une partie des fonds européens pour au contraire le renforcer. Ainsi, en récupérant une partie du Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER), outil de développement des territoires et de protection de l’environnement au profit des grands élevages et des productions industrielles, il encourage l’extension des élevages et productions industrielles. D’ailleurs, au même moment, il supprime les autorisations pour l’extension des élevages porcins Maintenant, les fermes-usines porcines, laitières et avicoles… pourront continuer de s’agrandir sans procéder à la moindre étude. Un pur scandale ! On peut s’interroger sur le pourquoi de ce nouveau décret, quand on sait l’impact désastreux sur la qualité des eaux et la santé des citoyens bretons. Le choix des libéraux se limiterait-il à octroyer des aides, parfois sans légitimité, afin d’organiser la compétition internationale au profit d’une minorité d’entre eux, quels qu’en soient les effets induits ? Ce système low-cost repose sur trois piliers insupportables, et ne fait que les cultiver : aides publiques, dumping social et dumping environnemental.
Pacte d’avenir : retour vers le passé
Ce n’est pas le « Pacte d’avenir », qui va réformer ce système. Présenté à grand renfort médiatique à Rennes mi-décembre, doté de 2 milliards d’euros, ce pacte n’est qu’un agrégat de dispositifs existants avec pour conséquence principale de rediriger près d’un milliard d’euros issu des Fonds européens, des contrats de plan État-Région ou encore des collectivités locales pour financer le système actuel et accélérer la concentration et le gigantisme des exploitations. Il laisse les petits paysans et les jeunes sur le carreau ! Ces mesures n’arrêteront pas la crise du modèle agricole breton ! Car, à Bruxelles, les très influents lobbys agro-alimentaires mènent la bataille contre une PAC plus juste, plus écologique et plus redistributive pour les petites exploitations.
En faisant échouer le plafonnement à 100 000 euros des aides agricoles aux plus grosses exploitations, les députés conservateurs et socialistes leur ont offert un cadeau de plusieurs centaines de milliers d’aide d’euros par an, alors que les petites fermes continueront à recevoir des miettes. Au moment où nous traversons une crise économique et sociale sans précédent, cette décision est amorale.
Un cocktail explosif
Pire encore, se négocie dans la plus grande opacité un projet d’accord de libre-échange avec les États-Unis, qui aura de graves impacts sur une agriculture européenne déjà aux mains des puissants lobbys agro-alimentaires. La mise en compétition des exploitations d’Europe et d’Amérique du Nord aura pour conséquence de renforcer la concentration des exploitations, faisant disparaitre des pans entiers de l’agriculture européenne, notamment l’agriculture de proximité et paysanne. Bœuf aux hormones, viande de volailles chlorées, OGM, maltraitance des animaux, voilà ce que nous réserve l’accord s’il est signé. A la libéralisation des échanges agricoles, s’ajoute la future suppression dès 2015 des quotas laitiers, dont les régions du Grand Ouest sont très dépendantes. La crise qui s’annonce pour la filière laitière n’arrangera pas les affaires de l’agriculture bretonne. Tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail explosif, qui pourrait laisser exsangue l’agriculture européenne, sauf pour les plus grandes exploitations !
Pour une PAC qui prenne enfin en compte l’intérêt général
Cette situation est inacceptable. C’est pourquoi, depuis de nombreux mois, nous, représentants politiques, syndicalistes agricoles et salariés, associations environnementales et acteurs économiques, nous proposons des solutions pour transformer le système agricole actuel en un système enfin tourné vers l’intérêt général ! Le modèle agricole que nous voulons doit garantir la souveraineté alimentaire de l’Europe et des autres régions du monde avec des produits de qualité, protéger les travailleurs de la terre et assurer le renouvellement des ressources naturelles dont nous dépendons pour vivre.
Face au carcan de la co-gestion FNSEA/Gouvernement, nous voulons faire de la Politique Agricole Commune une véritable Politique Alimentaire Européenne. Cela passera nécessairement par une révision de la PAC à mi-parcours soit dès 2017, tant il est évident que la PAC qui vient d’être mise sur les rails ne pourra aller à son terme : amplification des crises agricoles, impact des accords de libre-échange, réchauffement climatique…autant de causes qui rendront presque obsolète la PAC telle qu’actuellement conçue. Plus de souplesse dans le système nous permettrait de l’adapter en fonction des changements de situations. La future révision de la PAC sera aussi l’occasion de remettre à plat les aides « toxiques » de la PAC qui prétendent soutenir des filières mais construisent un modèle de prédation que nous refusons.
L’appel que nous lançons s’inscrit dans un calendrier précis. La mobilisation va se dérouler pendant toute la campagne des élections européennes et nous souhaitons mettre en place une initiative citoyenne européenne (http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/how-it-works) qui sera soutenue et défendue au Parlement européen par le Groupe des Verts/ALE. Pour la première fois depuis la création de l’Union européenne, nous proposons un nouveau contrat entre agriculture et société, sur la base d’une mobilisation citoyenne puisque chaque citoyen-contribuable contribue à hauteur de 100€/an à soutenir une agriculture qui ne correspond pas à ses attentes ni ses besoins. Un montant qui peut être doublé, avec le concours d’aides nationales.
Voilà pourquoi nous proposons que, dès 2017, 50% de cette masse financière soient destinés:
- à soutenir la demande intérieure, via la restauration collective à partir de produits de qualité, et donc, par effet induit, créer des emplois non délocalisables sur toute la filière ;
- à soutenir l’installation en agriculture biologique et durable afin de satisfaire la demande intérieure ;
- à soutenir l’encouragement à l’autonomie protéique, afin de mettre fin au pillage des pays en voie de développement ;
- à soutenir les outils de transformation de produits alimentaires de dimensions humaines afin d’assurer traçabilité, sécurité et sûreté alimentaires ;
- à soutenir le maintien d’agriculture sur tous les territoires européens et non principalement dans les bassins les plus fertiles.
Aller dès maintenant vers la transition du modèle avec la loi d’orientation agricole et la correction du Pacte d’avenir
Avant de relever le défi de la réforme de la PAC, nous pouvons agir, dès maintenant :
- pour soutenir l’évolution de l’agriculture bretonne vers la durabilité
- pour convertir l’industrie agro-alimentaire vers la qualité et les productions à haute valeur ajoutée.
Nous devons également agir pour faire évoluer la loi d’orientation agricole, ici dans le Grand Ouest auprès des élus et des associations, ou alors au Sénat et à l’Assemblée, en appui à nos groupes parlementaires. Car si la loi d’avenir comporte d’ores et déjà un certain nombre de points positifs (création du contrat alimentaire territorial, promotion de la conversion à l’agriculture biologique, reconnaissance du rôle des territoires dans la politique agricole), de nombreuses questions clés restent en suspens : claire définition des enjeux et processus énergétiques, méthanisation et agrocarburants. De plus, pour les régions du Grand Ouest et la Bretagne en particulier, un vrai travail de fond sur l’azote doit encore être fait pour solder le contentieux des marées vertes, de même qu’il est urgent de s’attaquer à la question de l’usage des pesticides et à leurs alternatives.
Pour construire un modèle agricole créateur d’emplois, il est nécessaire de remettre à plat les politiques agricoles, tant européennes, nationales que locales. Finissons-en avec ces aides, qui sous prétexte d’aider les filières, les enfoncent un peu plus dans les crises. Finissons-en avec ces aides toxiques qui servent le plus souvent à faire de la spéculation foncière, des placements boursiers ou encore des achats injustifiés de matériel et équipement divers fabriqués ailleurs.
Nous demandons qu’à l’image de ce qui est prévu par le Pacte de responsabilité, un Observatoire des contreparties regroupant toutes les parties prenantes de l’agriculture et l’agro-alimentaire, garantisse que tout soutien public au secteur, qu’il s’agisse du Pacte d’avenir ou de la future loi agricole, contribue à la transformation des filières sur la base de quatre principes : social, environnement, proximité, qualité.
Les paysans, les salariés et le monde rural, demandent une construction collective des décisions à venir. Il ne s’agit pas du tout, en temps de disette financière, de demander des moyens supplémentaires mais de veiller par cet appel à ce que se réunissent autour d’une même table les représentants des citoyens, les syndicats de salariés et agricoles, les associations environnementales et de consommateurs et les acteurs économiques afin d’agir ensemble pour une agriculture qui place l’humain et l’environnement au cœur d’une politique alimentaire européenne.
Nous, élus, syndicalistes agricoles et salariés, associations environnementales, acteurs économiques, nous nous battrons pour que cette demande de la société et de nos concitoyens du Grand Ouest ne soit pas sacrifiée sur l’autel des intérêts des lobbys de l’agro-alimentaire. En 2014, nous serons sur tous les fronts pour défendre une agriculture paysanne, de qualité et de proximité.