Intervention de Sergio Coronado sur l’Identité de genre
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre des droits des femmes, mes chers collègues, le texte de loi dont nous débattons aujourd’hui est à la fois urgent et important.
Urgent, car le 4 mai dernier, le Conseil constitutionnel, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, a abrogé le délit de harcèlement sexuel. Cette abrogation, entrée immédiatement en vigueur, a créé de fait un vide juridique.
Le Gouvernement a opté pour la procédure accélérée. Il s’agit, vous l’avez rappelé madame la garde des sceaux, de mettre fin à une impunité conjoncturelle, qui laisse sans réponse pénale appropriée les faits de harcèlement sexuel.
Il s’agit aussi de porter une attention particulière aux victimes, dans la mesure où, depuis le 4 mai dernier, les faits nouveaux de harcèlement sexuel ne peuvent plus être poursuivis que par la voie civile. Les victimes ne peuvent pas attendre !
Enfin, il s’agit de veiller à la solidité juridique du texte. Ces motifs ont justifié la déclaration d’urgence ; il n’en demeure pas moins qu’après une telle procédure, il reste un goût d’inachevé, voire un sentiment d’insatisfaction.
Le vote de ce texte est crucial, car le harcèlement sexuel, comme l’orateur précédent l’a si bien rappelé, est une plaie sociale, dont la reconnaissance par le code pénal ne fut faite que très tardivement, il y a à peine 20 ans.
C’est une violence de genre, une violence sourde qui s’attaque à la dignité de la personne, qui vise à humilier celle-ci, à en faire un objet, à la réduire à son sexe, à son orientation sexuelle ou à son genre.
Cette violence s’attaque principalement aux femmes, mais pas uniquement.
Sans parler de harcèlement sexuel, nous connaissons malheureusement de ces situations où des propos grivois fusent de manière parfois si complaisante.
Il a suffi d’une robe à fleurs portée par la ministre de l’égalité des territoires et du logement… Et oui, une robe à fleurs !.. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes écologiste et SRC.) …pour mettre le feu sur une partie des bancs de cette assemblée : propos sexistes, que les auteurs pensaient peut-être galants – ou chronique du machisme ordinaire dont a été victime une ministre de la République. On n’ose imaginer le quotidien de nombreuses femmes, surtout là où le pouvoir se conjugue exclusivement au masculin.
Il est donc heureux que ce texte bénéficie ici d’un si large consensus, et que la représentation nationale se retrouve unie sur cette question.
Il reste néanmoins, madame, quelques points à éclaircir, que la richesse de nos débats n’a pas permis d’expliciter totalement.
Je voudrais souligner ici un point particulier, que vous avez d’ailleurs évoqué dans votre discours. L’expression « identité sexuelle » utilisée pour intégrer la transphobie dans la liste des discriminations me paraît erronée. Cela apparaît comme un prolongement maladroit de l’orientation sexuelle : identité de genre et orientation sexuelle sont deux notions totalement différentes.
Les débats en commission et au Sénat ont souligné qu’il n’existe pas dans nos textes de définition précise de l’identité de genre, pas plus que de l’identité sexuelle.
En revanche, la définition de l’identité de genre a été établie par des juristes internationaux travaillant pour l’ONU dans les principes de Jogjakarta en 2007. Je cite cette définition : « L’identité de genre est comprise comme faisant référence à l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance ».
L’orientation sexuelle est définie bien distinctement de l’identité de genre : « L’orientation sexuelle est comprise comme faisant référence à la capacité de chacun de ressentir une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle. ». On voit bien la différence entre ces deux définitions.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme insiste par ailleurs, dans un avis du 22 mars 2012, sur la nécessité de dissocier la question du genre de celle de la sexualité.
A contrario de « l’identité de genre », la notion d’« identité sexuelle » ne correspond à aucune définition connue ou reconnue, en droit français comme en droit international.
La directive européenne relative aux conditions du droit d’asile est aussi claire à cet égard. Dans son article 10, relatif aux motifs de persécution, il est fait mention distinctement de l’orientation sexuelle et de l’orientation de genre.
Dans le même esprit, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 29 avril 2010 des recommandations relatives aux « discriminations sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre ».
Enfin, dans son rapport de novembre 2011, le Haut commissariat aux droits de l’homme de l’ONU invite les États membres à « combattre les discriminations sur le terrain de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre ».
Le droit de la discrimination portugais et argentin, de tradition romaine à l’instar du droit français, a intégré la notion d’identité de genre sous la traduction « identidad de genero ».
En créant de toutes pièces l’expression « identité sexuelle », le législateur entretient une confusion malheureuse. Je sais, madame la ministre, que vous êtes ouverte à la discussion, et j’espère que nos débats nous permettront d’éclaircir ces concepts.
J’espère que ce texte sera voté à l’unanimité, comme ce fut le cas au Sénat ; pour sa part, le groupe écologiste y est prêt.
Vous avez cité Pablo Neruda en concluant votre discours, Madame la ministre. Permettez-moi, en retour, de citer Simone de Beauvoir : « Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres ». (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, GDR et RRDP.)
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