Quel avenir pour les LGBT en Europe ? Le compte-rendu de notre atelier aux JDE d’EELV 2014.
Compte-rendu de l’atelier du 22 août 2014 à l’occasion des Journées d’été d’EELV. 25 participant-es.
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Intervenants :
- Sergio Coronado, député des Français de l’étranger (Amérique du Sud)
- Pierre Serne, membre du Bureau exécutif de l’ILGA-Europe
- Geoffrey Roucourt, co-animateur d’Ecolo Nous Prend Homo (Belgique)
- Mathieu Béchu, collaborateur de Karima Delli, députée européenne membre de l’inter-groupe LGBT
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En Europe, malgré de grandes avancées, les inégalités de droits entre LGBT créent des absurdités et les violences homophobes perdurent. L’objectif de l’atelier est de se pencher sur ces disparités pour mettre en perspective les différentes stratégies des associations pour parvenir à l’égalité.
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Sergio CORONADO, député écologiste des Français de l’Étranger (Amérique du Sud), introduit l’atelier par un état des lieux de la situation française suite au débat sur le « mariage pour tous » qui a vu une cristallisation des tensions autour des questions LGBT. La loi n’a pas permis de régler tous les problèmes, notamment celui des couples binationaux, et il semble aujourd’hui malheureusement difficile d’envisager le vote d’une loi sur le changement d’état civil des personnes trans avant la fin de la législature, malgré les engagements du PS et les initiatives des parlementaires écologistes [PPL d’Esther Benbassa au Sénat, de Sergio Coronado à l’Assemblée nationale].
Face au blocage français, le point d’appui semble aujourd’hui être européen. Les Verts ont toujours été très en pointe sur le sujet au niveau européen (Rapport Claudia Roth en 1994, rapport Lunacek en 2014). L’Europe permet souvent d’aborder les sujets de manière moins dogmatique, ne serait-ce qu’en comparant ce qui se fait dans les différents états. Et plus que l’Union européenne, c’est sur la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui rend des décisions importantes pour l’avancée des droits des personnes LGBT.
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Pierre SERNE, membre du Bureau exécutif de l’ILGA-Europe, pense que les belles années des LGBT dans les institutions européennes sont révolues. Un période plus compliquée s’ouvre, et il va nécessairement falloir repenser nos formes d’activisme. L’Union européenne risque de connaître une régression sur les questions LGBT, alors que la CEDH et la CJE (Cour de Justice européenne) ont connu un récent revirement, probablement dû à la composition des juges. De fait, l’ILGA-Europe compte de plus en plus sur des décisions juridiques pour faire avance les droits en Europe plutôt que sur des avancées législatives (directives ou règlements), et soutient financièrement les cas emblématiques d’une cause.
La promesse de Barroso de faire passer une direction « discriminations » en 2004 n’a jamais été tenue, et n’est pas dans les objectifs de la commission Junker. Beaucoup de choses sont néanmoins venus du droit communautaire : liberté de circulation pour les couples de même sexe, vision plus large de la famille, etc. Le grand élargissement de 2004 a permis d’importantes avancées législatives, les pays candidats étant contraints de retranscrire dans leur droit national des directrices beaucoup plus protectrices. Mais la législation ne fait pas tout, en témoignent les tensions en Hongrie, Lituanie, Croatie, etc. Mais par exemple, ces retranscriptions du droit communautaire ont permis une bonne tenue des marches des fiertés dans ces pays (avec protection policière).
Aujourd’hui la montée du populisme doit nous interroger, avec la jonction entre des réseaux de type « Manif pour tous » qui ont fait des petits dans beaucoup de pays européens, financés par les évangélistes américains. La diplomatie vaticane pèse aujourd’hui très lourd à Bruxelles, et le lobby réactionnaire est organisé, riche, et se structure. Cette évolution rend le Parlement européen dans sa globalité plus frileux et moins progressiste. L’intergroupe LGBT a un rôle crucial à jouer dans la mandature qui s’ouvre (2014-2019).
Enfin, sur la Russie la situation s’est clairement aggravée. L’ILGA finançait jusqu’à présent certaines associations russes. Se pose aujourd’hui la question de l’exfiltration des activistes LGBT menacés. L’émergence d’une diplomatie européenne des Droits de l’Homme est donc plus que jamais nécessaire.
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Geoffrey ROUCOURT présente Ecolo Nous Prend Homo (ENPH), la commission LGBTQI d’Ecolo, le parti écologiste belge francophone et germanophone, dont il est co-animateur. La commission a vu le jour suite aux états-généraux de l’écologie politique menés en 1999. ENPH est membre de la Rainbowhouse Brussels (Maison Arc-en-ciel), coupole des associations/mouvements LGBTQI à Bruxelles et de la CHB, Coordination Holebi Bruxelles, la coupole des associations/mouvements francophones à Bruxelles. ENPH veille à ce que ses membres soient actifs au sein de ces associations ou d’autres afin de garder le contact avec les actrices-eurs de terrain.
Jusqu’à la fin des années 1980, en Belgique, les mouvements étaient opposés à la revendication du mariage, vu comme une institution archaïque et patriarcale. Avec le SIDA, les choses ont évolué, les gens ont pris conscience qu’ils avaient besoin d’une sécurité juridique. C’est un vote, en 1996, au sein de la coupole flamande qui a mis le mariage à l’avant-plan des revendications LGBTQI en Belgique.
Les premières propositions de loi sur le mariage datent des années 1990 et ont été déposées par les libéraux flamands et les écologistes flamands. Les écologistes ont obtenu des résultats importants lors des élections législatives en 1999, ils participeront au gouvernement arc-en-ciel (socialistes, libéraux, écologistes), ce sera la premier gouvernement mené par Guy Verhofstadt. Les sociaux-chrétiens sont renvoyés dans l’opposition. Un gros travail sur les questions d’égalité est mené par la ministre Magda Alvoet (Agalev, devenu Groen aujourd’hui), bien que ministre de la Santé. Un projet de loi sur le mariage est déposé par le ministre de la justice Marc Verwilghen (VLD, libéral flamand). La loi est adoptée en 2003, sans heurts.
En 2006, bien que dans l’opposition, les écologistes soutiennent le texte ouvrant l’adoption aux couples de même sexe, déposé par la ministre de la Justice Laurette Onkelinkx (PS). Un problème subsiste : les lesbiennes doivent aussi passer par l’adoption pour la co-mère, alors que les couples hétérosexuels peuvent reconnaître l’enfant avant la naissance. Cette discrimination a été supprimée cette année, en 2014. Désormais, la co-mère ne doit plus passer par un processus d’adoption pour être reconnue co-parent.
La Belgique est dotée d’un arsenal législatif important visant à condamner les discriminations. 1989 : loi Moureaux contre le racisme. 2007 : arsenal législatif contre les discriminations. Deux organes sont créés : le Centre pour l’Égalité des Chances et la Lutte contre le Racisme et l’Institut pour l’Égalité entre les Femmes et les Hommes.
La loi encadrant la PMA existe depuis 2007, elle précise qu’aucune discrimination ne peut être acceptée, c’est-à-dire qu’elle est ouverte aux femmes en couple avec un homme, aux femmes seules et aux femmes en couple avec une femme.
Là encore, sans heurts, et sans que le sujet ne soit associé à la GPA.
Concernant la GPA justement, il n’existe aucun texte légal. Elle est laissée à l’appréciation des équipes médicales et des juges. Le Conseil d’État et le Comité consultatif de Bioéthique se sont prononcés en faveur d’un encadrement légal de la GPA. Ceci afin d’avoir une sécurité juridique, d’interdire la commercialisation, de prévenir les abus, d’obtenir les consentement des parties etc. La GPA a été abordée dans différents textes déposés au Sénat mais pas débattus. La société, comme la communauté LGBTQI, est divisée sur la question. C’est la même chose au sein des partis politiques.
Concernant les questions trans, la loi sur la transexualité du 11 juillet 2007 pose des problème : présence du terme « transexualité », médicalisation, stérilisation,psychiatrisation.
Enfin la question du don du sang est sans doute le seul point commun avec la France avec le maintien d’une interdiction aux hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes.
La Belgique est souvent vue comme un eldorado LGBTQI. C’est en partie vrai que sur le plan législatif et des droits. Mais que dans les faits, un changement de mentalité doit toujours se faire. L’EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) doit encore se mettre en place concrètement dans toutes les écoles de tous les réseaux scolaires, etc. Il est néanmoins nécessaire que la Belgique soit un exemple et ait une parole forte au niveau international pour soutenir les LGBTQI en danger dans leurs pays.
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Mathieu BECHU, collaborateur de Karima DELLI, eurodéputée écologiste membre de l’intergroupe LGBT, nous alerte sur la montée en puissance des réactionnaires au sein du Parlement européen, notamment via leur conquête de postes clés dans cette mandature (vice-présidence du Parlement, mais aussi postes de commissaire). Il y a là une stratégie menée notamment par l’Opus Dei pour prendre le contrôle de certains lieux de pouvoir. Le groupe écologiste va donc se concentrer sur le maintien des droits des personnes LGBT, aujourd’hui menacées. Le débat sur le rapport Lunacek illustre parfaitement le regain de tensions à l’échelle européenne sur ces sujets. La CJE et la CEDH auront donc un rôle essentiel, ce qui atteste l’idée d’un basculement du législatif vers le juridique pour impulser les avancées en matière de droits des personnes LGBT.