Loi de programmation militaire « Nous nous étonnons que notre stratégie nucléaire ne soit pas débattue dans cet hémicycle »

logo-lpm DR

La Loi de programmation militaire est arrivée en deuxième lecture au Sénat, Corinne Bouchoux, chef de file pour les écologistes est intervenue dans la discussion générale du 10 décembre.

Intervention lors de la discussion générale concernant le Projet de loi de programmation militaire pour les années 2014-2019

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des lois, le douzième projet de loi de programmation militaire, que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture, fixe les priorités opérationnelles et les choix majeurs en matière d’équipements et d’effectifs, et donc les dépenses militaires, pour les années 2014 à 2019.

Trois points ont retenu notre attention.

Tout d’abord, la défense est le troisième poste de dépenses de l’État, après l’éducation et la dette : elle reçoit chaque année 31,4 milliards d’euros.

Le projet de loi contient des initiatives qu’il convient de saluer, car elles permettront d’améliorer le fonctionnement de l’armée française et le quotidien de nos soldats, auxquels nous rendons hommage. D’autres portent sur les projets d’équipements ou traduisent la priorité accordée à l’entraînement et, dans une certaine mesure, au renseignement. Nous saluons également l’annonce de l’abandon du logiciel fou Louvois, censé assurer le paiement des soldes.

Ce projet de loi manque cependant l’occasion d’adapter notre outil de défense à nos priorités stratégiques. En effet, ce texte confirme le maintien d’une force de dissuasion nucléaire qui représente à elle seule 23,3 milliards d’euros de crédits sur la période 2014-2019. Or, comme nous l’avons déjà signalé en première lecture, cette décision n’a fait l’objet d’aucun débat en séance publique. Nous n’avons pas, non plus, été associés aux travaux, sûrement riches et de grande qualité, de la commission ad hoc chargée d’élaborer le Livre blanc.

Nous nous étonnons que notre stratégie nucléaire ne soit pas débattue dans cet hémicycle, à défaut d’être davantage remise en question, alors que de plus en plus de hauts responsables politiques et militaires s’interrogent ouvertement sur la pertinence d’une force atomique aussi coûteuse que désuète. L’environnement international et géopolitique a totalement changé à partir de 1989, mais nous continuons à nous cramponner à un dispositif ancien qui ne correspond pas au monde d’aujourd’hui.

Dans un contexte économique très contraint, nous considérons qu’il est urgent de mener une réflexion sur le bien-fondé du maintien en l’état de notre force nucléaire. Pour notre part, nous réclamons un ajustement de notre force de dissuasion ; certains d’entre nous souhaitent même sa remise en cause totale.

Paul Quilès, un homme politique particulièrement responsable, l’ancien Premier ministre Michel Rocard, lui aussi très respecté dans cet hémicycle, ou encore le précédent ministre de la défense, Hervé Morin, posent ouvertement la question : pourquoi ne pas garder la composante sous-marine et supprimer la composante aérienne à échéance de dix ans, ce qui nous permettrait d’économiser environ 1,5 milliard d’euros ? On pourrait utiliser cette somme à la fois pour le désendettement et pour renforcer nos unités d’intervention sur le terrain, dans le cadre de nos engagements internationaux.

N’oublions pas non plus les engagements pris par la France en matière de désarmement, notamment dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP : notre pays s’y est engagé à « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ».

Quelles sont nos priorités stratégiques ? Est-il vraiment nécessaire de maintenir en mer quatre sous-marins lanceurs d’engins et de conserver en parallèle une coûteuse composante aéroportée ? Nous ne le pensons pas. C’est là, pour notre budget de défense, une source de déséquilibre entre les crédits alloués à la dissuasion et les moyens donnés à nos forces conventionnelles ; elle mérite au moins examen. Nous sommes aujourd’hui à un an et demi de la conférence de révision du TNP : la France devra bien alors préciser sa politique de désarmement. Le temps presse !

Ce projet de loi de programmation militaire aurait donc pu être l’occasion de débattre collectivement des priorités à fixer à notre outil de défense.

Je souhaite à présent insister sur le dossier de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Si le dispositif d’indemnisation a fortement évolué lors de l’examen du projet de loi au Sénat et à l’Assemblée nationale – nous saluons d’ailleurs votre écoute, monsieur le ministre, ainsi que celle de votre cabinet sur ce dossier –; nous regrettons cependant que les avancées demeurent insuffisantes.

En effet, les demandes des victimes, qui vivent souvent des situations difficiles, sont analysées à la seule lumière d’un modèle statistique qui conclut presque toujours à un risque négligeable. Le logiciel utilisé, qui n’a pas été conçu pour cela à l’origine, fait finalement ce pour quoi il a été choisi ; il y a là comme un syllogisme !

Vous le savez, seuls douze dossiers de demande d’indemnisation ont connu un sort favorable, alors que le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, en a reçu près de 840 ! Dix-sept ans après le dernier essai nucléaire, et près de trois ans après la promulgation de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi Morin, la France n’arrive toujours pas à indemniser ceux qu’elle a exposés.

Pourquoi ne pas permettre un réel examen des dossiers au cas par cas ?

Du reste, si le système de présomption de causalité avec limite était supprimé, il ne faudrait pas s’attendre pour autant à une multiplication démesurée des nouvelles demandes d’indemnisation de la part des personnels civils et militaires, tout simplement parce que beaucoup d’entre eux sont, hélas, déjà morts ! Quant aux survivants, il leur est très difficile de démontrer le lien entre leurs maladies et leur participation à des essais dont on leur avait affirmé jadis qu’ils étaient « sans danger » ou « propres ». Or, nous le savons désormais, ces termes sont tout aussi « impropres » que l’étaient les essais !

Il convient en outre de rappeler que les crédits de paiement de 10 millions d’euros pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires ont été maintenus dans la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » du projet de loi de finances pour 2014. Dès lors, l’irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution qui a frappé notre proposition nous laisse interrogatifs. Au demeurant, à quoi bon inscrire une telle somme si le nombre d’indemnisés reste toujours aussi faible ?

Enfin, s’agissant de l’article 13 qui, dans un premier temps, nous avait seulement rendus perplexes, nous pensons aujourd’hui, vu la polémique qu’il suscite, il n’offre peut-être pas toutes les garanties dans une démocratie telle que nous la concevons et la souhaitons.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Pourtant, je vous ai expliqué ce qu’il en était !

Mme Corinne Bouchoux. Finalement, monsieur le ministre, même si nous avons pu, lors du précédent débat sur l’intervention en République centrafricaine, vous faire part de notre soutien global, sachez que, à une exception près, les sénateurs et sénatrices écologistes ne pourront pas voter ce texte pour les raisons que je viens d’évoquer.

Remonter