TRAM E : après l’enquête publique, un bilan
Les points d’achoppement du tracé de la future ligne E
Entre compromis et passage en force ?
Pour faire assez simple, disons que deux visions fondamentalement opposées se sont affrontées à coup d’arguments plus ou moins recevables de part et d’autres sur la manière concrète d’accueillir le tramway sur un axe bien défini, à savoir le Cours Jean Jaurès à Grenoble et la route de Lyon sur le canton de Saint Egrève. La première vision ainsi justifiée de la part du SMTC est très bien illustrée par son insistance à maintenir une largeur sur le futur tracé du Tram le plus homogène possible et de 22 mètres : « Enfin il est important de souligner que le maintien d’une emprise de largeur homogène sur l’ensemble du tracé permet d’avoir un projet qui démontre une cohérence en terme d’aménagement urbain et une identité forte en terme de qualité urbaine. Une ligne de tramway est un projet d’aménagement urbain d’ensemble qui donne une structure et une hiérarchie aux espaces traversés pour une lecture simple et harmonieuse des espaces publics » (page 35).
Cette vision s’oppose à une autre vision, souvent relayée par de nombreux riverains directement impactés par le projet, et aussi dans une certaine mesure par des habitants qui n’acceptent pas nécessairement que l’on puisse de manière autoritaire et systématique changer radicalement la physionomie de cet axe central (destruction d’habitations, coupes importantes d’arbres, rupture forte avec la ville d’hier…). Par exemple cela est très bien résumé par certains riverains de la route de Lyon « Pour M. XXX (E-SE-Dup-409), les largeurs des trottoirs et de la voie doivent être variables, il n’y a pas de dogme seulement des contraintes » (page 34). L’objectif de ce « papier » n’est absolument pas de vouloir défendre les intérêts individuels de quelques uns mais tout de même de faire admettre que la démonstration du SMTC d’une nécessaire bande d’une largeur de 22 mètres sur l’ensemble du parcours, en tant qu’unique solution pour permettre au Tram de circuler sur ces communes, est peut être exagérée. Cette vision urbanistique de la ville fondée sur des principes théoriques liés à une école particulière, aujourd’hui dominante n’est pas forcément celle qui satisfait au mieux l’intérêt général. Il serait plutôt constructif et dans l’intérêt de tous, qu’à chaque projet structurant, les hommes et femmes directement concernés puissent aussi être une préoccupation majeure du maitre d’ouvrage.
Le SMTC parle en priorité de qualité urbaine, de projet urbain, d’aménagement au détriment finalement de la qualité de vie, des usages formels et informels des habitants d’aujourd’hui et de demain. Pourtant, la ville c’est avant tout une cité, au sens premier du terme, dont les citoyens sont les premiers acteurs, avec des interactions entre ses habitants mais aussi entre eux et celle qui les accueille. Pour que le vivre ensemble fonctionne mieux, la ville ne doit pas être imposée, elle doit être partagée dans sa conception. L’urbaniste seul ne peut pas faire la cité et l’utilisation d’une sémantique spécifique en dit long sur le maitre d’ouvrage, ses intentions, et sa capacité réelle au dialogue participatif !
C’est donc cette vision du SMTC, un peu trop « académique, voire cloisonnée », ne reflétant en fait qu’un modèle aujourd’hui dominant d’un type d’urbanisation qui est légitimement critiquable et qui a surtout cristallisé toutes les oppositions et incompréhensions entre d’une part les maitres d’ouvrage et d’autre part une partie des habitants directement impactés par les expropriations mais pas seulement. Faut-il rappeler le combat du passage souterrain, symbolique mais néanmoins symptomatique de cet état de fait, du quartier Prédieu-Fiancey qui en une semaine a obtenu pas moins de 1500 signatures pour son maintien alors que le projet initial prévoyait sa suppression ? En réunion publique, lorsque la question a été posée pour savoir si une étude des usages et du nombre de passages à pied, en vélo ou en poussette avait été effectuée, les regards du coté des représentants élus et techniciens du projet en disaient long sur les méthodes d’évaluation d’un projet et de démocratie participative. A contrario, on apprécie fortement les comptages de voitures et ce depuis bien longtemps ! Apparemment les saint Egrèvois qui aiment leur ville, n’aiment pas les passages en force et ils savent se mobiliser. Peut être, ce dernier point aurait dû être davantage anticipé de la part du SMTC. De quelle manière ? En apportant de vraies réponses à la fois humaines et techniques aux habitants. La recherche de l’intérêt général passe, on le sait, par la recherche de compromis acceptables pour toutes les parties et donc par des concessions.
Regardons maintenant plus concrètement quels ont été les différents éléments bloquants du tracé souvent repris par le commissaire enquêteur et dont le SMTC a dû apporter des justifications, voire des modifications par rapport à sa copie initiale :
La fameuse bande des 22 mètres à tout prix
La commission rappelle que l’atteinte à la propriété privée doit être mise dans la balance pour « apprécier le bien fondé du projet » (page 29). La question reformulée que pose la commission au SMTC est la suivante : Quels sont les obligations de dimensions minimales pour les espaces juxtaposés le long du tram ? Le SMTC accepte de revoir la largeur du tramway sur certains secteurs passant ainsi de 22 mètres à 21,1 mètres sur certains secteurs en diminuant ainsi de 45 centimètres la largeur de part et d’autre des trottoirs. Par contre il refuse de transiger sur la possibilité de franchissement de la voie de tram pour des raisons de sécurité et de vitesse d’exploitation diminué qui engendrerait un surcoût d’exploitation. Sur ce point, on peut assez bien comprendre cette position mais aussi regretter que ponctuellement et pour les expropriations les plus délicates, quelques dérogations en la matière aurait pu être admises de la part du Syndicat mixte sans pour autant remettre sensiblement en cause la vitesse d’exploitation. Le SMTC revoit aussi sa position initiale concernant certains endroits délicats comme le secteur Bonnais-Pinéa où il accepte que les trottoirs soient réduits à un mètre cinquante, de même qu’au carrefour Pinéa où ce sont les trottoirs et les pistes cyclables qui seront réduits, par ailleurs, il n’y aura pas de trottoirs en face de la mairie de Saint Martin le Vinoux. Est-ce qu’au regard des 303 propriétés directement impactées par la venue du tram E, les efforts du SMTC sont réels ? On ne peut nier qu’ils existent, cependant sur ce point la philosophie d’un tracé homogène n’est pas réellement remise en cause. Pour sa part, la commission d’enquête considère, elle, que vu l’importance structurante du projet, les atteintes aux propriétés sont malgré tout justifiées.
Le tracé au niveau de l’esplanade
La commission d’enquête admet sa surprise du choix par le SMTC de choisir le tracé le long de l’ex A48 en bordure du futur parc plutôt qu’au cœur du nouveau quartier de l’esplanade (page 39). Le SMTC justifie son choix (page 38) par, d’une part, une largeur non suffisante le long de la route de Lyon et d’autre part du fait d’une perte de vitesse au cœur du futur quartier, ce qui ne convainc pas la commission.
La desserte
Il existe de fortes inquiétudes des usagers de la ligne 1 et 17 qui vont être contraints de prendre une correspondance au terminus Louise Michel Creuset alors que ces lignes étaient directes jusqu’au centre ville. Certains habitants souhaitent soit un prolongement jusqu’au Pont de Claix, soit jusqu’à Foch, soit pas de tram E à partir d’Alsace Lorraine. De ce fait, et pour prendre en compte ces usagers du sud de l’agglomération, la commission demande qu’il y’ait une vraie concertation avec les usagers de ces lignes avant une décision définitive sur les futurs tracés de ces lignes (page 41).
Les stations
Toujours selon certains habitants, les stations sont trop éloignées les unes des autres par rapport aux bus. Au moins trois stations supplémentaires sont souvent réclamées : mairie de Saint Egrève, stations village à SMLV et Place Dubedout à Grenoble. Pour ces deux dernières, la commission se contente de dire que ces stations devraient voir le jour à terme. Par contre, la commission demande au SMTC de revoir sa copie en ce qui concerne la nécessité d’un arrêt mairie de Saint Egrève : « l’absence d’une station à hauteur de la mairie de St-Egrève est préoccupante…Son centre administratif avec ses activités sociales et ses services publics doit être conforté pour développer le sentiment du vivre ensemble…La commission considère que la faisabilité d’une station de desserte des services publics, mairie, poste, etc. doit être réexaminée. » (page 45). Sur ce point en particulier, comme la majorité du conseil municipal, nous pensons également qu’un arrêt Mairie de Saint Egrève est indispensable. Plus généralement, il serait intéressant dans le but d’obtenir cet arrêt de renforcer la centralité de ce secteur et pourquoi pas d’envisager la construction d’immeubles en lieu et place des commerces et peut être de localiser la future piscine à l’emplacement de la piscine des mails. Ces nouveaux équipements renforceraient forcément l’attractivité de l’arrêt « Mairie/Poste/Piscine ». - Arrêt Basse Buisserate : La commission demande au SMTC, suite à plusieurs remarques des habitants sur le cheminement des collégiens jusqu’au collège Chartreuse, de se concerter avec les acteurs concernés pour trouver le moyen de mieux sécuriser le parcours entre l’arrêt et l’établissement scolaire. Passage Fiancey/prédieu : Plusieurs remarques ont été faites par le public pour permettre une montée à cet arrêt de tram directement depuis l’intérieur du passage souterrain. Cette solution n’a pas été retenue car trop coûteuse selon le SMTC et il aurait fallu élargir davantage. Les « tournes à gauche » : Selon le SMTC, il existera 53 carrefours franchissables tous les 220 mètres en moyenne, ce qui permettra de franchir aisément la ligne de tram.
Stationnement et déplacements doux
Certains habitants jugent qu’il manquera de parkings. Un gros effort doit être fait pour réfléchir à l’accessibilité en mode doux jusqu’au tram, et pourquoi pas une ligne de bus, même restreinte ou mutualisée avec d’autres usages sur les communes du haut de chartreuse. De même, ne peut-on pas mutualiser les parkings vides en journée de certaines copropriétés moyennant une rémunération ? Quoi qu’il en soit, le projet de tram E n’est pas d’augmenter le nombre de place de parking pour de nouveau encourager les déplacements en voiture et conforter l’idée que l’on peut habiter dans des zones éloignées et se déplacer en véhicule individuel.
Globalement il est demandé par les usagers de vélo une amélioration et une sécurisation des voies cyclables avec dans tous les cas une séparation avec les piétons. Le projet actuel prévoit lui une bande cyclable large de 1,7 mètres, réduite dans certains secteurs à 1,2 mètres au coté des véhicules qui auront eu une voie large de 3,2 mètres. Il ne sera pas possible et fortement regrettable qu’en heures pleines aucun vélo ne pourra être accepté dans le Tram. Ceci est encore une fois un non sens pour une optimisation totale des déplacements en modes doux depuis la porte de son domicile à celle de son travail (page 50). De même que rien n’est prévu pour séparer explicitement les vélos des voitures sur la chaussée, comme le demande l’ADTC, et également la mairie. Ce serait enfin l’occasion d’implanter de petites balises lumineuses. L’analyse de la commission sur la demande de certains pour une « isolation matérielle » de la piste cyclable est peu rassurante : « Mais on ne pourra isoler matériellement les pistes cyclables en bordure droite des voies de circulation car elles devront permettre le passage de véhicules prioritaires…Il faudra obtenir un comportement respectueux des règles par les automobilistes dans l’intérêt général. » Enfin il faudra être très vigilant sur les différents tracés et lignes de rabattement indispensables au tram E et actuellement à l’étude. (Cf l’article sur le site de VSE « Tram E et PLU : analyse des avis rendus sur les enquêtes publiques »).
Les atteintes au patrimoine culturel
Regrettons peut être la démolition du bâtiment de l’horloge qui a, quoique l’on en dise, un intérêt patrimonial lié d’une part à son histoire (ancienne école) et d’autre part à son architecture caractéristique de son époque. Posons-nous la question de savoir s’il est judicieux de détruire le peu de patrimoine collectif ancien, qui contribuerait, si on le sauvait en lui donnant un nouvel usage, à garder ce trait d’union entre la ville d’hier et celle de demain. Pour ce qui est de la Casamaures, le SMTC considérant que les voies de tram seront à plus de 60 mètres du bâtiment il ne devrait pas y avoir de problèmes liés à des vibrations, une étude vibratoire sera tout de même conduite pour confirmer l’absence d’impact (selon le SMTC). Les atteintes à l’environnement Selon la commission et à la lecture du rapport, les observations du public sur ce point ont été très nombreuses. Le SMTC souhaite pour sa part végétaliser la ligne E dans la mesure du possible (page 66), ce qui selon la commission aura un effet positif en terme d’amélioration du paysage mais aussi rappelons sur le phénomène appelé « îlot de chaleur urbain » (ce phénomène accentue la température ambiante et empêche notamment une baisse suffisante de la température nocturne à cause des sols très « bétonnés » de nos villes qui pour faire simple absorbent trop les rayonnements solaires contrairement à des sols végétalisés). Le cas le plus délicat et contestable concerne l’abatage d’un nombre très important d’arbres remarquables dans le parc de Rochepleine. Une forte mobilisation des habitants aura au moins permis de sauver une vingtaine d’arbres de plus de 20 cms de diamètre grâce à un trottoir élargie de 3,5 mètres et un léger décalage de la plateforme tramway coté Vercors.
En conclusion, le SMTC a certes accepté certaines remarques des citoyens et du commissaire enquêteur et a cherché donc à minimiser à certains endroits « sensibles » les impacts futurs mais globalement il a maintenu le cap qui consiste à faire un tracé le plus rectiligne possible et avec une largeur relativement homogène.
Quelques chiffres au passage du projet de tram E
845 observations lors de l’enquête publique, un tracé d’une longueur de 11,5 kilomètres, un total pour l’instant de 18 stations, 6 minutes d’attente entre deux rames aux heures de pointe, une moyenne de 676 mètres entre deux stations mais de 442 mètres entre l’arrêt Esplanade Nord et esplanade centre et 1251 mètres entre Pique Pierre et l’Esplanade Nord, 53 carrefours franchissables, ce qui fait un franchissement moyen des voies tous les 220 mètres, un coût au kilomètre de voix réalisé de 25,91 millions d’euros, 303 propriétés privées impactées par le projet.
samedi 13 août 2011
Laurent Amadieu
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