Wieviorka et Stora auditionnés par le groupe d’étude relatif à l’antisémitisme

Jeudi 5 mars, les députés du groupe d’étude relatif à l’antisémitisme de l’Assemblée nationale présidé par François Pupponi et dont Christophe Cavard est Vice-Président étaient invités à auditionner Michel Wieviorka, Sociologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de différents ouvrages sur l’antisémitisme en France et Benjamin Stora, Historien, inspecteur général de l’Education nationale président du conseil d’orientation de l’Etablissement public du Palais de la porte Dorée.

Si à court terme le gouvernement prépare un plan de lutte contre l’antisémitisme et le racisme, le groupe d’étude se donne des objectifs à moyen et à plus long terme. Il s’agit de caractériser précisément l’antisémitisme aujourd’hui en France et de faire des propositions concrètes pour mieux combattre sa ré-apparition dans l’espace public aujourd’hui.

Michel Wieviorka, qui se présente comme issu d’une famille socialiste « bundiste », est l’auteur de « l’antisémitisme expliqué aux jeunes ». Pour lui, « le juif des antisémites » est assez difficile à définir, car il fait écho à des représentations dont les origines sont multiples, des théories du complot (le protocole des sages de Sion du début du siècle dernier repris par Hitler dans Mein Kampf), à l’anti-sionisme et les amalgames avec la politique Israélienne, renforcées par le Salafisme Djihadiste. Pour Wieviorka, alors que les juifs en France dans les années 50 et 60 sont des républicains peu visibles en tant que « juifs » dans l’espace public, certains seront à l’origine d’un nouveau communautarisme dans les années 70-80. Pour lui, l’opération Israélienne au Liban en 1982 marquera un nouveau tournant dans l’histoire de l’antisémitisme. Il évoque également la place des juifs athées et la difficulté pour certains d’entre eux de se voir représentés par le CRIF, qui a beaucoup évolué depuis 15 ans (référence à Théo Klein Président du CRIF de 1983 à 1989 et ardent défenseur des valeurs laïques et républicaines).

Les difficultés pointées par Wieviorka sont relatives à la propagation de contre-vérités non maîtrisables sur les réseaux sociaux et au travers du vecteur de propagandes en tous genres qu’est Internet, pour le meilleur comme pour le pire, et la responsabilité de l’école avec le besoin d’une meilleure formation des enseignants. Il estime par ailleurs que l’échec des politiques d’intégration en France est lié à la « mis en avant de promesses républicaines sans les tenir » depuis 40 ans.

Benjamin Stora de son côté témoigne de l’inquiétude des juifs en France. Selon lui, l’antisémitisme européen n’a pas disparu, et ses stéréotypes sont bel et bien nés en Europe. Il s’est propagé de l’occident vers l’orient, et rappelle l’influence des anti-Dreyfusard au Maroc, en Algérie et en Tunisie ainsi que la propagande d’Hitler dans le monde arabe. Cependant il considère qu’il est essentiel de développer la connaissance autour de positions comme celle du sultan du Maroc (Mohamed V) qui aurait refusé que les juifs portent l’étoile jaune, ou encore autour des multiples mouvements de résistance que doivent connaître la jeunesse française dont les familles sont issues du Maghreb.

Il explique que la connaissance historique est essentielle, et la clé de la compréhension des phénomènes actuels. Pour lui Israël en tant que tel n’est pas le problème, c’est ce qui s’est joué avant, au travers de ce qu’il nomme des chocs de « nationalismes », émergence des nationalismes arabes, nationalismes juifs, et nationalismes en Europe.

Il préconise non pas l’enseignement du fait religieux mais de l’Histoire, pour mener une bataille culturelle et la création d’un récit national qui fait converger les « mémoires blessées » autour de la République et de la laïcité. Il insiste également sur le rôle des enseignants dans la transmission de l’Histoire des émigrés du Maghreb, pourquoi sont-ils ici, pourquoi leurs familles sont parties, l’histoire de la civilisation culturelle et politique, la fin de la colonisation…Il témoigne du nombre d’étudiants qui souhaitent proposer des sujets de thèses en rapport avec leur passé familial ou culturel et de la pénurie d’universitaires en capacité d’accueillir ces travaux de recherche. Il parle de 3 universitaires actuellement là ou il en faudrait au moins 10, un dans chaque région universitaire. Il y a, dit-il, besoin de réhabiliter les élites et les intellectuels dans le débat public pour offrir des débats critiques et argumentés.

Il évoque également la responsabilité de l’échec des printemps arabes dans la montée de l’islamisme intégriste. Il rappelle qu’il n’y a pas d’unité dans le monde musulman, et que le mythe propagé par l’idée d’un Califat des musulmans du monde entier est une erreur historique et culturelle qui n’a pas de réalité, face auquel il faut inventer un contre-mythe la ou les seules valeurs de démocratie et de liberté ne suffiront pas. « L’esprit des Lumières est épuisé, il n’est plus assez parlant ». Les Républicains doivent reprendre la bataille du XIXème siècle, et ré-enchanter la République.

Ces échanges peuvent être rapprochés de la rencontre locale « Après Charlie, dessinons notre avenir » du 2 mars dans le Gard, à l’initiative de Christophe Cavard, dans l’objectif d’ouvrir un dialogue local avec des représentants associatifs issus de différents quartiers « sensibles » de Nîmes.

Nadja Flank

groupe d'études antisémitisme

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