Intervention en Discussion générale sur la désignation des conseillers prud’hommes
Jeudi 20 novembre 2014, Christophe Cavard intervenait en séance publique au nom du groupe écologiste, dans le cadre du projet de loi pour la désignation des conseillers prud’hommes. Un projet de loi qui amènerait non plus à passer par une élection de ces derniers.
Vous semblez avoir eu, monsieur le ministre, un débat fructueux avec mon collègue Jean Desessard, sénateur écologiste, lors de la lecture de ce projet de loi au Sénat le 14 octobre.
Vos échanges vous ont même conduit à discuter de la pertinence d’un passage à la VIème République ainsi que du rôle du Parlement : vaste débat pour un texte consacré aux prud’hommes, ne comptant que deux articles présentés comme techniques, et qui, de surcroît, renvoie à une ordonnance l’essentiel des dispositions à prendre.
Pour ceux qui n’ont pas suivi les débats au sein de la Haute assemblée, je rappellerai ici la position des parlementaires écologistes sur ce projet de loi, tout en tentant d’approfondir encore nos réflexions, notamment sur les questions démocratiques.
Vous l’aurez compris : comme mes collègues du Sénat, je suis défavorable à ce texte, la première raison étant qu’il prévoit le recours à une ordonnance.
Vous le savez, monsieur le ministre, les écologistes goûtent peu cette procédure. Nous pouvons l’accepter exceptionnellement, quand elle permet de prendre plus rapidement une décision urgente et utile, mais je vous avoue ne pas voir, en l’espèce, où se trouve l’urgence. Il est même précisé que le dispositif actuel peut perdurer jusqu’au 31 décembre 2017 ! Rien ne permet donc de justifier un tel procédé, sauf à imaginer que le Gouvernement veuille éviter le débat parlementaire sur un sujet aussi sensible.
En outre, il est difficile de comprendre en quoi l’abandon d’un système électoral pourrait rendre une institution juridique plus efficace.
Certes, la gestion des dossiers traités par les conseils des prud’hommes souffre de dysfonctionnements, comme le montre notamment le rapport d’Alain Lacabarats.
Personne ne conteste l’excessive longueur des délais de jugement ni les liens problématiques entre les différentes juridictions compétentes en matière de droit du travail et le statut des juges prud’homaux. Mais en quoi la désignation résoudra-t-elle ces problèmes ? On se prive ici d’un débat parlementaire pourtant nécessaire sur le mode de désignation et la composition des collèges de représentants des salariés et des employeurs dans les conseils de prud’hommes. Il s’agit d’une loi simple ne comportant que deux articles, l’un prévoyant de remplacer l’élection prud’homale par des désignations selon des critères précisés ultérieurement par ordonnance et l’autre de repousser la date de renouvellement des conseils de prud’hommes, ceux qui sont en place depuis 2008 siégeant dès lors neuf ans au lieu des cinq prévus. Vous avez nié, monsieur le ministre, que le projet de loi se justifie par les économies d’environ cent millions d’euros qu’il induit en matière d’organisation des élections prud’homales.
Vous nous demandez même de ne pas vous faire de procès d’intention à ce sujet. On se demande bien pourquoi nous le ferions ! Il n’entre bien évidemment pas dans les habitudes du Gouvernement de justifier ses propositions et ses politiques par le seul prisme des économies à réaliser pour réduire la dépense publique, dirai-je avec ironie ! (Sourires.) Faut-il en déduire que les élections coûtent cher et qu’il faut donc les supprimer ? Ce n’est pas sérieux ! Vous justifiez le changement de mode d’accès à la représentation des salariés, de l’élection directe à la désignation des conseillers prud’hommes, par la mesure d’audience, en particulier la faible participation aux élections. En 2008, 25 % des inscrits se sont exprimés, soit un taux d’abstention de 75 %. Doit-on pour autant supprimer les élections ? Voilà qui mérite un débat parlementaire approfondi et pas uniquement syndical !
Quelles que soient en effet les positions des syndicats, ils sont à la fois juge et partie. Leur avis doit bien entendu être pris en compte mais il doit être soumis plus sérieusement au débat parlementaire. Le changement proposé aura des conséquences qui engagent les salariés mais aussi les demandeurs d’emploi et les personnes en situation de précarité, qui sont mal représentées par les syndicats mais le sont au moins en partie par nous-mêmes ici, dans cette assemblée. Il faut un peu de temps et une bonne concertation pour aborder la question des réformes et de la réorganisation de la démocratie sociale en France. Par ailleurs, le droit du travail est attaqué de toutes parts par celles et ceux qui pensent qu’il est un frein à l’économie et à l’emploi, le MEDEF en premier lieu mais aussi certains d’entre nous. Il n’est donc pas opportun de déstabiliser la seule juridiction qui juge et tranche de nombreux litiges dans le monde du travail, fût-ce de manière imparfaite.
Pour nous qui sommes favorables au dialogue social et à la concertation, la représentation de l’ensemble des acteurs et publics concernés constitue un préalable indispensable. On n’y est pas encore ! J’ai évoqué les chômeurs et les publics précaires auquel j’ajouterai le secteur de l’économie sociale et solidaire qu’il faut intégrer de façon franche, à la hauteur des besoins en vue de son changement d’échelle, comme nous nous y sommes engagés. Les parlementaires doivent participer, car démocratie sociale et démocratie parlementaire sont complémentaires et indispensables l’une à l’autre dans une démocratie moderne. Procéder par ordonnance exclut de fait le débat parlementaire. Cela finit par faire beaucoup d’exclus et crée nécessairement un risque accru de propositions inabouties, inapplicables voire potentiellement injustes car elles ne prendront pas en compte une grande partie de la population, en particulier les associations, les coopératives et les salariés des petites entreprises. En effet, procéder à des désignations selon la mesure de l’audience syndicale risque de renforcer la spécialisation des conseillers.
Supprimer une élection pour la remplacer par une désignation suppose également que les organisations représentatives le soient, ce qui est loin d’être le cas actuellement. C’est même de pire en pire, qu’il s’agisse des syndicats ou des partis politiques ! Prenons un exemple précis : en 2008 ont été élus des représentants de l’économie sociale pour le collège employeurs dans la section « divers ». Nous savons que les représentants de cette branche, l’UDES, Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, ne jouit pas de la représentativité interprofessionnelle faute de réunir les conditions nécessaires pour être représentée dans le nombre de branches requis. Comment ces employeurs pourront-ils dorénavant siéger dans les tribunaux prud’homaux ? Où est la cohérence ? Où est l’équilibre ? Il me semble que nous touchons ici à une illustration concrète de la limite du texte et de son instabilité. Quant à l’abstention, elle ne constitue pas un argument valable pour supprimer une élection, contrairement à ce que vous avez dit au Sénat, monsieur le ministre !
À ce compte-là, supprimons des élections qui hélas connaissent des taux d’abstention importants, comme les élections européennes ou départementales, sauf j’espère les prochaines prévues en mars 2015, qui les unes après les autres ne recueillent que très peu de suffrages ! Une telle remise en cause n’est bien évidemment pas envisageable aujourd’hui. Vous apportez à un problème une solution qui en créera d’autres peut-être plus importants encore d’un point de vue démocratique et opérationnel. Il en va de même de la prolongation du mandat des conseillers prud’homaux représentant les salariés, initialement prévu pour cinq ans après les élections de 2008. Vous nous proposez de prolonger le mandat par cohérence avec les élections du collège employeurs qui fait l’objet de discussions par ailleurs. Les conseillers prud’homaux auraient donc pour cette fois un mandat de neuf ans. Nous allons au-devant de nombreux problèmes dans les juridictions locales ! Certains partent en retraite ou demandent leur renouvellement car la charge est exigeante. Il y aura donc des sièges vacants jusqu’en 2017. Les retards déjà accumulés risquent de s’amplifier, les recours seront plus nombreux et les services de l’État encore plus sollicités alors même qu’ils sont fragilisés par ailleurs !
Tout cela nous semble très instable et très insécurisant alors même que le code du travail et les lois qui protègent les salariés sont remis en cause de toutes parts. Vous avez lu comme moi les titres de certains journaux des derniers jours, monsieur le ministre : « Les élections prud’homales, c’est fini ! » ou encore « Fin du suffrage universel pour les élections prud’homales ». Et ce soir, tardivement, hop ! Au détour d’un texte censé passer inaperçu et dont la mise en œuvre est opaque, nous voici renvoyés à une concertation dont nous ne connaissons ni le calendrier ni les participants et qui vise à modifier en partie le fonctionnement des conseils de prud’hommes !
Le reste sera fait par d’autre biais, par exemple le projet de loi du ministre Macron dont nous suivrons les évolutions. Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste vous propose, monsieur le ministre, d’ajourner le texte et d’engager un véritable débat sur le rôle des prud’hommes, large, public et transparent, afin que chacun fasse valoir des propositions d’amélioration, car nous ne nions pas qu’il existe des difficultés, donc des évolutions à prévoir. C’est pourquoi nous proposerons ici des amendements de suppression des deux articles du projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes. Je tiens à signaler ici à cette tribune que présenter ce type d’amendements est rare pour notre groupe.
Par conséquent, si le texte reste malgré tout en l’état jusqu’au bout, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que notre groupe votera contre.