« En protégeant la société, on protège nos libertés »

Midi libre du 4 mai 2015

L’invité du lundi

Le député écologiste Christophe Cavard est l’un des défenseurs du projet de loi controversé sur le renseignement qui sera soumis au vote ce mardi à l’Assemblée nationale.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent contre la loi sur le renseignement (1), vous vous apprêtez à voter en sa faveur…
Je vais effectivement la voter. Ce sont les travaux menés dans le cadre de la commission sur l’islam radical qui m’ont permis de découvrir qui sont les agents chargés du renseignement, comment ils travaillent… Et cela permet de lever nombre de fantasmes. Ces agents de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) relèvent de la fonction publique avec une mission de service publique. Leur travail, c’est de sécuriser et de protéger le risque potentiel en matière de terrorisme, de criminalité et d’économie. C’est, sur ce dernier point par exemple, la protection des technologies développées sur le site de Marcoule face aux forces extérieures qui voudraient s’en emparer dans un but concurrentiel ou terroriste.
Justement, dans le Gard, combien d’agents sont chargés du renseignement?
Ils sont six, rattachés au Gard et à la Lozère. Avec une montée en charge, réelle, il faudrait vraiment renforcer le service. Reste que l’histoire du renseignement français laisse l’image d’espions à la solde du pouvoir.
C’est là que les observateurs se trompent, même si les fantasmes qui subsistent sont nés des dérapages constatés par le passé, par exemple un homme politique
mort noyé dans une flaque de 10 cm d’eau. Au début du XXe siècle, les services secrets étaient chargés de surveiller la population, c’était la police du pouvoir. Mais après la Seconde Guerre mondiale, où ils avaient joué un rôle important dans la préparation des attaques des Alliés, leur mission a évolué à la protection de la nation de tout risque extérieur. Et en 1991, il a été décidé de faire une loi pour mieux encadrer ce travail, notamment les écoutes téléphoniques. Mais cette
loi n’intégrait pas les pratiques développées avec les nouvelles technologies.
Cette nouvelle loi permet donc de légaliser des techniques déjà utilisées par le renseignement?
C’est la première partie du projet de loi. L’aberration, jusque-là, c’est que la justice ne pouvait condamner un terroriste présumé s’il avait été confondu par le biais de ces technologies puisqu’elles n’ont pas de légalité. Il fallait alors mettre sur pied une stratégie pour le neutraliser sur un autre fait.
Cela facilitera le travail judiciaire.

Cela peut susciter quelques interrogations sur l’opacité de certaines missions…
Je l’aurais compris s’il n’y avait pas la deuxième partie de la loi qui encadre encore mieux l’utilisation de ces nouvelles technologies.
En fait, cette loi repose sur la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui sera chargée, non seulement d’examiner le travail des agents, mais aussi d’autoriser la surveillance des personnes ciblées.
Ce collège, composé de hauts magistrats et de parlementaires, sera épaulé par une équipe d’experts. Il aura un vrai droit de regard sur tous les moyens techniques de recueil de renseignements.
Parmi ceux-ci, l’Imsi-catcher, qui permet d’intercepter des communications dans un périmètre donné, inquiète beaucoup.
Là-aussi, à tort. Déjà, son utilisation devra être autorisée pour cibler une personne précise. Ensuite, certes ce système permet de capter toutes les
conversations sur ce périmètre, mais les données seront écrasées si le logiciel ne repère pas un risque potentiel. C’est d’ailleurs le principe qui prévaut pour toutes les techniques de surveillance et la CNCTR sera chargée d’y veiller. Ce système aurait permis de détecter les conversations entre les frères Kouachi et Coulibaly qui, avant les attentats, communiquaient par le biais des téléphones de leurs compagnes qui n’étaient pas sous surveillance.
On parle aussi beaucoup de la surveillance du web.
C’est le même procédé. Un algorithme capte des mots clés tapés sur des moteurs de recherche. En cas de doute sur une adresse IP, si ces mots reviennent très souvent, les agents pourront alors demander la levée de l’anonymat à la CNCTR.

L’un de vos amendements, qui autorise les écoutes téléphoniques en prison, a soulevé une polémique.
Il propose de renforcer le renseignement pénitentiaire chargé de prévenir le risque d’évasion, de criminalité et désormais de radicalisation. Et s’il peut paraître curieux de surveiller les communications téléphoniques en milieu carcéral alors que les téléphones y sont interdits, il faut savoir que 27 000 mobiles sont saisis chaque année. Cela dit, je suis favorable à leur légalisation car c’est à mon sens un véritable outil de paix sociale.
Les écoutes sont toujours sources de polémiques.
On peut même parler de phobie alors qu’il existe déjà des quotas : la
DGSI n’a mené que 2591 écoutes en 2014 contre 35000 écoutes judiciaires. Et cette loi les encadrera encore plus. La CNCTR pourra faire cesser des écoutes avant la fin de la période autorisée si elle estime qu’elles sont inutiles. Il sera aussi possible de saisir le Conseil d’État pour les empêcher.
Vous apparaissez comme un véritable défenseur de ce projet.
Si la loi peut permettre d’intercepter un jeune qui part en vrille et l’empêcher de basculer, alors la loi a une vraie raison d’être. Et, contrairement à tout ce que j’ai
pu entendre, en protégeant la société, on protège nos libertés publiques. Donc notre liberté. Le problème, c’est que ces services souffrent de leur image. J’ai dit au ministre de l’Intérieur que l’étape d’après, c’est une meilleure communication de ces services.
Recueilli par LUDOVIC TRABUCHET

ø (1) Dans un communiqué publié
ce week-end, EELV-LR appelle les députés
de la région «à se mobiliser contre la loi
liberticide sur le renseignement».

Article paru le même jour:

Christophe Cavard, avec son homologue PS du Gard Patrice Prat, fait partie de la commission parlementaire sur les filières jihadistes qui a débuté son travail après les attentats de janvier. «Nous devrions rendre nos conclusions en juin, avec différentes propositions sur la prévention des risques de basculement, les moyens
techniques à mettre en place pour prémunir et intercepter un jeune en phase de radicalisation, les possibles interventions sur les jeunes qui reviennent de Syrie ou d’Irak», résume le député EELV.
Christophe Cavard, qui estime que ce n’est pas un problème religieux «mais idéologique», c’est-à-dire «une organisation qui veut imposer son idéologie au monde sous couvert d’un islam dévié», a étudié le phénomène en divers points de la planète mais aussi dans le Gard.
Ainsi, selon lui, il n’y a pas de filière organisée de recrutement dans le département, «plutôt des jeunes qui basculent et qui peuvent s’entraîner les uns et les autres ». Il parle de «quelques dizaines» d’individus actuellement surveillés, essentiellement sur Nîmes. «Cela étant, pour moitié environ des cas remontés de la plateforme de signalement, c’est-à-dire l’appel d’un proche.»
L’autre moitié venant des acteurs du terrain. Le Gard reste tout de même l’un des départements les plus concernés par la problématique avec les Alpes- Maritimes et l’Hérault.
Le député estime, par ailleurs, qu’une dizaine de Gardois, «peut-être un peu plus», sont sur le théâtre de guerre et qu’une dizaine en est revenue.
Autant de constats qui ont enrichi ce rapport qui sortira début juin et dans lequel Christophe Cavard devrait notamment proposer de mettre en place une «brigade d’éducateurs » qui ferait le lien avec les travailleurs sociaux sur le
terrain. À suivre.
L. T.

nimescc

Remonter