Explication de vote sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Mercredi 3 décembre 2014, Christophe Cavard intervenait en séance publique au nom du groupe écologiste dans le cadre d’une explication de vote sur la surveillance des filières et des individus djihadistes.

 

Madame la présidente, mes chers collègues, l’UMP souhaite utiliser ce que l’on appelle son droit de tirage parlementaire annuel pour lancer aujourd’hui une commission d’enquête sur les filières djihadistes.

La question de la surveillance de ces filières inquiète avec raison.

Le phénomène, par son ampleur, est récent et la menace réelle. D’après le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, M. François Molins, 1 132 Français seraient, à ce jour, impliqués dans des filières djihadistes et 376 seraient présents en Syrie et en Irak, dont au moins 88 femmes et 10 mineurs.

Les meurtres barbares et les massacres commis par Daech montrent l’extrémisme d’une partie de ces combattants. Les attentats antisémites commis, eux, par Mohammed Merah et Mehdi Nemmouche démontrent que les liens avec ces filières peuvent étendre ensuite les menaces en Europe.

Face à ces risques réels pour nos concitoyens, nous saluons le travail des services de police et de sécurité qui agissent au quotidien pour endiguer le danger.

Ce péril concerne non seulement les populations qui subissent tous les jours les sévices de ces terroristes, dans le monde comme en France, mais aussi nos jeunes, qui se font endoctriner par ces réseaux. Ils vont mettre leur vie en danger et, parfois, se transformer en véritables bombes humaines.

Je reste persuadé que nous ne pouvons pas nous dédouaner d’une vraie politique de prévention auprès des publics les plus vulnérables à ce phénomène. La prévention est une arme efficace pour protéger nos populations : elle permet d’arrêter la spirale de l’embrigadement et d’alerter l’ensemble des services concernés avant que le danger ne devienne réel.

Des familles entières se font dépasser par la radicalisation de leurs filles ou de leurs fils. Soyons avec elles pour les aider à se protéger du risque, et pour nous protéger des actes qui peuvent découler de cette radicalisation.

Permettez-moi de vous citer le dernier paragraphe de mon avant-propos dans le rapport de la commission d’enquête que j’ai présidée il y a quelques mois : « car le renseignement dans un État de droit est un outil au service de la décision publique, il sera nécessaire de replacer la prévention des actes terroristes dans une approche non strictement sécuritaire. La prévention dans les quartiers où existent les lieux d’embrigadement ne doit pas se limiter à une simple surveillance. Elle doit s’accompagner d’une véritable reprise en main des rapports sociaux et humains dans le cadre des politiques de prévention de la délinquance ».

J’espère sincèrement que la présente commission d’enquête saura aussi se pencher sur le sujet des moyens et entendre des professionnels éducatifs, sociaux, et, évidemment, policiers sur ce thème.

En tout état de cause, elle risque de se heurter à deux écueils : d’une part les poursuites judiciaires en cours, même si la garde des sceaux a indiqué que, pour l’instant, son périmètre n’en touchait aucune, et d’autre part le secret défense. La défense de ce secret peut être légitime, tant il est nécessaire, parfois, de protéger les affaires suivies, mais il risque d’appauvrir cette commission d’enquête.

La commission d’enquête que j’ai présidée en 2013 portait sur le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, notamment des filières djihadistes, un sujet très proche. Elle a rendu son rapport il y a tout juste dix-huit mois. L’article 138 de notre règlement qui prévoit qu’une commission d’enquête ne peut reprendre un sujet dans les douze derniers mois n’est donc pas opposable, mais l’on peut tout de même regretter la confluence de ces sujets sur lesquels nous possédons maintenant une grande partie des éléments nécessaires aux décisions à prendre.

Nous savons que nous devons renforcer certains de nos services de sécurité et mieux travailler à la coordination entre services, qu’ils soient spécialisés ou de droit commun, en France, en Europe ou dans le monde. Nous savons aussi que nous devons répondre à l’amélioration du cadre législatif concernant l’évolution des phénomènes liés à des réseaux – je pense notamment à l’utilisation d’internet.

Le risque, c’est qu’au cours de cette commission d’enquête, nous entendions de nouveau les personnes déjà auditionnées précédemment. Les informations qu’elles donneront n’auront que peu ou pas évolué, à mon avis. En outre, je note que, sur l’initiative du groupe UDI, le Sénat a lancé une commission d’enquête identique il y a quelques semaines. On peut s’étonner que deux commissions d’enquête aient été lancées sur les mêmes sujets au même moment.

Qu’apporteront-elles de différent, ou de nouveau ? Je ne suis pas certain de l’utilité de ce doublon, sauf à vouloir instrumentaliser ce sujet à des fins politiques, ce que je ne peux imaginer ici, comme M. Lellouche l’a aussi dit.

Toutefois, nous sommes très attachés au droit de chaque groupe de proposer une commission d’enquête. C’est une avancée non négligeable du droit parlementaire.

Nous comptons sur la sagesse de nos collègues parlementaires pour s’appuyer sur les travaux déjà réalisés afin que cette commission d’enquête ne soit pas perçue par nos concitoyens uniquement comme un acte symbolique, une réaction émotionnelle à l’actualité. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes UMP et SRC.)

C’est pour cela que, tout en constatant ses limites, nous voterons la création de cette commission d’enquête, par respect du règlement et du droit parlementaire.

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