Médiapart – Sur le terrorisme : « On a l’arsenal suffisant, il faut mieux le mettre en œuvre »

Article publié sur le site Médiapart, le mercredi 14 janvier 2015

 

Services de renseignement : un maquis bien obscur

Par Louise Fessard et Mathilde Mathieu

Manuel Valls a promis devant l’Assemblée nationale de renforcer la lutte antiterroriste. Un nouveau fichier est annoncé. Les attentats de Paris soulignent pourtant les failles structurelles des services de renseignement, à la coopération défaillante.

Morceaux choisis :

Six jours après le plus gros attentat survenu en France depuis 50 ans, le premier ministre Manuel Valls a salué devant l’Assemblée nationale « le travail de nos services de renseignement, DGSI, DGSE, services du renseignement territorial ». « Ils savent travailler ensemble, ils obtiennent des résultats, a déclaré mardi 13 janvier 2015 l’ancien ministre de l’intérieur. À cinq reprises en deux ans, ils ont permis de neutraliser des groupes terroristes susceptibles de passer à l’acte. » Mais à trois reprises en trois ans (Merah, Nemmouche, Kouachi et Coulibaly), ils n’ont pu empêcher des attentats.

« Il y a une faille, bien évidemment ; quand il y a dix-sept morts, c’est qu’il y a eu des failles », reconnaissait Manuel Valls le 9 janvier sur BFMTV. Du côté du ministère de l’intérieur, on souhaitait lundi prendre le temps d’identifier ces failles. « Nous ne voulons pas prendre les décisions tout de suite sans recul alors qu’on est encore dans l’opérationnel », indique le cabinet du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve. D’autant que depuis le début du quinquennat, deux lois socialistes ont renforcé un arsenal antiterroriste français déjà imposant. « On a l’arsenal suffisant, il faut mieux le mettre en œuvre », estime le député écologiste Christophe Cavard, président de la commission d’enquête parlementaire constituée après le fiasco de l’affaire Merah.

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Concernant un rapport parlementaire rendu public le 13 mai 2013 qui dressait à un tableau très sévère de « la précipitation » dans laquelle est née la DCRI, une personne auditionnée et interrogée par Médiapart révèle que :
« la fusion des services a encore renforcé la centralisation de notre dispositif alors même que la situation a changé. Il n’y a plus de filières d’acheminement. Ce sont maintenant des individus qui partent (en solo, ndlr), et ces déplacements peu repérables sont difficiles à gérer par un système lourd et hiérarchisé, ainsi conçu que toutes les informations, même celles qui proviennent des brigades régionales, remontent à Paris » pour décision finale. Christophe Cavard confirme : « On parle de gens qui pratiquent la taqîya, un principe qui autorise à dissimuler sa foi et qui fait partie intégrante du guide pratique du bon djihad, c’est-à-dire qu’ils se mettent à boire de l’alcool, à sortir en boîte de nuit pour tromper toute surveillance, détaille le député EELV. Face à ça, il faut du travail « artisanal » dans le bon sens du terme, au croisement d’infos de terrain. » Plus trivialement, le rapport pointait le faible nombre de fonctionnaires chargés du suivi de l’islam radical et leur absence de compétence en arabe. « La DCRI estime qu’elle aurait besoin de doubler le nombre de ses fonctionnaires arabisants », indiquait le rapport.

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A propos des moyens humains :

Le problème de sous-effectifs « est évident », juge aussi l’écologiste Christophe Cavard, ancien éducateur de rue et président de la commission d’enquête post-affaire Merah. « Les services de renseignement intérieur ont recruté pendant des décennies sur les risques liés aux pays de l’Est et manquent par exemple d’arabophones, souligne le député. Les écoutes, c’est bien, mais encore faut-il pouvoir les traduire, et les traduire correctement. Il faut aussi des agents en totale maîtrise des nouvelles technologies. J’ai découvert que certains services, pour exploiter un disque dur, sont contraints de sous-traiter ! »

 

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