Accueil Petite enfance Comment les crèches parentales renversent le regard sur les politiques actuelles de la petite enfance ?

Comment les crèches parentales renversent le regard sur les politiques actuelles de la petite enfance ?

crèche parentale

Le 26 novembre dernier, je me suis rendu à l’inauguration de la crèche parentale Les Petits Pois, située rue du Sentier dans le 2e arrondissement, en compagnie de Jacques Boutault, maire du 2e. Ce fut un plaisir à plus d’un titre tant il a fallu de la persévérance et de l’acharnement pour que ce lieu d’accueil voie le jour, également parce que je suis attaché à cette structure singulière d’accueil fondée sur l’autogestion, mais aussi par le fait que ce moment a été l’occasion de mettre en avant, par la délivrance du label « Ecolo Crèche », la démarche écologique entreprise par Les Petits Pois.

Cette inauguration fut aussi intéressante parce qu’elle permet de dessiner des contours d’une autre politique publique de la petite enfance. A l’heure où le gouvernement actuel ne conçoit une politique de la petite enfance que sous les griffes du quantitatif au détriment du qualitatif –le décret de Nadine Morano (2010) a abaissé les normes d’encadrement et de qualification-, ne la pense qu’à l’aune de la libéralisation avec l’intégration du secteur de la petite enfance dans la transposition de la directive européenne « Services » et ne la saisit qu'à travers le contrôle –une succession de rapports (celui de l’Inserm en 2006, celui de Jean-Marie Bockel en 2010) et de propositions (celles d’octobre dernier voulant faire passer à des enfants de 5 ans des évaluations dans la perspective de repérer, ou devrais-je plutôt dire de stigmatiser, certains comme étant à « haut risque d’échec scolaire »), sous couvert de prévention, instille une société du contrôle dès le plus jeune âge-, à l’heure où le contexte budgétaire serré sert de prétexte à des collectivités de droite comme de gauche pour déléguer ce service public faisant le jeu d’une logique de marchandisation de la petite enfance, les crèches parentales, structures participatives et solidaires, nous permettent autant d’interroger les politiques actuelles de la petite enfance que de les renverser en redonnant une place aux parents, aux professionnels et offrant une expression nouvelle aux tout-petits.

Repenser la place des parents, des professionnels et des enfants: une socialisation réciproque

Structures associatives, apparues dans le contexte post-1968 sous l’impulsion de parents militants voulant porter et défendre une manière différente de concevoir un accueil qui leur redonne une place, les crèches parentales sont des lieux qui associent parents et professionnels autour d’un projet commun d’éducation et de socialisation de leur propre enfant et de ceux des autres parents, membres de l’association. Parents et professionnels, ensemble, s’occupent des enfants et des tâches plus matérielles (entretien des locaux, achats, préparation des repas etc.).

Les crèches parentales, structurées en réseau dans les années 1980 –l’Association des Collectifs Enfants-Parents-Professionnels (ACEPP)-, ont permis, en posant la question de la place des parents, souvent relégués aux grilles des crèches, de déplacer du terrain de la santé à celui du social et de l’éducatif la fonction de l’accueil et, par la même, de faire reconnaître l’implication active des parents à la fonction éducative dans le cadre de l’accueil de l’enfant. Ainsi, les parents ont une place inscrite dans le Code de la santé publique, depuis un décret de 2004, et reconnue dans les établissements d’accueil de la petite enfance. Ils doivent y être « accueillis, écoutés et sollicités ». Mais, ce qui semble une évidence ne l’est toujours pas. Une des revendications des parents les plus souvent entendues et portées est de prendre part de manière plus effective dans l’accueil de leur enfant. Ainsi, à Paris, nous avons institué des conseils de parents, qui sont des organes participatifs composés de parents élus, de professionnels élus, se réunissant au niveau d’un établissement ou de plusieurs établissements. Il s’agit, alors, de faire émerger une sorte de communauté éducative entre parents et professionnels à l’image de ce que les crèches parentales ont mis en valeur.

La force des crèches parentales réside dans le fait de donner des outils pour repenser une articulation entre parents, professionnels et enfants où la valorisation de chaque acteur se déploie au sein d’un espace de négociation presque permanente qui permet une écoute et la reconnaissance des compétences de chacun. Emerge alors une forme de socialisation réciproque dans laquelle tous, enfants, parents et professionnels sont pris. Les parents apprennent à devenir parents, les professionnels approfondissent, à travers la mise en valeur d’une forme d’éducation populaire et de savoirs acquis sur le tas, leur métier et l’enfant bénéficie de cette émulation collective.

Penser un accueil ouvert, intégrateur et non comme instrument de contrôle social

Enfants, parents, professionnels inventent et réinventent ensemble un devenir : un devenir parent, un devenir professionnel et, pour tous, un devenir citoyen, un être citoyen.

Prendre appui sur les crèches parentales, c’est comprendre qu’accueillir un enfant ne se circonscrit pas au seul enfant, aux quatre murs de l’établissement, mais que cet enfant est aussi un prétexte pour s’ouvrir à l’ensemble de la société dans une démarche et une dynamique coopératives et citoyennes. En effet, pour de nombreux parents, l’investissement dans une crèche parentale représente un premier pas vers une implication plus grande dans la vie du quartier, dans la vie associative du quartier. Ces lieux peuvent remplir, du fait d’une prise de responsabilité associative, un rôle social et d’intégration pour certaines familles, notamment pour celles issues des classes les moins aisées ou de l’immigration.

Une politique publique de la petite enfance a tout à gagner à s’inspirer de ces échanges, à imaginer un accueil qui ne soit pas intégrateur que pour l’enfant, mais intégrateur des familles. L’accueil acquerrait une dimension sociétale plus globale en promouvant des espaces de dialogues et de savoirs partagés entre familles, professionnels, différentes institutions éducatives, voire s’ouvrir à des associations de quartier oeuvrant à l’intégration de populations trop souvent dévalorisées. L’association LIRE à Paris accompagne des hommes et des femmes dans leur apprentissage du français, dans leur valorisation de soi et leur intégration en les invitant à lire au sein de crèches. Voilà un exemple concret, parmi d’autres, d’un accueil ouvert et intégrateur. Le tout-petit grandit dans cette socialisation partagée et l’impulsion de liens de solidarité.

Ne pas laisser la petite enfance en marge de la campagne présidentielle

Dans ce contexte de crise où croissent et se renforcent les inégalités sociales, la petite enfance se doit d’être un thème majeur de la campagne présidentielle. En effet, de nombreuses études, celles de l’OCDE – Petite enfance et grands défis : éducation et structure d’accueil (2006), Assurer le bien-être des enfants (2009)-, ou bien les travaux de James Heckman (Prix Nobel d’Economie) concordent pour montrer combien un investissement dans la petite enfance, une intervention des pouvoirs publics très tôt dans la socialisation des tout-petits a des effets positifs et bénéfiques en termes de réduction de la pauvreté, d’amoindrissement des inégalités sociales, de qualité de l’emploi et de vie pour ces futurs adultes.

Parce qu’elles déplacent les regards, appréhendent l’accueil de la petite enfance comme une politique d’intégration et de socialisation qui ne se cantonne pas qu’aux tout-petits, les crèches parentales permettent de penser une politique publique de la petite enfance moins normative, à l’inverse des positions du gouvernement actuel, mais plus riche et enrichissante pour tous.

Les enjeux de la petite enfance sont de taille. Qu'ils investissent la campagne !

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