Le Monde : « La Défense : la surveillance des islamistes en cause « 

La Défense : la surveillance des islamistes en cause 

Aucune affaire n’est parfaite : l’interpellation, mercredi 29 mai, d’Alexandre D., suspect de l’agression d’un militaire à la Défense, a marqué un beau succès des services d’enquête de la brigade criminelle de la police judiciaire parisienne, largement souligné par le ministre de l’intérieur, Manuel Valls. Las, la révélation par Le Monde d’une note oubliée sur ce jeune de 22 ans converti à l’islam radical met de nouveau en cause le système français de détection des terroristes, quinze mois après l’affaire Merah.

Le jeune homme n’était pas simplement connu pour une prière de rue sauvage en 2009, comme le pensaient les enquêteurs. La sous-direction de l’information générale (SDIG, chargée, entre autres, du suivi de l’islam) des Yvelines avait rédigé une note, le 20 février, sur le  » comportement  » d’Alexandre D., de plus en plus erratique depuis 2011. Transmise aux autorités, elle n’a pas été exploitée par la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, chargée de la lutte contre le terrorisme) et a été oubliée dans un tiroir.

 » La note ne présente pas un profil djihadiste « , a justifié le ministre de l’intérieur sur RTL, mercredi soir. Dans le document que Le Monde a pu consulter, les policiers de la SDIG décrivent  » un jeune Français converti à l’islam radical  » proche du mouvement piétiste Tabligh. Il aurait pu effectuer  » plusieurs voyages  » à l’étranger.

M. Valls a assuré, sur RTL, qu' » il y a malheureusement beaucoup de fondamentalistes de ce type « . Plus de 500 notes sur l’islam radical ont été transmises par la SDIG depuis la mise en place de bureaux de liaison entre les deux services de renseignement, en décembre 2012. Mais l’épisode met en lumière, une fois de plus, les problèmes de coordination du renseignement, la difficulté de détecter les  » signaux faibles  » de radicalisation et le manque de moyens pour faire face à ce défi.

Hasard du calendrier, la commission d’enquête parlementaire sur  » le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés « , lancée par le groupe écologiste de l’Assemblée nationale dans la foulée de l’affaire Merah, a rendu sa copie, jeudi 30 mai. Les travaux ont été présidés par le député Christophe Cavard (EELV, Gard), et le rapporteur n’est autre que le président de la commission de lois, Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), déjà auteur d’un rapport  » sur le cadre juridique applicable aux services de renseignement « , rendu le 14 mai (Le Monde du 15 mai). Les conclusions sont logiquement assez proches. Les députés évoquent  » les errements de la détection des individus et des groupes à risque « .

Or, les professionnels auditionnés ont confirmé la  » mutation  » de la menace terroriste dans les pays occidentaux :  » Les services de renseignement doivent désormais affronter une menace plus diffuse, une menace individualisée « , conclut le rapport.  » Les personnes qui envisagent de franchir la ligne jaune décident pour elles-mêmes « , a résumé Christophe Teissier, juge d’instruction au pôle antiterroriste, chargé, notamment, de l’affaire Merah. Il s’agit d' » hommes jeunes (25 ans en moyenne), au profil psychologique souvent perturbé et qui font l’objet d’une radicalisation de plus en plus rapide, à partir d’une réislamisation ou d’une conversion « , expliquent les députés.

Les services de renseignement sont démunis. M. Valls assure, jeudi, dans Libération, que  » la détection précoce des signes de radicalisation doit être la priorité « . Mais  » il n’est pas possible d’ouvrir une enquête du renseignement sur tous ces profils, explique-t-on Place Beauvau. Quand il n’y a pas de notion de groupe fondamentaliste, pas d’activité sur Internet, pas de voyages, il est beaucoup plus difficile de détecter le basculement dans le djihadisme « .

De plus, l’incrimination d' » association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste « , pilier du combat judiciaire préventif contre les radicaux en France, n’est pas applicable à un individu seul. Le rapport de la commission d’enquête rappelle que les Britanniques ont ainsi adopté en 2006 le Terrorist Act qui prévoit  » qu’une personne commet une infraction dès lors qu’elle a l’intention de commettre des actes de terrorisme (…) et qu’elle s’apprête à concrétiser son intention « . Pour les députés, une telle législation serait excessive et inutile.

Sous-dotation

La priorité est donc à la réorganisation et au renforcement des moyens. Sur ce point, le diagnostic et les préconisations des deux rapports parlementaires prennent une actualité brûlante. Ainsi, la SDIG n’a pas de fichier : la note sur Alexandre D. n’est donc pas remontée lorsque les policiers de la PJ parisienne ont identifié le jeune homme, dimanche soir 26 mai. La SDIG n’a pas de moyens d’investigation poussés : elle n’a pas pu approfondir elle-même son travail sur Alexandre D. Les policiers de la SDIG n’ont pas d’habilitation secret défense : une fois la note transmise à la DCRI, ils n’ont plus eu aucun moyen de savoir ce qu’elle était devenue, car la DCRI est soumise au secret.

Le rapport du 30 mai souligne  » le travail indispensable que réalise la SDIG dans la détection des signaux faibles en matière de lutte contre le terrorisme « . Le problème, c’est qu’elle  » vit dans le plus absolu dénuement « .

Enfin, le rapport Urvoas avait souligné la mauvaise répartition des effectifs du renseignement intérieur, et notamment la sous-dotation de la section chargée de l’islam radical. Le patron de la DCRI, Patrick Calvar, n’a pas encore obtenu les renforts promis. Aujourd’hui,  » l’urgence première  » du service, selon un haut responsable, ce sont les nouvelles filières du djihad vers la Syrie. Et la DCRI ne peut pas tout faire.

Laurent Borredon

 

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