Christian Bouchardy, du naturaliste à l'élu
Par nicole rouaire le jeudi 25 décembre 2014, 08:00 - Voeux, discours, communiqués - Lien permanent
Discours de Christian Bouchardy - Session budgétaire
Je voudrais profiter de cette dernière session budgétaire en région Auvergne pour faire un rapide bilan sur près de 5 ans de mandature.
Comme vous le savez, je viens du monde des naturalistes et je vais tenter de faire un point rapide entre fonctionnement démocratique d’une Région et enjeux environnementaux, car cette question, souvent mal analysée et parfois douloureuse, est toujours présente et concrète dans mon quotidien d’élu.
Malgré des difficultés, l’action du naturaliste est très gratifiante. Il n’a aucun doute sur le fait qu’une rivière propre et sauvage est plus belle qu’un chenal rectifié et pollué ; il n’a pas besoin de longues études scientifiques pour savoir qu’un bocage maillé de belles haies est plus riche en biodiversité qu’un immense champ de maïs irrigué et arrosé de pesticides.
On aura beau avancer tous les arguments possibles : économiques, sociologiques, sur la sacro-sainte propriété privée ou sur la liberté d’action et de loisir de chacun, rien ne pourra me convaincre que détruire est mieux que préserver.
Nous sommes la génération qui a effectué et assisté aux plus grandes destructions. Le naturaliste porte en lui les cicatrices et les meurtrissures des milieux qu’il aime et qui ont le plus souffert.
Un joli proverbe dit : « comme il est dans l’eau, on ne voit pas que le poisson pleure. » Le scientifique et le naturaliste savent très bien que le poisson pleure et ils ont compris pourquoi, depuis que les rivières sont devenues le réceptacle de nos folies.
Quand pour alerter, ils nous exhortent à regarder l’état de l’eau, l’homme se penche et ne voit que le reflet de son image, satisfait de sa beauté et fier d’être le maitre du monde. Il ne doit pas connaître cet autre proverbe : » celui qui se regarde constamment dans l’eau croit que les poissons vivent sur les branches « Cruelle illusion et fatale cécité qui nous fait prendre le reflet pour la réalité, la surface pour le fond et qui sacrifie l'avenir au présent.
Sauf à se jeter dans la rivière ou à gémir dans une impuissance ravageuse, le pas doit être franchi : l’amoureux de la nature se doit de devenir son défenseur. Seul dans son coin, il n’avait pour s’exprimer que son bulletin de vote, mais pas de candidat ni de programme à qui le donner.
En réalité, qui a le pouvoir, qui influe concrètement sur l’évolution et l’avenir de l’environnement ? Qui est à l’origine de la perte de biodiversité ? Certainement pas le naturaliste ou le protecteur, même si certains choix philosophiques et tactiques faits par eux ont leur part de responsabilité.
Les vrais responsables, ceux auxquels s’affrontent les défenseurs du faucon pèlerin ou de la tourbière sont les grands acteurs économiques qui exploitent les milieux et orientent les choix de développement ainsi que les hommes politiques responsables de l’aménagement du territoire et des lois. C’est du moins ainsi que nombre de protecteurs le ressentent.
Ils savent aussi, pour les côtoyer, que grand nombre de décideurs font preuve d’une abyssale inculture en matière d’écologie, au sens scientifique du terme.
C’est éventuellement en toute bonne foi, en Auvergne comme ailleurs, que les plus grands chantiers, comme les aménagements quotidiens, vont dévaster la nature et réduire considérablement la biodiversité.
Je ne suis pas en train d’insulter le passé et nos prédécesseurs : je connais le proverbe qui dit : « après la bataille, tout le monde est Général ! « Je me demande simplement pourquoi avons-nous fait ces choix et que sommes-nous en train de faire aujourd’hui sans précaution ni anticipation ? Quels sont nos actes susceptibles d’avoir des effets catastrophiques demain ? Comment puis-je agir pour tenter d’enrayer, voire d’inverser ce phénomène ?
C’est alors que je me retrouve Vice–Président en charge de l’environnement et des énergies de la Région Auvergne. Oh ! Certes, une place bien modeste : 1% du budget de la Région, qui plus est une des plus pauvres de France. Mais bon ! Allons voir de l’autre côté comment se passent les choses et essayons d’agir avec un peu de pouvoir et un peu d’argent.
Le premier constat fut celui de l’extrême complexité des dossiers et de mon manque de connaissance dans la plupart des thématiques en charge des Régions. On vous jette dans la piscine et on vous demande d’apprendre à nager … sans le maître-nageur.
Malgré tout, au fil des années, on entre dans le sérail et les projets avancent. On obtient même quelques beaux résultats ! En Auvergne, par exemple, nous avons créé des parcs régionaux et des réserves naturelles. Des contrats de rivières et de lacs contribuent grandement à l’amélioration de la qualité de l’eau et à la préservation des milieux aquatiques. Un effort considérable a été fait sur la rénovation énergétique des bâtiments et pour les énergies renouvelables. Sans l’aide de la Région, des dizaines d’associations mettraient la clef sous la porte.
J’espère que la présence d’un naturaliste et d'un groupe écologiste dans les rangs des élus a permis d’orienter, au moins en partie, la politique régionale en matière d’environnement.
Et pourtant, la fonction est tellement prenante que l’on a constamment " la tête dans le seau " au point de perdre quelque peu les objectifs de la transition écologique ou du moins d’avoir des difficultés à positionner son action locale dans une nécessaire harmonisation globale.
A ce propos, je voudrai dire à quel point l’Europe, tant décriée, joue un rôle essentiel dans la protection de la nature et de certaines ressources naturelles. Quel est l’élu qui ne s’est pas réfugié derrière la « dictature Européenne » pour s’excuser ou se dédouaner de certaines mesures que sa fonction lui demandait d’appliquer ?
Et pourtant, sans la directive cadre sur l’eau et celle sur Natura 2000, il ne fait aucun doute que de nombreux sites auraient été détruits et que la ressource en eau se serait encore plus dégradée et appauvrie.
Quoi que vous fassiez, vous trouverez toujours en face de vous des groupes de pression puissants et motivés. A chaque projet de réserves naturelles ou de parcs, des amateurs de quads et de motos tout terrain se mobilisent pour faire échouer la création. Les implantations d’éoliennes déchainent systématiquement un tollé et voient l’éclosion spontanée de dizaines d’associations « anti ». L’arrivée naturelle d’un grand prédateur provoque immédiatement des manifestations parfois violentes.
Nous sommes constamment pris entre le marteau des extrémistes, des dogmatiques et l’enclume des intérêts particuliers et catégoriels. Les premiers trouvent que l’on n’en fait jamais assez, les seconds ne veulent pas céder un pouce de leurs privilèges.
Que faut-il faire ? Je ne me risquerai pas à une analyse, ce dont je suis bien incapable. J’évoque simplement le quotidien et le questionnement d’un élu régional.
La puissance publique et la représentation démocratique sur lesquelles j’espérais m’appuyer ne sont plus réellement aux commandes, quand elles ne sont pas, elles-mêmes, le principal frein.
Notre action s’exerce en effet dans un cadre très contraint financièrement et administrativement. Il faut plusieurs années et beaucoup d’opiniâtreté pour lancer un nouveau projet ou infléchir une politique mise sur les rails par nos prédécesseurs. C’est d’autant plus complexe qu’un montage ne se fait jamais seul. A vos contraintes s’ajoutent celles de vos partenaires et bien entendu la lourdeur du paquebot administratif.
Heureusement, il y a les agents des services dont le professionnalisme et la motivation sont remarquables, mais ces derniers ont besoin de choix et de ligne politiques clairs pour travailler efficacement.
Je dois aussi à l’honnêteté de dire que notre Région, grâce à sa taille et à notre proximité, connaît un fonctionnement démocratique, certes imparfait, mais que beaucoup d’autres nous envient. J’espère de tout cœur, mais j’en doute, que notre mariage avec Rhône-Alpes ne nous privera pas de cet atout appréciable.
Mais, là, je crois, n’est pas l’essentiel. Malgré le grand dévouement et la sincérité de la majorité des élus, force est de constater que nous ne maîtrisons pas le système qui est aux mains des puissances économiques et financières.
Même à un niveau modeste, comme celui d’une région, on a souvent l’impression que les orientations que nous prenons s’inscrivent dans un mouvement général que nous ne maitrisons pas. Nous pouvons, certes, influer sur des choix qui vont dans le sens d’une transition écologique et énergétique, comme par exemple la massification de la rénovation énergétique des bâtiments ou la préservation des milieux naturels, mais cette politique des petits pas sera-t-elle suffisante ?
J’ai conscience des progrès que nous avons accomplis durant ce mandat et je pense que le programme que je vous soumets aujourd’hui pour la politique régionale en faveur des transitions énergétiques et écologiques permettra de progresser encore.
Mais, qui va gagner la course de vitesse entre la destruction de la vie terrestre et un véritable changement de notre rapport à la terre ? Je répondrai modestement, en tant que citoyen et en tant qu’élu, que je crois encore au combat et à la force des idées. Ne dit-on pas que lorsqu’une idée est arrivée à son heure, elle est irrésistible ?
Il est temps que nous prenions conscience de l’immense responsabilité que nous avons pour l’avenir de notre planète, hommes compris.
Il est temps que nous passions de la notion d’appropriation égoïste à celle d’appartenance harmonieuse.
Enfin, si vous le permettez, je souhaite profondément que dans cette reconnexion de l’homme avec son environnement pour laquelle nous nous battons, nous ayons une attention particulière pour toutes les autres formes de vie, sauvages ou domestiques qui n’ont pas la parole ici et qui seront partie intégrante de notre réussite ou victimes de notre échec.
Je vous remercie.
Commentaires
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