Loi sur le renseignement, bientôt tous surveillés ?

 

 

Dans le journal Lacroix du 31 mars, MARIE BOËTON et FLORE THOMASSET illustrent leur propos avec le témoignage de Christophe Cavard :

« En commission des lois, mercredi 1er avril, les nouveaux domaines de surveillance seront« un point dur du débat », assure Christophe Cavard. Les Verts par exemple militeront pour la suppression de la mention des « violences collectives » etpour « un recadrage » des « intérêts essentiels de la politique étrangère » française. »

 

la croix

 

 

 

Magistrats, juristes et associations dénoncent un texte rédigé de façon très vague et susceptible de déboucher sur une surveillance de masse.

Renforcer les services de renseignement : sur le principe, l’objectif du projet de loi renseignement fait consensus. En pratique toutefois, toute une série de mesures comprises dans ce texte très technique, examiné en urgence, font polémique.

Ainsi, depuis sa présentation en conseil des ministres, le 19 mars, pas un jour ne passe sans que des magistrats, des avocats ou des militants associatifs ne fassent part de leurs « inquiétudes profondes et fondées », selon l’expression de la Ligue des droits de l’homme. Chose rare, même le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, est sorti de sa réserve : le texte crée, selon lui, « un climat social dangereux au sein duquel chacun pourra être considéré comme un potentiel suspect ».

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Manuel Valls, assure que le texte ne débouchera « en aucun cas sur une société de surveillance généralisée », mais il ne convainc pas. Pour ses détracteurs, le projet de loi élargit excessivement la part de la population potentiellement surveillée. « Il ne s’agit pas d’une loi anti­terroriste, comme le contexte pourrait le laisser penser, mais d’un texte sur le renseignement ayant une portée beaucoup plus générale », explique Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats.

SEPT DOMAINES DE SURVEILLANCE

Deux nouveaux domaines de surveillance, s’ajoutant aux cinq déjà existants, sont créés. Le plus polémique concerne « la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». « Une formulation aussi large et fourre-tout peut tout permettre, y compris la mise sur écoute d’un syndicaliste en amont d’une manifestation », dénonce Me Florian Borg, président du Syndicat des avocats de France.

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La preuve, cet échange entre le ministre de l’intérieur et le député EELV Christophe Cavard, orateur pour son groupe, rapporté par ce dernier :« J’ai demandé à Bernard Cazeneuve : “Vous visez qui, là, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ?” Il m’a répondu : “Non, les groupes identitaires qui profanent les lieux de culte”. » Le rapporteur du texte, Jean-Jacques Urvoas, pensait plutôt « aux hooligans », comme il l’a déclaré lors d’une audition à huis clos…

DES FORMULATIONS « LARGES ET AMBIGUËS »

Deuxième nouveau motif de surveillance : la protection des « intérêts essentiels de la politique étrangère de la France ». « Il s’agit d’une formulation large et ambiguë, dénonce Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France. Les intérêts diplomatiques de la France sont parfois très éloignés des droits de l’homme. Nos militants et nos sources pourront-ils être surveillés quand ils nous informent, par exemple, que des hélicoptères français ont tiré sur des habitations civiles lors de la première mission d’intervention au Mali ? »

Enfin, afin de protéger les « intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France », les services de renseignement pourront mettre sous surveillance intrusive « des militants antinucléaires ou des universitaires menant des recherches dans des secteurs sensibles »,s’inquiètent de nombreux juristes.

« Que les services puissent s’intéresser à ces publics est une chose, mais qu’on leur donne, pour cela, des moyens aussi intrusifs que ceux prévus dans la loi (voir l’infographie) en est une autre », déplore Laurence Blisson, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. L’Ordre des avocats de Paris réclame d’ailleurs que les nouveaux moyens octroyés par la loi soient strictement réservés aux individus suspectés de « terrorisme ou d’appartenance à une bande criminelle ».

DE NOMBREUX AMENDEMENTS PRÉVUS

Bien que globalement favorables à l’esprit du texte, les parlementaires planchent, de leur côté, sur de nombreux amendements. En commission des lois, mercredi 1er avril, les nouveaux domaines de surveillance seront« un point dur du débat », assure Christophe Cavard. Les Verts par exemple militeront pour la suppression de la mention des « violences collectives » etpour « un recadrage » des « intérêts essentiels de la politique étrangère » française.

« L’exécutif opte pour un texte allouant de larges pouvoirs aux agents de l’État, sachant qu’il faudra ensuite lâcher du lest et permettre aux parlementaires de l’amender. C’est toujours ainsi », décrypte un ancien garde des sceaux. Le rapporteur, Jean-Jacques Urvoas, s’est d’ailleurs lui-même déclaré prêt à « dissiper les ambiguïtés éventuelles ».

« Il y a une marge d’évolution », confirme aussi Alain Marsaud, député UMP et ancien juge anti­terroriste, qui refuse de faire un « procès d’intention à ce gouvernement ». Il craint néanmoins qu’à l’avenir, un autre gouvernement « moins respectueux des libertés » puisse se donner les moyens d’une surveillance de masse. « Avec un tel texte, toutes les oppositions, même politiques, peuvent être surveillées. »

 

Les moyens du contrôle

La Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR) sera consultée pour avis avant la mise en place d’une surveillance, sauf « cas d’urgence ». Le premier ministre reste seul décisionnaire.

Si son avis n’est pas suivi par l’exécutif, la CNCTR pourra saisir le Conseil d’État. Des amendements pourraient rendre l’avis de la commission contraignant pour les techniques très intrusives et supprimer les cas « d’urgence » permettant de se passer de son avis préalable.

Cette commission sera composée de neuf membres dont quatre parlementaires, deux anciens membres du Conseil d’État, deux magistrats de la Cour de cassation et un expert dans le numérique. Certains élus réclament d’y intégrer davantage de juges et de juristes. Ils veulent par ailleurs s’assurer qu’elle disposera de moyens humains et budgétaires suffisants.

MARIE BOËTON et FLORE THOMASSET

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