Michèle Rivasi : « L’Europe n’est pas allée assez loin sur les dispositifs médicaux »

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Deux récentes avancées sont à porter au crédit de l’Europe selon l’élue : le nouveau règlement encadrant les essais cliniques et la révision de la directive tabac. Elle déplore en revanche que la mise sur le marché des dispositifs médicaux ne soit toujours pas plus sécurisée.

Hospimedia : « Quelles ont été les principales avancées européennes dans le domaine de la santé en 2013 ?

Michèle Rivasi : Sur les nombreux sujets que j’ai eu à traiter au sein de la commission Envi [commission Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, NDLR], deux avancées très intéressantes sont à noter. La première concerne les essais cliniques. Rappelons que les médicaments causent en France autant de décès que les suicides et les accidents de la route réunis, soit 18 000 morts par an. Il est donc essentiel que les citoyens européens puissent avoir confiance dans les essais cliniques : seuls ces tests permettent de garantir la sécurité des médicaments avant leur mise sur le marché ou leur extension d’autorisation de mise sur le marché.
Mais encore faut-il que tous les résultats soient rendus publics. Sinon, des informations importantes sur les effets indésirables apparus lors de ces essais risquent d’être mises sous le tapis par l’industrie pharmaceutique, soucieuse d’éviter toute publicité négative. C’est pour cette transparence des données que je me suis battue avec le groupe des Verts au Parlement européen pour acter clairement l’obligation de publication de l’analyse complète des données cliniques qui ont servi à la mise sur le marché d’un médicament, par-delà toute considération commerciale. Et nous avons gagné le 29 mai 2013 lors du vote, en commission Envi, du texte du nouveau règlement européen encadrant les essais cliniques de médicaments.

H. : Et la deuxième avancée que vous mettriez en avant ?

M.R. : Il s’agit de la révision de la directive tabac. Malgré une course contre la montre sans précédent de la part de l’industrie tabagière pour retarder le texte et la complaisance à son égard de nombreux eurodéputés conservateurs, nous avons limité la casse et réussi à éviter tout report du processus législatif à la prochaine mandature. Pour les cigarettes, les avertissements sanitaires occuperont désormais au moins 65% de la surface du paquet partout dans l’Union européenne, de façon bien visible sur le dessus. Toutes les saveurs caractéristiques seront interdites, y compris le menthol, dans un délai de quatre ans après l’entrée en vigueur de la directive.
La grande victoire des écologistes est d’avoir introduit des évaluations obligatoires et approfondies pour les additifs les plus utilisés et les plus problématiques. Ces additifs cancérogènes doivent à terme complètement disparaître des produits du tabac. À titre d’exemple, l’ammoniaque, présent dans les cigarettes, est utilisé pour créer la sensation de manque.

H. : Quels sont a contrario les retards pris par l’Europe ?

M.R. : L’Union européenne n’est pas allée assez loin sur les dispositifs médicaux. Le Parlement européen a voté le 22 octobre 2013 un rapport sur les dispositifs médicaux, qui aurait pu aller loin si la proposition du groupe des Verts-ALE avait été retenue. Il s’agissait d’introduire un système d’autorisation avant mise sur le marché pour les dispositifs médicaux de classes 2b et 3 (donc les plus à risque). Le compromis auquel nous sommes finalement arrivés, avec des organismes notifiés spéciaux pour les dispositifs à risque et un contrôle renforcé de leur travail par les autorités, est vraiment le minimum acceptable. Malheureusement, le vote a réduit drastiquement le nombre d’experts indépendants chargés de ce contrôle car les intérêts économiques du lobby industriel sont passés devant la sécurité des patients.
À ce jour, le Conseil n’a toujours pas terminé ses discussions internes, aucune négociation n’a pu commencer entre Parlement européen et Conseil. Il y a malheureusement fort à parier qu’aucun accord ne sera donc trouvé avant la fin de la mandature en cours.

H. : Quels seront les dossiers traités par la Direction générale Santé et consommation (DG Sanco) en 2014 ? Quel sera votre positionnement ?

M.R. : En 2014, la DG Sanco va traiter prioritairement de sujets relatifs aux animaux en général et à l’élevage en particulier, que ce soit lors de la révision de la réglementation sur les médicaments vétérinaires et les alicaments pour animaux ou encore la révision du « paquet hygiène » qui encadre les obligations de l’industrie agro-alimentaire.
Je continuerai notamment à me battre contre l’usage abusif de médicaments en milieu agricole : l’antibiorésistance générée par l’élevage intensif a des conséquences dramatiques sur la santé humaine. On se retrouve avec des traitements devenus inefficaces face à des bactéries résistantes comme le staphylocoque doré, et il n’y a parfois pas d’autre choix que l’ablation d’un membre infecté. Je continuerai également à militer pour l’introduction de la phagothérapie* en Europe, cette technique alternative qui a déjà largement fait ses preuves.

H. : En 2014, les plans État-Région vont être renégociés. Les crédits Feder sont attendus par le monde de la santé, au moment où la dépense publique est en berne. Avez-vous des projets dans ce domaine ?

M.R. : En ce qui concerne ma région par exemple, la région Rhône-Alpes a ciblé, dans le cadre du programme opérationnel Feder, 100 millions d’euros pour l’innovation technologique, qui comprend les questions de santé. Parallèlement, les régions et les laboratoires peuvent faire appel aux fonds alloués par l’Europe dans le cadre du programme Horizon 2020 pour développer des programmes de santé en tout genre. Selon moi, ces fonds européens peuvent être utilement injectés dans des programmes de recherche sur la toxicologie, la phagothérapie ou encore la substitution à l’expérimentation animale.

H. : La santé reste du domaine national. Êtes-vous pour une plus grande implication de l’Europe dans ce secteur ?

M. R. : L’organisation et la mise en œuvre des soins de santé relèvent en effet de la responsabilité des pays de l’UE. Mais l’Union apporte une valeur ajoutée à leurs actions en leur permettant de faire face ensemble à des difficultés communes, comme le vieillissement démographique et les problèmes de santé qui en découlent, la protection des citoyens contre les menaces sanitaires, la lutte contre l’alcoolisme ou le tabagisme, etc. L’Union européenne a donc déjà de nombreuses compétences en matière de santé, que ce soit via des fonds pour la recherche (programme Horizon 2020), via l’encadrement de l’arrivée de nouveaux produits sur le marché (médicaments et dispositifs médicaux) et leur surveillance.
Rappelons que les compétences de l’Union européenne sont très étendues, beaucoup plus qu’on ne croit et que c’est pour cela que les acteurs locaux doivent absolument intégrer l’importance de l’échelon européen dans leurs actions. Il faudrait néanmoins plus d’Europe pour la protection des patients et les outils juridiques à leur disposition, notamment la mise en place de recours collectifs. »
Propos recueillis par Sandra Jégu
* Utilisation de virus bactériophages pour traiter certaines maladies infectieuses d’origine bactérienne

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