Appel à intervenants
« Transmission et appropriation des pratiques musicales, socialisation en banlieue et ailleurs. »
Journée d’étude – lundi 6 février 2012, à l’Université Paris 8 / Saint-Denis
Le CIRCEFT-ESCOL, en partenariat avec le réseau thématique « enfance » de l’AISLF et avec le réseau thématique « éducation et formation » de l’AFS, organise une journée d’étude[1], comprenant des conférences et des communications en ateliers sur la base de l’appel ci-dessous.
Des colloques récents ont permis, de façon centrale pour les uns, de façon secondaire pour les autres, de faire connaître et confronter des recherches en sciences sociales qui traitent de la question de la socialisation et des pratiques culturelles :
– sur le rapport à la culture des enfants (au sens où ils ont moins de 18 ans)[2] ;
– sur les continuités et les évolutions des modalités de distinction et de rapport à la culture[3] ;
– sur « ce que l’école fait aux élèves » notamment au sujet des pratiques culturelles[4] ;
– sur l’appropriation de formes culturelles dans différents milieux de socialisation[5].
Les organisateurs de la journée de recherche souhaitent approfondir certains aspects qui ont été évoqués lors de ces colloques précédents : les processus de transmission et d’appropriation. La réflexion sera centrée sur les pratiques musicales, entendues principalement comme pratiques d’auditeurs de musiques (enregistrées, radio, clip vidéo…) et comme pratique de spectateurs de concerts, qui peuvent être renforcées par la pratique instrumentale ou vocale, mais cette dernière n’est pas l’objet principal de la journée.
Ce choix s’explique par le fait que les pratiques musicales sont parmi les pratiques culturelles qui sont les plus diffusées, autant que la télévision (95% des 6-14 ans[6]). Elles sont aussi investies de manières très diverses : des plus « légitimes » aux plus « populaires », des musiques juvéniles (transmises par les « socialisations horizontales ») à celles plutôt privilégiées par les générations précédentes ou par l’école (transmises par les « socialisations verticales »), de celles qui sont privilégiées par les garçons ou les filles à celles qu’ils partagent, des pratiques les plus répandues par les médias à celles qui s’écoutent dans l’entre-soi d’un groupe particulier (voire en sont l’emblème).
De ce fait, l’étude des pratiques musicales semble susceptible d’éclairer particulièrement des points de débat dans l’actualité de la recherche en sociologie de la culture, de l’enfance et de l’éducation.
Face au constat d’omnivorité, de pratiques éclectiques, et en même temps de permanence des formes de distinction, il semble utile de faire le point sur ce qu’écoutent de commun et de différent les enfants et les jeunes, et sur les « passeurs » et les groupes de socialisation qui leur ont transmis ces pratiques, ainsi que sur les occasions de découverte et d’appropriation (échange de supports enregistrés, proximité entre le domicile et une salle de concert, etc.). Cette identification semble d’autant plus importante que l’on sait que les goûts musicaux formés pendant l’adolescence tendent à marquer durablement les pratiques[7].
L’appropriation de pratiques musicales est souvent tout particulièrement évoquée sous l’angle de ce qu’elle engage comme construction identitaire, par rejet ou inscription, dans des lignées familiales ou dans des groupes sociaux.
Comment s’articulent l’appropriation de goûts et de dégoûts musicaux d’une part, et l’inscription dans différents groupes ou classes sociales d’autre part ? Comment socialise-t-on à écouter de la musique dans différentes occasions de la vie sociale ? Comment s’articulent les transmissions et appropriations « horizontales » et celles relevant de la « socialisation verticale », entre différentes générations et/ou auprès d’institutions éducatives et culturelles ? Chez les garçons et chez les filles, l’appropriation musicale et les constructions identitaires se jouent-elles de la même façon ?
En quoi ces inscriptions symboliques sont-elles liées à la fréquentation de « passeurs » de pratiques et de lieux, inscrits dans des territoires, dont la fréquentation diverse ou limitée, pour des enfants et des jeunes, a peut-être à voir avec la palette plus ou moins grande des musiques connues et appréciées ? Notamment, qu’en est-il en « banlieue » populaire, en zone rurale et dans des territoires plus poreux, selon que les habitants bénéficient de réseaux de fréquentations plus ou moins larges ?
Les communications portant sur ce thème des relations entre la socialisation musicale et la place et l’inscription dans le monde social seront regroupées dans un premier axe.
Le deuxième axe de l’appel invite inversement à étudier les choses sous l’angle des institutions éducatives et culturelles : qu’est-ce que les pratiques culturelles juvéniles (et les institutions ou espaces dans lesquels elles s’inscrivent) font à l’école et aux pratiques de scolarisation ? Qu’est-ce que les modes de socialisation et d’appropriation musicale horizontale font aux modes de socialisation-transmission verticale ?
Le troisième axe de l’appel porte sur la transmission et l’appropriation des dispositions intellectuelles et esthétiques qu’engagent les activités de perception.
Par quelles modalités les enfants et les jeunes s’approprient-ils des catégories de classement des oeuvres ou des artistes, et des schèmes de perception et d’appréciation ? Ces dispositions sont-elles les mêmes que celles que la sociologie de la culture a identifiées à l’état stabilisé pour les adultes ? Comment se construisent-elles[8] ?
Par ailleurs, les recherches ont montré que les mélomanes appréciaient une diversité plus ou moins grande de styles musicaux. Que dans les débats de la sociologie de la culture, ceci soit conceptualisé au travers du degré de légitimité des musiques concernées, d’omnivorité et d’univorité[9], ou de composition de « tablatures »[10] entre les styles ou les morceaux écoutés, cela invite, quand on s’intéresse à l’enfance et à la jeunesse, à comprendre la genèse de ces dispositions à « l’éclectisme éclairé »[11] : comment apprend-on à circuler (ou pas, et si oui, de façon différente) entre des œuvres diverses, à la fois sur le plan esthétique de « l’appréciation » et sur le plan intellectuel des rapprochements, des comparaisons, des démarcations, entre différents morceaux de musiques ou passages de morceaux, voire avec des œuvres non musicales ?
De plus, selon les milieux de socialisation, quelles sont les formes de transmission et d’appropriation de ces pratiques musicales entre les logiques « scripturales-scolaires » et les celles relevant du « voir-faire et ouï-dire »[12] ?
Le quatrième axe traitera des objets, des supports de diffusion de la musique (radio, disque, MP3…), dont la forme pourrait contribuer à des possibilités d’écoute différentes. Les communications pourront ainsi explorer les manières dont ces supports (notamment selon la facilité ou la rareté de leur possession, selon le type d’habitat et selon les caractéristiques sociales des familles) entrent en ligne de compte dans la transmission différenciée des « contenus » musicaux, des formes de l’audition et de la perception, comme des occasions d’une écoute partagée.
Sur les différents axes, des communications reposant sur des études diachroniques sont également les bienvenues.
Les propositions de communication (une à deux pages maximum, bibliographie comprise), issues de recherches en sciences sociales, indiqueront dans quel axe de l’appel elles s’inscrivent. Les auteurs devront préciser la problématique, l’objet et la méthodologie sur lesquels ils s’appuieront pour développer leur propos pendant 20 mn + 10 mn de discussion.
Ces propositions doivent être envoyées par e-mail à l’adresse du colloque : soc-musicale93@univ-paris8.fr
Date limite d’envoi des propositions : Vendredi 2 décembre 2011.
Réponse du comité scientifique : jeudi 15 décembre.
Il est envisagé de publier une large part des communications de la journée.
Responsable scientifique de la journée d’étude : Stéphane Bonnéry (CIRCEFT-ESCOL, Paris 8)
Interlocuteur pour le comité d’organisation : Manon Fenard
[1] Cette journée financée par le programme PICRI de la région Ile-de-France, comme le programme de recherche qu’elle conclut, qui a été réalisé en partenariat avec l’association Chroma.
[2] Colloque « Enfance et cultures : regards des sciences humaines et sociales », organisé les 15, 16 et 17 décembre 2010 à Paris par le DEPS / Ministère de la culture et la réseau « Sociologie de l’enfance » de l’AISLF : http://www.enfanceetcultures.culture.gouv.fr/
[4] Colloque organisé par le CENS (Centre Nantais de Sociologie) et le CREN (Centre de Recherche en Education de Nantes), soutenu par l’Université de Nantes, la Région Pays de la Loire et l’Association Française de Sociologie (RT4 Sociologie de l’éducation et de la formation) : http://www.cren-nantes.net/spip.php?article77
[6] Octobre Sylvie, Les loisirs culturels des 6-14 ans, Paris : La documentation française, 2004, p. 74.
[7] Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique. Enquête 2008, Paris : La Découverte, 2009, pp. 122-123.
[8] Bourdieu Pierre, La distinction, Paris : éd. De Minuit, 1979, p. 545n : « Il appartiendrait à une sociologie génétique d’établir comment se constitue ce sens des possibilités et des impossibilités, des proximités e des distances ».
[9] Peterson Richard A. « Le passage à des goûts omnivores : notions, faits et perspectives », Sociologie et sociétés, 36, 1, pp. 145-164.
[10] Glevarec Hervé, Pinet Michel, « La « tablature » des goûts musicaux : un modèle de structuration des préférences et des jugements », Revue française de sociologie, vol. 50, n° 3, pp. 599-640.
[11] Donnat Olivier, Les Français face à la culture. De l’exclusion à l’éclectisme, Paris, La documentation française, 1994.
Philippe Coulangeon, Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Paris : Grasset, 2011.
[12] Vincent Guy, Lahire Bernard & Thin Daniel, « Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire », dans Vincent (Guy), L’Education prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles », Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 1994, p. 11-48